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29/09/2025

Dystopies modernes : "Panorama" et "Et toujours les Forêts" ; critique II

« Et toujours les Forêts » maintenant... Notons d’abord que « les Forêts » (avec un F majuscule) est le nom d’un village dans le roman et que, s’il est écrit avec cette graphie sur la page de couverture, la majuscule a bizarrement disparu du titre rappelé sur les hauts de page. Un signe, sans doute, que les personnes chargées de la typographie n’ont pas lu le livre, parce que l’auteur a bien manifesté le fait que l’origine de Corentin (les Forêts) est un élément déterminant de la suite de son existence après la catastrophe.

Il s’agit donc, à première vue, de l’histoire de Corentin, que sa mère Marie avait détesté, puis abandonné ; il faut 50 pages environ (sur les 334 du livre) pour qu’il arrive à l’âge adulte, longue mise-en-bouche au cours de laquelle est évoquée de loin en loin le changement climatique qui achève de dessécher ce coin perdu et miséreux qui s’appelle Les Forêts. À ce point on ne sait pas vers quoi va basculer le récit : une histoire de résilience (du genre « Sans famille »), l’étude sociale d’un milieu déshérité et marginal (du genre le début de « Deliverance »), une prospective écologique... Mauvaise pioche ! Le basculement arrive alors que Corentin, une fois de plus, fait la fête avec ses copains étudiants dans les catacombes : la fin du monde !

Et le lecteur est plongé dans le récit d’une « longue marche » vers les Forêts, dans ce que les Américains appelleraient un « road movie », un peu comme dans « Moon Palace » mais mâtiné d’Île mystérieuse (Jules Verne) ou de Robinson Crusoé (Danien Defoe). Sandrine Collette nous balade alors sur les pas de notre héros Corentin qui essaie de survivre dans ce qui reste d’un monde dévasté par un cataclysme d’origine inconnue (qu’elle nomme « la chose ») . C’est fastidieux et lassant, malgré un rythme à base de phrases courtes et malgré les évènements qui pimentent le chemin comme autant de petits cailloux (une voiture calcinée qui roule sur les jantes, des magasins ouverts à tous les vents, la pluie acide qui se met à tomber...). Pour que la catastrophe ne soit pas totale et qu’il y ait une issue et quelques jokers à la disposition de la narratrice, un chiot aveugle a survécu et se trouve sur la route de Corentin... cela pourra servir ultérieurement. Plus tard une lumière luit dans un hameau.

Ne déflorons pas plus avant ce roman-fleuve (qui fait aussi penser à « Cent ans de solitude », toutes proportions gardées ; page 265, clin d’œil, on lit : « dix ans de solitude »...) dans lequel se déploie l’inventivité de Mme Collette, qui est grande ! En particulier ne disons pas quelles personnes improbables notre héros va retrouver dans ce no man’s land... Les événements – les rebondissements – se succèdent, entrecoupés de considérations répétitives (« il n’y a plus rien », « il n’y a plus personne », « à quoi sert de continuer à se battre »...), visant à traduire la lassitude et le désespoir de Corentin ; objectif atteint, le lecteur lui-même s’impatiente ! La fin, elle est comme dans les westerns ; ça tombe bien, ils partiront vers l’Ouest...

Notons quelques formules au style relâché, voire incorrect :

« Corentin avait trop chaud, il avait trop sec. La ville l’étanchait » (page 52).

« Ils dépassaient les lieux autorisés, éboulaient les murs... » (page 54). [manie, sans doute « pour faire américain » d’utiliser des verbes intransitifs en mode transitif]

« dont ils n’étaient pas certains qu’elles débouchent sur autre chose » (page 54), au lieu de « débouchassent ». [concordance des temps avec « étaient »]

« dont ils étaient si aigument conscients... » (page 57), au lieu de « aigûment » ou « aiguëment ».

« Il faudrait attendre plusieurs heures pour qu’ils retrouvent un semblant de conscience, pour qu’elle explique l’inexplicable, et qu’il y ait dans leurs cinq regards la même peur qu’il y avait eue dans les yeux de ceux qui étaient morts » (page 65).

« Il grattait les plaies pour ne pas qu’elles se referment » (page 96) et « Elle mordait un chiffon pour ne pas que cela fassedes hurlements » (page 246). [« pour ne pas » est suivi de l’infinitif]

« Qu’elle était tellement assez vieille pour mourir » (page 139).

« Alors, il se dit que ses jambes ne pouvaient plus arquer » (page 146).

« Les jours trop vites, alors que les heures ne passaient pas » (page 240). [« vite » est un adverbe]

Voilà donc deux livres récents, de la catégorie dystopies, que j’ai lu sans passion mais sans effort. Et je me pose la question suivante : à quoi servent ces 500 livres publiés à chaque rentrée littéraire (il y a heureusement de nombreuses exceptions, dont ceux d’Alain Mabanckou, de Sylvain Tesson et de quelques autres) ?

Bien sûr, à chacun ses goûts, à chacun de chercher (et de trouver) dans la lecture ce qu’il veut : enrichissement, ouverture, découverte, dépaysement, distraction, occupation, stimulation... Un tel préfèrera les romans, un autre la poésie, d’autres encore l’anticipation, l’enquête policière, le fantastique, les traités de géopolitique ou d’économie, les études sociologiques, les essais... Mais in fine pourquoi préférer les productions contemporaines à l’œuvre indépassable de Proust, de Hugo, de Balzac, de Zola, de Colette, de Giono et j’en passe ?

27/09/2025

Dystopies modernes : "Panorama" et "Et toujours les Forêts" ; critique I

On sait qu’une dystopie est un récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre (Dictionnaire Le Robert). Le célébrissime « 1984 », de George Orwell, en est l’exemple (et le modèle ?) incontournable.

Je n’aime pas les dystopies (et encore moins la science-fiction) ; je n’aime que les regards vers le passé, à la rigueur sur le présent (c’est sans doute lié à ma préférence pour la synthèse plutôt que pour l’analyse).

Mais, à deux reprises depuis un an, on m’a offert deux publications du genre : « Et toujours les forêts » de Sandrine Collette (notez les deux l du patronyme) chez J.-C. Lattès en 2020 et « Panorama » de Lilia Hassaine chez Gallimard en 2023 (mais que j’ai lu en Folio). Chose un peu étonnante ces deux ouvrages ont été couronnés, le premier par le Grand prix RTL-Lire et le second par le Renaudot des lycéens (il ne manque que le Grand prix décernés par les auteurs contemporains eux-mêmes, façon Victoires de la musique ou Césars du cinéma, et le compte sera bon...).

Commençons par « Panorama », c’est le plus facile (252 pages en Folio)... Il s’agit d’une enquête policière, en 2050, sur la disparition d’une famille, avec des références récurrentes à notre époque. Que s’est-il passé initialement en 2029 ? Un crime odieux, mais « compréhensible », déchaîne une « semaine de la vengeance » qui n’est enrayée que par le mouvement « Transparence citoyenne ». Qu’est-ce à dire ? Eh bien, la société décide de devenir « transparente », au point que toutes les habitations sont vitrées et que l’on peut voir vivre ses voisins chez eux... L’objectif est, en éradiquant tout mystère, toute cachotterie, d’éliminer la violence et les actes délictueux. Toutes les habitations ? Pas tout à fait, puisque des quartiers ont le droit de ne pas adhérer à cette révolution moyennant de renoncer à la protection de la société et de devenir des zones de non-droit. Évitant le manichéisme, le procédé romanesque est habile, et le livre est bien construit, logique...

Lilia Hassaine à Deauville.jpg

Jérôme Garcin parle dans le Nouvel Obs de « thriller d’anticipation avec, en prime, délicatesse et humanité »... Comme chantait Guy Béart, « j’ai vu les Dames, j’ai pas vu Dieu » ! En d’autres termes, je n’ai vu ni délicatesse ni humanité... D’ailleurs ce n’est pas le sujet : l’ouvrage ne se veut pas littéraire ; ni descriptions ni lyrisme, style journalistique clair et sans fioriture, intrigue au niveau des téléfilms policiers régionaux de France 3. Je ne vois guère qu’un mérite au petit livre de Mme Hassaine : c’est une réflexion intéressante sur la notion de transparence. De ce fait le dernier chapitre « 17 novembre 2050 » est le meilleur de tous : « On a beau noircir des pages et des pages, des cahiers et des livres, on reste devant une impasse : nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes » !

Au total il se lit vite et ne fera pas oublier « 1984 » ni sans doute « 2084 », que je n’ai pas (encore) lu mais dont je donne ci-après le résumé paru dans Babélio :

« 2084 : La fin du monde est un roman dystopique de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, publié en 2015, qui dépeint un empire théocratique totalitaire, l'Abistan, fondé sur l'amnésie, la soumission à un dieu unique, la suppression de la pensée autonome et un système de surveillance omniprésent. Le roman critique le radicalisme religieux et l'islamisme intégriste, et a été récompensé par le Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015. Le roman est une réplique à 1984 de George Orwell, transposant le totalitarisme politique vers un totalitarisme religieux. Boualem Sansal dénonce les dérives de l'intégrisme religieux et l'emprise de l'idéologie sur la pensée individuelle ».

23/09/2025

"L'enfance" (Anna de Noailles) : réminiscence

Souvent, l’été, à la montagne, savourant les longues heures de soleil à ma disposition pour faire ce que je veux, sans contrainte ni programme établi, je cherche à me rappeler ce poème d’Anna de Noailles dont nous avions appris un extrait à l’école... À partir de ces quelques mots « tout un jour à courir », je viens de le retrouver (grâce à Google et Wikisource, disons-le ; c’eût été impossible il y a vingt ans...). Il fait partie du recueil « Les éblouissements » paru en 1907, chez Calmann-Lévy. Le voici :

L’ENFANCE

J’étais contente alors, même dans la douleur ;
Mon regard ébloui s’ouvrait comme une fleur. 
La nuit, je pressentais l’aurore aux lèvres d’ambre. 
Je m’éveillais : j’aimais le papier de la chambre ;
Je cherchais à savoir s’il faisait beau dehors ;
Le soleil aux rideaux collait son masque d’or ;
J’écoutais le chant calme et pesant que module 
La forte, l’obstinée et paisible pendule. 
Je me disais : « Il est sept heures du matin ;
Ce sera tout un jour à courir dans le thym,
Près du merisier rose et près de la cigale,
Tout un jour à goûter la feuille et le pétale,
À poursuivre la joie autour des rosiers ronds,
À danser dans l’azur avec les moucherons,
À s’alanguir soudain dans les bleus paysages,
En sentant que l’on a le plus doux des visages… »

Je savais ce que sont la paix et le plaisir. 
Les cieux semblaient moins longs que l’immense avenir ;

Je n’avais de terreur soudaine, de tristesse,
Qu’au moment frissonnant et frais où le jour baisse,
Et je ne croyais pas qu’il y eût d’autre ennui 
Que le souci sacré que nous cause la nuit,
Comme aux oiseaux, comme aux buissons, comme aux corolles. 
Je n’avais pas besoin des êtres, des paroles,
Je m’entendais avec tout l’univers si bien 
Que mon bras étendu me semblait le lien 
Qui rattache à l’espace une petite fille. 
Je me disais « Je suis ce qui luit, ce qui brille ».
J’avais choisi pour sœur d’ardeur, de vanité,
La rose, qui se croit le milieu de l’été. 
Je vivais sans savoir, sans chercher, sans comprendre. 
Quelquefois un parfum trop fort, trop lourd, trop tendre 
M’arrêtait et semblait crier : « N’avance pas ! »
Odeur pleine d’amour qui brûlait sous mes pas,
S’élançant du gazon, des dormantes corbeilles,
Comme un nuage ardent de flexibles abeilles. 
Je tremblais inquiète au milieu du chemin,
Et la bonté du soir me prenait par la main,
Et me rentrait chez moi par la plus douce allée,
Sans que la Volupté m’eût été révélée…
Candeur d’un cœur d’enfant, regard clair et glacé,
Je vous adore, hélas avec un front baissé. 
Pourquoi vous êtes-vous pour toujours endormie,
Ma douce enfance ? ô mon enfance ! ô mon amie !