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21/07/2024

Irritations linguistiques LXX

La semaine dernière, j’évoquais la traduction paresseuse et donc incorrecte de l’anglais definitely… Mais que dire de eventually ? Bien sûr il ne doit pas se traduire par « éventuellement », ce serait trop simple ! La bonne traduction est : « finalement » ou « en fin de compte ». Tout cela me fait penser au mot anglais opportunity, qui est souvent (malencontreusement) traduit par « opportunité », alors que sa traduction correcte est « possibilité » ou « occasion ». L’opportunité en français, c’est autre chose ; c’est simplement « le fait d’être opportun », c’est-à-dire « le fait de se produire au bon moment » ou « le fait de se produire pour la bonne cause ». À relier à l’opportunisme qui consiste à agir quand il le faut, quand c’est utile ou rentable.

J’ai aussi parlé du « collectif » décliné comme un « individuel » (l’effectif, le personnel d’une Administration ou d’une Entreprise, par exemple). C’est décidément une manie ! Voilà que M. Nunez, Préfet de police de Paris, déclare aux journalistes : « Beaucoup de mobiliers urbains ont été dégradés » ! Deux formulations étaient recevables : soit « Beaucoup de mobilier urbain a été dégradé », soit « Beaucoup de meubles urbains ont été dégradés ». Car nul n’ignore que le mobilier est constitué de meubles.

Horripilant est ce tic verbal qui consiste à terminer une énumération par « et pas que » (que l’on peut comprendre comme une contraction ou plutôt une forme elliptique de « et pas que cela »). N’est-ce pas plus simple de dire « et pas uniquement » ? On ne chipotera pas ici sur le « pas », contraction de la forme négative « non pas » dans laquelle la négation est portée par « non » et nullement par « pas »…

Encore le souci de ne pas se compliquer la vie dans la disparition accélérée de la forme interrogative ; pas un journaliste qui ne demande à son interlocuteur : « Dans quelle majorité parlementaire vous vous situez ? », au lieu de « vous situez-vous »…

Que ne ferait-on pour paraître moderne, jeune, pragmatique… !

15/07/2024

Irritations linguistiques LXIX

Déjà la messagerie électronique (mél.), après des dizaines d’années à désapprendre la langue écrite par la faute du téléphone, avait porté un coup assez rude à l’orthographe en remettant devant leur feuille blanche (ou plutôt leur clavier) des millions de Français… mais alors que dire des fameux « réseaux sociaux » ! Même dans des messages (des « billets ») très courts (puisque c’est leur principe, et leur avantage aux yeux de tous ces gens pressés), les « fautes d’orthographe » pullulent ; même dans un réseau comme LinkedIn, censé être professionnel et donc sans doute « éduqué », voire « cultivé ».

Je me fais un devoir (et non un plaisir comme certains semblent le penser !) de rétablir « en commentaire » dans le réseau les formules correctes. Et c’est l’occasion pour moi de renouer dans ce blogue avec l’une de mes suites de billets favorites : mes irritations linguistiques (le soixante-neuvième épisode), et de dresser un florilège des « fautes » les plus courantes, sans verser ni dans l’académisme ni dans la névrose obsessionnelle !

À tout seigneur tout honneur : les verbes pronominaux. Il est en de plusieurs sortes mais voyons celle qui pose problème à nos journalistes en herbe du quotidien, à travers un exemple facile à retenir : « Lady Chatterley s’est donnée à son garde-chasse » et « Madame H. s’est donné pour but de végétaliser Paris ». Quelle différence ? Dans le premier cas, on peut remplacer « s’est donné » par « a donné elle », ce qui fait qu’il faut accorder le participe passé avec le sujet (féminin), donc on écrit « s’est donnée ». Dans le second cas, la substitution donnerait « a donné À elle », donc on n’accorde pas car « elle » n’est pas un complément d’objet direct.

J’avoue qu’il y a une difficulté supplémentaire quand le participe passé est suivi d’un infinitif ! Car dans ce cas, le « s’ » est complément d’objet direct de l’infinitif, et donc pas d’accord ! On aimerait en conséquence ne pas lire, sous la plume d’Hugo Clément, journaliste, animateur et producteur : « Ce jour où toute l’équipe de #Sur le front s’est faite arrêter et embarquer en Australie » ! (il faut remplacer mentalement « s’est fait arrêter » par « a fait arrêter elle »).

 

Plus sophistiqué en quelque sorte, plus classe vu de l’élite, plus « start up Nation », l’irrésistible « définitivement » en traduction de « definitely » ! Rappelons que ce terme anglais signifie « vraiment »… On est donc chagriné de lire sous la plume de l’excellente Annick : « Dans 80 jours, ce sera définitivement plus simple ».

 

Beaucoup plus fréquente, sans aucun snobisme ni aucune provocation, la confusion généralisée entre le futur et le conditionnel. Lisons par exemple Xavier D. à propos des dernières élections législatives : « Si je ne m’intéressais qu’à mes intérêts économiques, je voterai Macron ». Mauvaise pioche ! C’est un conditionnel, donc on met un « s ». Et aussi : « Je serais là ! Bonne journée » (Philippe). Erreur sur le « s » ou alors il manque une partie de phrase (par exemple : « si j’avais vraiment envie de venir »…). Et encore Christian M. qui écrit ce matin : « j’aimerai bien savoir quel aurait été la réaction de Narcisse à la place de Trump??? ». Ouh là là ! Pas de majuscule en début de phrase, pas de « s » au verbe aimer, pas de féminin à « quelle » en accord avec « réaction », pas de blanc insécable avant « ? », deux « ? » inutiles ! Tout faux (en non pas Tous faux, voir plus loin…).

Heureusement on lit souvent aussi : « Je pense que je pourrais y participer (si quoi ?) » (Gilles) et « Si vous m’acceptez, je pourrai participer » (Stéphane). Et c’est évidemment correct. Dans le second cas une phrase comme « Si vous m’acceptiez, je pourrais participer » aurait eu quasiment le même sens, sauf que, utilisant les modes Subjonctif et Conditionnel à la place de l’Indicatif, l’auteur aurait laissé subsister un flou sur sa participation, même après l’acceptation envisagée…

En résumé : « futur = pas de « s » + prononciation « é » + événement certain », alors que « conditionnel = avec « s », prononciation « è », événement possible sous condition ».

 

Plus subtile, il y a aussi la confusion entre « tout » et « tous » ; par exemple, dans les phrases « tout bronzés » et « tous bronzés », les deux mots n’ont pas le même statut ; « tout » est un adverbe, que l’on peut remplacer mentalement par « entièrement » ; il est donc invariable…

Quant à « tous bronzés », cela signifie évidemment qu’il n’y a pas un gars qui ne soit pas bronzé.

 

Pour clore (provisoirement) cet inventaire, je mentionne cette manie des journalistes, quand ils parlent des forces de police, qui consiste à employer les mots « effectif » et « personnel » comme s’ils désignaient des individus. Or ce sont des « collectifs ». Il est donc aberrant de dire « cinq cents effectifs (ou personnels) vont être déployés » ! Disons plutôt « cinq cents policiers » ou « cinq cents agents de police ».

 

Et quelle est donc la réaction des personnes que l’on corrige (poliment, précautionneusement) ? Quelques-uns le prennent très mal et ripostent par un « vous n’avez que cela à faire ? » ou bien « intéressez-vous plutôt au fond »… Mais je dois dire que la plupart du temps, les réactions sont courtoises et positives ; du « désolé, c’est un lapsus » au « merci beaucoup, j’ai appris quelque chose ». Preuve que, malgré l’américanisation, malgré le snobisme qui en découle, malgré les renoncements de beaucoup d’établissements scolaires… le Français chérit sa langue (maternelle ou non) et l’orthographe qui en est la manifestation la plus spectaculaire, avec sa logique implacable et ses exceptions merveilleuses qui « confirment la règle ».

08/07/2024

Vézelay : suite littéraire

J’ai découvert Vézelay et sa célèbre basilique le jour de Pâques 2024 (cela ne s’invente pas...). À l’origine de ce « pèlerinage », une double méprise : je croyais que le chantre de ce haut lieu du catholicisme était Claude Roy, dont je possédais deux livres (« Léone et les siens » (1963) que j’avais lu il y a longtemps, et « Le malheur d’aimer », 1958) et non pas Jules Roy (ancien colonel de l’armée française, ami d’Albert Camus et de Jean Amrouche, auteur de « La guerre d’Algérie » et de « Diên Biên Phu ») et par ailleurs, je croyais que le site était la fameuse « colline inspirée » de Maurice Barrès ! Tout faux !

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Lors de cette première visite, j’ai été frappé non par « l’esprit des lieux » mais par l’envoûtement qu’il a suscité chez nombre d’intellectuels et d’artistes (nous y reviendrons). J’ai alors décidé de commencer un « cycle Vézelay » dans mes lectures, suivant en cela ma méthode d’orientation inspirée de la bibliothèque de Warburg.

Remontant la rue Saint Étienne, j’achète à la librairie L’or des étoiles : « Histoire de Vézelay » de Bernard Pujo et « Vézelay ou l’amour fou » de Jules Roy, que je lis dans la foulée mais bien décidé à ne pas en rester là.

L’occasion m’est donnée de revenir à Vézelay, pour m’immerger et enquêter plus avant, à la Pentecôte (cela ne s’invente pas...), suite à un conclave musical dans le Morvan consacré au jazz...

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Une fois installé dans le village où Serge Gainsbourg a passé les six derniers mois de sa vie et où on peut admirer l’incroyable église Saint Pierre, je visite les environs : lieux profanes (les fontaines salées vieilles de 4300 ans...), lieux de mémoire (les maisons et les tombes des célébrités) :

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La maison de Georges Bataille        La maison de Théodore de Bèze

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La maison de Désiré-Émile Inghelbrecht               La maison de Max-Pol Fouchet    

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La maison de Jules Roy, au pied de la Basilique

Le cimetière, en contrebas, est particulièrement émouvant. Voici la tombe de Rosalie Vetch (1871-1951), l’amour de toujours de Paul Claudel qui est venu à Vézelay pendant l’Occupation pour la confier à son camarade du lycée Louis Le Grand, Romain Rolland... Sur sa tombe, des roses, évidemment, que des mains amies renouvellent sans doute régulièrement...

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 Et bien sûr je m’intéresse à la Basilique et à sa symbolique (la lumière, le narthex, les chapiteaux...), que nous fait découvrir un jeune architecte de la « Maison du visiteur ».

Basilique de Vézelay 2_resultat.jpg

Comme je me l’étais promis, je fais ma moisson de livres à la librairie de la rue St Étienne : « La Madeleine de Vézelay » de Jean-Claude Mondet, « Vézelay » de Jean Lacoste, « Romain Rolland » de Stefan Zweig,  puis « Au-dessus de la mêlée » et « Jean-Christophe » de Romain Rolland lui-même, « La colline inspirée » de Maurice Barrès, et last but not least les merveilleuses « Lettres à Ysé » de Paul Claudel, auquel me lie une innocente légende familiale. À l’heure où j’écris, j’ai lu cinq de ces livres... Que de travail de compte rendu devant moi !