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16/07/2015

Natacha et moi (IV) : aïdos et modes de vie

Dans "Ce pays qu'on abat", Natacha Polony revient plusieurs fois sur quelques grandes idées, qui devraient selon elle constituer la base des comportements et des ambitions de notre société et qui en même temps représentent une sorte de paradis perdu de notre civilisation : l'aïdos, les libertés individuelles et la transmission.

"Il est une vertu que les Grecs appelaient l'aïdos, et que l'on pourrait traduire à la fois par honneur, dignité, pudeur et honte. C'est en quelque sorte la dignité que l'on conquiert dans le regard d'autrui. Notons qu'une telle vertu implique - ô horreur - que l'on soit soumis au jugement moral de ses contemporains. Voilà sans doute la vertu qu'il nous faudrait apprendre à cultiver, et à transmettre à nos enfants" (page 89).

Elle cite le philosophe Cornelius Castoriadis : "Une société montre son degré de civilisation dans sa capacité à s'autolimiter". En France, à part le Comité d'éthique qui vise effectivement à interdire certaines pratiques même si la science les rend possibles et aussi la loi Littoral qui protège tant bien que mal nos côtes des appétits immobiliers, on voit bien que rien n'est "autolimité" par la société ni même soumis au vote du peuple : la mondialisation par exemple est subie par beaucoup de gens sans qu'ils l'aient jamais explicitement choisie ; de même la désertification rurale, les panneaux publicitaires envahissants, les téléphones mobiles, le tout-voiture, les lignes de train "secondaires" qui disparaissent... Le progrès dicte lui-même, dans une sorte de toboggan sans cesse, les évolutions de nos modes de vie. La loi elle-même, par l'entremise de nos députés (élus par nous, il est vrai) rattrape périodiquement ces évolutions en les avalisant.

Voici ce que dit Natacha Polony : "L'acceptation ou non de la mondialisation telle qu'elle est organisée aujourd'hui, c'est-à-dire considérée comme une fatalité imposée aux peuples au nom du réalisme et dont le résultat est la destruction brutale, non seulement du modèle européen - et plus particulièrement français - de protection des individus, mais également l'éradication des modes de vie, des produits, des spécificités culturelles, bref, des terroirs au sens le plus large du terme, en ce qu'ils constituent un patrimoine et une civilisation" (page 19).

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15/07/2015

Natacha et moi (III) : voyage, savoir et latin

 "De même que le voyage, au sens où l'aimaient les poètes, a cédé le pas au déplacement, qui n'est que le passage d'un lieu à l'autre, et dont la réussite résidera donc dans la rapidité avec laquelle il sera effectué, de même, dans la tête de nos chers enfants, qui sont les futurs adultes de nos sociétés si avancées, le savoir est un outil qui permet de progresser dans les études, et donc dans les échelons de la hiérarchie sociale.

Mais le fait qu'il faille certaines connaissances précises pour pouvoir prétendre être un professionnel digne de ce nom, semble échapper totalement à une proportion non négligeable d'entre eux. Seul le diplôme compte, son contenu non...

... Mais le savoir, nous l'avons oublié, transforme celui qui se l'approprie. Je ne demande pas à un honnête homme de savoir le latin, écrivait Saint-Marc Girardin, un célèbre critique mort en 1873, il me suffit qu'il l'ait oublié. Et que voulait-il dire, sinon que la fréquentation du latin avait changé celui qui, certes, pouvait avoir oublié les déclinaisons et le vocabulaire, mais dont l'esprit resterait modelé par cette langue, ses structures, sa rigueur, et l'incommensurable humanité de ses auteurs ?

Celui qui a oublié le latin est un peu plus riche d'humanité que celui qui ne l'a jamais appris, mais qui pourra , au besoin, s'il devait s'y coller par nécessité, consulter quelque notice sur Wikipedia ou ailleurs" (page 88).

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14/07/2015

Natacha et moi (II) : la France est belle et vide

Commençons par le commencement, c'est-à-dire par le début de ses billets (octobre 2009). Et, en ce jour de fête nationale, voyons ce que Natacha Polony dit de la France.

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"Mais les Français, tous les Français connaissent-ils encore la France ?

Des vertes solitudes du Vivarais à la sauvagerie rugueuse des Corbières, des vergers du Comtat Venaissain aux vignes de Touraine, de la vallée du Tarn à la vallée du Loir, la France est belle, et nous l'oublions trop souvent, harassés que nous sommes par les sirènes du tourisme de masse.

Et la France est vide ! Oh, pas les plages bien sûr, pas les festivals en vue. Mais la France ardéchoise ou corrézienne, la France berrichonne ou vendômoise. Ces paysages époustouflants, ces lumières irréelles, et personne pour les admirer, s'en extasier, s'en rassasier ? Mais Lagrasse et Salles la Source sont plus exotiques que tous les cocotiers du monde. Le petit manoir de la Possonnière, où naquit Pierre de Ronsard, avec ses inscriptions latines comme un avertissement à notre futilité - souviens-toi que tu es poussière, sur un four à pâtisserie - et ses roses au nom délicat Cuisse de nymphe émue ou Vierge de Cléry, vaut toutes les destinations lointaines. Mais un dimanche de fin juin, pas un promeneur pour se réciter Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose... Pas un enfant pour s'imprégner des beautés de la Renaissance et comprendre qu'elle fut un art de vivre autant qu'un courant de pensée.

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C'est qu'on ne conçoit plus les vacances qu'au bord d'une piscine. Aucun parent n'oserait plus infliger à ses chers petits la visite de ces villages et de ces églises qui sont leur patrimoine. Et partout des voltes clos et des maisons à vendre, quelques vieillards sur un banc, et l'impression glaçante de voir mourir un pays. Au mieux reste-t-il ça et là une boulangerie ou une pharmacie. Les autres commerces ont fermé, victimes de la grande distribution. Plus de travail, puisque tout est fabriqué ailleurs, bien loin d'ici. Plus de vie. Mais il suffirait pourtant que les Français visitent la France, ce pays qu'ils méprisent parce qu'ils croient le connaître. S'extasier sur le petit village indien ou les traditions préservées des Aborigènes dispense curieusement de s'intéresser à ses propres traditions, qui, elles, sont un folklore moisi.

Les générations qui sont nées après la guerre ont cessé de transmettre, non seulement les valeurs, les récits et les savoirs qui fondaient la civilisation, mais elles ont également cessé de transmettre la connaissance de la France, de sa géographie, de ses modes de vie. La modernité s'est chargée d'effacer ces vieilleries. Et les enfants d'aujourd'hui, tous les enfants, qu'ils soient de Villiers le Bel ou du centre de Paris, sont orphelins de leur pays" (pages 96 et 97).

Et j'ajouterais bien : "et de leur langue", la "modernité" jouant le même rôle sur la langue que sur les paysages (à savoir : l'herbe est plus verte ailleurs).

Ironie de la synchronicité : au moment où je recopiais ces lignes, France Inter rendait compte d'une étude épidémiologique que disait que 70 % des touristes qui revenaient d'un périple en Asie, étaient porteurs de bactéries multi-résistantes, pour lesquelles les antibiotiques étaient impuissants...

Et c'est pareil, à peu près, pour ceux qui reviennent d'Afrique ou d'Amérique du Sud...

Voyagez, qu'ils disaient, il en restera toujours quelque chose (dans vos intestins) !