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23/01/2017

Irritations linguistiques XLI : deux poids, deux mesures

France Inter, dimanche 22 janvier 2017, 6 h 45…

Un journaliste annonce une rubrique à venir « la civic tech » et, comme il nous prend pour des demeurés, il nous traduit : « la technique civique ». La délicieuse Patricia Martin ajoute : « à podcaster sur notre site »…

Voilà donc comment parlent les journalistes de la radio publique : du franglais à tous les étages, du franglais décomplexé, que dis-je ?, du franglais naturel ! Je l’ai souvent dénoncé ici. 

Quelques minutes plus tard, un reportage veut nous convaincre que le ski tard en saison, c’est bien et même c’est mieux. On nous conseille donc d’y aller « aux vacances de Pâques, qu’on appelle maintenant les vacances de printemps ».

Deux questions :

  • qui donc a décidé, pour nous et à notre place, de changer le nom des périodes de vacances scolaires ?
  • de quel droit les journalistes se permettent-ils de nous imposer ces changements (mineurs mais ô combien symboliques) ? 

En fait, ce sont plutôt des réponses et des constats qui nous viennent à l’esprit :

  • les journalistes, incapables même à long terme de diffuser et de promouvoir un vocabulaire débarrassé des termes américains qui fleurissent chaque jour, et ignorant superbement toutes les propositions des commissions de terminologie, adoptent sur l’heure toutes les variations de la langue voulues par d’obscurs normalisateurs ; probablement parce que ça fait moderne ;
  • les Pouvoirs publics, notoirement inertes dans la défense de la langue française et professant même, sans doute, l’inutilité du combat contre son américanisation galopante, au nom de la sacro-sainte liberté « de jacter comme on veut », éprouvent le besoin en revanche de normaliser la façon dont on nomme les vacances scolaires. Et là, on met la laïcité en avant… 

Deux poids, deux mesures.

Éric Zemmour a beau jeu, ensuite, de dénoncer le « désamour de soi » et « le renoncement » du pays, qui abandonne lentement mais sûrement sa diplomatie, son industrie, ses modes de vie, sa gastronomie et sa langue, et in fine son indépendance et son génie. 

La chute (vol libre).jpg

PS. Selon Wikipedia, la civic tech (abréviation de civic technology, ou technologie civique) représente l’ensemble des procédés, outils et technologies qui permettent d’améliorer le système politique.

C’est l’usage de la technologie (NDLR : terme impropre, soit dit en passant) dans le but de renforcer le lien démocratique entre les citoyens et le gouvernement. Cela englobe toute technologie permettant d’accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique ou de rendre le gouvernement plus accessible, efficient et efficace.

Ouverture du gouvernement :

  • Ouverture des données et transparence
  • Facilitation du processus de vote
  • Cartographie et visualisation des données publiques
  • Exploitation et utilisation des données publiques
  • Co-création des lois et décisions gouvernementales 

Participation citoyenne :

  • Développement de réseaux citoyens
  • Engagement de communautés locales
  • Financement participatif
  • Partage des données citoyennes

Toutes choses fort intéressantes, en effet, et dont on a entendu des échos dans les propositions, qui n’ont jamais dépassé ce stade en France, de Ségolène Royal en 2006 et plus récemment d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon.

On notera une fois de plus que ces idées, auxquelles on peut rattacher le saugrenu « care » de Martine Aubry, qui n’aura guère passionné les foules, sont toutes venues des États-Unis… Mais à quoi sert donc notre Sciences Po parisien dont on nous rebat les oreilles ?

Réponse : mais à adopter d’autres idées américaines, comme par exemple la théorie du genre et la discrimination positive !

21/01/2017

Devinette XVIIe : auteurs français de la première moitié du XIXème siècle

En effet, voici les géants : Chateaubriand, Balzac, Hugo, et Dumas.

Géants par leur boulimie de travail, par leur production littéraire de forçat, par leur génie inventif, par leur position de démiurge, par la qualité de leur écriture, par leur double, triple, quadruple vie personnelle et politique (au moins pour Chateaubriand et Hugo).

Dumas s’est ruiné malgré « Les trois mousquetaires » et « Le Comte de Monte-Cristo » et malgré d’innombrables romans couvrant l’histoire de France ; il y perdra sa folie de l’Ouest parisien, le Château d’If…

Hugo voulait être Chateaubriand ou rien.

Il règnera jusqu’à la fin du XIXème, luttant contre l’injustice, la pauvreté et la peine de mort, fasciné par Napoléon 1er et Waterloo mais combattant son neveu, le Petit, venant à bout d’œuvres-fleuves comme « La légende des siècles » et « Les Misérables », adulé par le peuple ; un million de Français suivront son cercueil lors de ses funérailles.

Mémoires-d'outre-tombe.jpg

Chateaubriand mènera lui aussi de front une carrière littéraire et politique, voyageant en Amérique et en Orient, ministre, ambassadeur, pair de France, académicien, monarchiste glorifiant le christianisme, romantique, amoureux éternel de Mme Récamier ; il nous laissera un chef d’œuvre, ses « Mémoires d’outre-tombe », monument à sa gloire et à la société de son temps, avant de rejoindre pour l’éternité son monument funéraire du Grand Bé, devant Saint Malo et face à l’océan.

Balzac, comme Hugo, comme Dumas, créera de toutes pièces « son » monde, reflet de son époque, « La comédie humaine », dont on ne peut oublier les personnages, les drames et les passions : le Père Goriot, la cousine Bette, Chabert, Grandet, Vautrin, Rastignac.

Je ne saurais oublier Lamartine (« Un seul être vous manque… »), à la carrière également bien remplie.

Les ouvrages de littérature mentionnent aussi, à cette époque, Stendhal, bien sûr, Vigny, Nerval, Musset, Leconte de Lisle, tous classés « romantiques », sauf le dernier, « parnassien ».

Quel siècle !

Et nous n’en sommes qu’à la moitié…

À suivre…

19/01/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique I

Comment peut-on, aujourd’hui encore, écrire une critique de ce monument dû à Victor Hugo, qui date de 1862, il y a un siècle et demi, et qui raconte une histoire, que d’aucuns taxent d’invraisemblance, qui se passe après Waterloo ?

Pour nous autres, qui l’avons déjà lu, mais dans des éditions abrégées, c’est un conte pour enfants, tellement merveilleux que ses personnages, Jean Valjean, Javert, Fantine et Cosette sont devenus plus que populaires ; ils ont pris place dans notre inconscient collectif et sont devenus des archétypes.

Un beau jour, on a envie d’y retourner voir de plus près, au-delà des péripéties parfois extravagantes, et on attaque le Tome I des Éditions Rencontre (à Lausanne), qui en compte quatre, avec les illustrations de l’édition Hetzel bizarrement datées de 1853.

Naturellement la prose de Victor Hugo se lit facilement, la narration est alerte et les chapitres courts et en titres pleins (comme chez Alexandre Dumas) : « Le frère raconté par la sœur », « L’année 1817 », etc. 

Dans ce tome I, on retrouve ce qui est connu des Misérables : le passé peu recommandable de Jean Valjean, la sainteté de Monseigneur Myriel, l’épisode des chandeliers et celui du petit ramoneur savoyard, la transfiguration du galérien en entrepreneur généreux et en Maire empathique, sa promesse à Fantine et puis sa dénonciation. Tous épisodes romanesques qui ont inspiré son film à Claude Lelouch et sa composition à Jean-Paul Belmondo.

Jean Valjean (J.P. Belmondo).jpg

Dans la première partie du Tome I, Hugo nous peint la France du début du XIXème siècle, la France rurale et laborieuse, et à travers elle il dit ses révoltes et ses espoirs de changement. Et en quels termes ! Il excelle dans les portraits psychologiques et les raccourcis biographiques. Voici par exemple ce qu’il fait dire à l’évêque de Digne, dans l’un des nombreux chapitres qui précèdent et préparent l’entrée en scène de Jean Valjean : « L’homme a sur lui la chair qui est tout à la fois son fardeau et sa tentation. Il la traîne et lui cède. Il doit la surveiller, la contenir, la réprimer, et ne lui obéir qu’à la dernière extrémité. Dans cette obéissance-là, il peut encore y avoir de la faute ; mais la faute, ainsi faite, est vénielle. C’est une chute, mais une chute sur les genoux, qui peut s’achever en prière. Être un saint, c’est l’exception ; être un juste, c’est la règle. Errez, défaillez, péchez, mais soyez des justes. Le moins de péché possible, c’est la loi de l’homme. Pas de péché du tout, c’est le rêve de l’ange. Tout ce qui est terrestre est soumis au péché. Le péché est une gravitation » (page 28). Et plus loin : « Les fautes des femmes, des enfants, des serviteurs, des faibles, des indigents et des ignorants sont la faute des maris, des pères, des maîtres, des forts, des riches et des savants ». « À ceux qui ignorent, enseignez-leur le plus de choses que vous pourrez ; la société est coupable de ne pas donner l’instruction gratis ; elle répond de la nuit qu’elle produit. Cette âme est pleine d’ombre, le péché s’y commet. Le coupable n’est pas celui qui y fait le péché mais celui qui y a fait l’ombre » (page 29). 

Hugo est percutant dans la métaphore et les formules elliptiques, bien balancées, comme « Elle répond de la nuit qu’elle produit ».

Voici maintenant comment il décrit, à un débit qui s’accélère continument, les carrières ecclésiastiques de son temps : « Plus grand diocèse au patron, plus grosse cure au favori. Et puis Rome est là. Un évêque qui sait devenir archevêque, un archevêque qui sait devenir cardinal, vous emmène comme conclaviste, vous entrez dans la rote, vous avez le pallium, vous voilà auditeur, vous voilà camérier, vous voilà monsignor, et de la Grandeur à l’Éminence il n’y a qu’un pas, et entre l’Éminence et la Sainteté il n’y a que la fumée d’un scrutin. Toute calotte peut rêver la tiare ». Croyant, il n’en est pas moins très critique : « Que d’enfants de chœur rougissants, que de jeunes abbés ont sur la tête le pot au lait de Perrette ! » (page 74). 

À suivre.