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11/02/2019

"Déchirez cette lettre" (Michelle Maurois) : critique I

« Déchirez cette lettre » est le troisième (et dernier) tome du récit généalogique que Michelle Maurois, fille de l’écrivain André Maurois, a consacré à la famille de sa belle-mère, à savoir Simone Arman dit de Caillavet, deuxième épouse de son père. C’est encore un gros volume de 477 pages, préface d’Henri Troyat et annexes comprises, dans l’édition Flammarion de 1990. Je l’ai terminé le 31 juillet 2018 sans lever le nez au soleil d’Auvergne, qui était pourtant généreux, et j’ai écrit sans perdre une seconde ma « fiche de lecture » : « Stupéfiant ! Les célébrités, l’homosexualité, la cour de Roumanie, la naturalisation (Simone devient roumaine) et l’incroyable personnage (réel) de Simone, critiquée par sa mère et par sa grand-mère, et elle-même indifférente à sa propre fille ».

Quel enthousiasme ! Et pourtant quand je regarde ce livre qui attend sur mon bureau depuis presque six mois, que j’écrive ma série de billets, combien de marques de page ont-elles été insérées ? Très peu – quatre seulement – soit huit ou dix fois moins que pour « Les cendres brûlantes » ! Est-ce dû à l’époque qui est en filigrane, au style moins inspiré de l’auteur, à l’invraisemblance même de la vie de Simone ? Je ne sais. 

En tous cas, dès l’Avertissement, on voit que Michelle Maurois a ciblé son propos : d’une part c’est Simone, le vrai personnage exceptionnel de la lignée, d’autre part elle retrouve chez elle des « atavismes » venant de Léontine Arman, d’Albert Arman, ses grands-parents, de Marie Pouquet et de Jeanne, mais aucun venant de son père Gaston. Le ton du récit va sans doute s’en ressentir, d’autant que l’époque évoquée est plus proche de nous. Simone, bien avant la médiatisation à outrance et les fameux « réseaux sociaux » considérait que « Tout se sait ici-bas… ce que l’on jette à l’eau remonte à la surface… Et c’est précisément parce qu’il est impossible de tenir secret quoi que ce soit que j’ai pris le parti de la franchise » (page 14). D’où une masse considérable de lettres (reçues et annotées) et de copies de lettres (envoyées) dont Michelle Maurois a hérité et qu’elle a pu classer et exploiter. 

Simone a vingt et un ans quand son père, Gaston Arman, meurt en janvier 1915 à Essendiéras. La saga recommence… C’est la première partie intitulée « Fiançailles ». Étienne Rey, l’un des fiancés de Simone, lui écrit : « Vous courez à votre perte (…). Vous vous acheminez vers le détraquement (…) C’eût été un grand bonheur pour vous que de pouvoir échapper à l’action de votre mère, si funeste sous des dehors maintenant affectueux (…) Il y a chez vous le plaisir d’être compliquée et maladive, le goût de l’intrigue et des histoires, le désir littéraire des sensations, l’esprit d’artifice, l’esprit vaniteux d’être une femme dangereuse, le culte exacerbé du moi et le manque absolu d’équilibre. Joignez à cela une absence naturelle de bonté, peu de générosité d’âme, une éducation déplorable. Il est difficile qu’avec tant d’éléments mauvais, vous ne soyez pas en effet détraquée et vouée à tous les périls et à toutes les déchéances des femmes détraquées… Mais il y a aussi autre chose en vous, des aspirations plus nobles, l’intelligence de ce qui est beau et à un certain moment le désir de la dignité morale et de la véritable valeur personnelle » (page 48). Ça commence bien ! 

Début 2016, elle se plaint d’être « dans la dèche » ; il lui faut payer l’abonnement au téléphone, le gaz et l’électricité (à Paris, on a donc déjà tout cela !). Mais elle est amie avec Nadine de Rothschild et fait de longs séjours à l’abbaye des Vaux de Cernay (c’est resté un endroit enchanteur).

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En 1917, Simone publie des vers et écrit des chroniques dans plusieurs journaux. « Le 27 mai, Paul Morand note dans son journal : Les auteurs de Parade sont désespérés. Ils retirent leur ballet. Simone de Caillavet, qui, à vingt-deux ans, fait la critique dans Le Gaulois, éreinte le spectacle. Marcel Proust demande à Paul Morand : Comme vous serez gentil de m’envoyer l’article de Mlle de Caillavet sur les Ballets russes. Je ne la connaissais pas comme critique » (page 73).

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C’est la guerre, Simone est restée à Paris. « Le spectacle de la lâcheté publique fortifie ma résolution inébranlable de demeurer ici » (page 153). Les Allemands sont à Villers-Cotterêts et l’on craint qu’avec leur grosse artillerie ils ne bombardent Paris. « Die dicke Berta schuss nach Paris » (Wolfgang Borchert, « An diesem Dienstag », 1947).

En août 1539, François Ier a signé à Villers-Cotterêts une ordonnance restée célèbre sous le nom « d’ordonnance de Villers-Cotterêts ». Les articles 110 et 111 ont fait la célébrité de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en imposant la rédaction des actes officiels et notariés en français et non plus en latin, faisant de facto du français la langue officielle de la France (source Wikipedia).

Et, en 1802, naissait dans cette ville, Alexandre Dumas, le romancier le plus populaire du XIXème siècle.

04/02/2019

"Crime et châtiment" (Fédor Dostoïevski) : critique II

Il ne fait pas bon penser à contre-courant et mépriser un texte que la majorité considère comme un chef d’œuvre, un texte à lire et à relire, un livre que tout le monde doit avoir lu, le plus accessible de ce pilier de la littérature russe qu’est Dostoïevski (Diable ! aurai-je le courage d’attaquer « Le joueur », « Les possédés » et « Les frères Karamazov » ?). Je me suis donc penché sur les commentaires des passionnés du site Babelio à propos de ce roman… Ils sont dithyrambiques ! Et surtout très fouillés. Ce sont des analyses que, faute de compétences universitaires en la matière et faute d’attirance pour le coupage de cheveux en quatre, je ne sais pas – et ne veux pas – faire.

Untel voit dans « Crime et châtiment » non pas un mais quatre criminels. Un autre identifie deux scènes d’anthologie. En particulier, le jeu du chat et de la souris entre le policier et le criminel – qui reste bien énigmatique, soit dit en passant – est considéré comme un monument de mise en scène. Un autre encore y voit un roman social…

Clara Dupont-Monod, sur France Inter le 22 novembre 2018, a fait un parallèle convaincant entre « Crime et châtiment » et « Thérèse Raquin » de Zola, deux romans qui décrivent la punition infligée à un criminel après son crime : il y pense sans cesse et ne peut plus vivre comme avant.

Bref, je suis passé à côté de la plaque des spécialistes !

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Reste la Sibérie de l’épilogue qui m’inciterait à commencer « L’archipel du Goulag » qui attend sur ma table de nuit, histoire de bien terminer l’année 2018.

31/01/2019

"Crime et châtiment" (Fédor Dostoïevski) : critique I

« Crime et châtiment » a été publié par Fédor Dostoïevski en 1866. Je viens de terminer les deux tomes de l’édition du Cercle du bibliophile (1967) et ce fut laborieux car le moins que l’on puisse dire est que cette histoire de crime odieux vécu « en direct » dès le début du roman, suivi de huit cents pages de digressions oiseuses et de tergiversations morales, ne m’a pas passionné. Seul l’épilogue est émouvant, même si la rédemption du criminel était prévisible ; il m’a fait penser au magnifique final du film « Le barbier de Sibérie », à cause de la Sibérie bien sûr et du caractère hors du commun – voire illuminé – des deux « héros ».

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On est ici, pour moi, dans une catégorie intermédiaire d’œuvre littéraire : il y a les livres passionnants, magiques, profonds, qu’on ne peut lâcher avant la fin (« Un de Baumugnes » de Jean Giono, « L’amour au temps du choléra » de Gabriel Garcia-Marquez, « Laure du bout du monde » de Pierre Magnan, « Du bist nicht so wie andre Mütter » d’Angelika Schrobsdorff) et, à l’opposé, les livres qu’on abandonne au bout de dix, cinquante ou même cent pages, faute d’accrocher à l’histoire (« La Gana » de Fred Deux, « Route des boutiques obscures » de Patrick Modiano) ou au style (« Femmes » de Philippe Sollers, « La route des Flandres » de Claude Simon).

« Crime et châtiment » est d’une autre catégorie : il se lit facilement, le style est simple, direct, alerte (on ne s’ennuie jamais vraiment car les saynètes se suivent et ne se ressemblent pas) ; mis à part le fait que des situations bizarres ou des dialogues « elliptiques » laissent subsister zones d’ombre et ambigüité, on a envie de savoir ce qu’il adviendra du sombre héros du roman, aux prises avec ses rêves de grandeur, son complexe du surhomme, son égoïsme, son détachement de tout et, néanmoins, ses restes de principes moraux, d’amour filial et de compassion. Donc, on va au bout, sans enthousiasme.

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Ai-je puisé dans cette épreuve matière à réflexion, à défaut de plaisir ? Même pas car je n’ai jamais pu, à aucun moment, me reconnaître dans aucun des personnages ni aucune situation. Quant à connaître pour comprendre, et comprendre pour excuser, la psychologie d’un criminel… non, je passe mon tour.

Le talent de l’écrivain est réel : trame bien construite, dialogues crédibles, ambiance et contexte bien rendus. Mais certaines ficelles de romancier sont par trop invraisemblables, comme la « pièce intermédiaire » au chapitre IV de la quatrième partie, qui permet à Svidrigaïlov d’entendre, sans être repéré, la confession de Raskolnikov à Sonia…

Passons – car ce n’est « la faute à personne » – sur les patronymes russes et les prénoms à rallonge, typiquement russes j’imagine, mais qui sont impossibles à mémoriser et nuisent à la clarté du récit. Il paraît que Faulkner n’hésitait pas à faire pire… cela ne me console pas. 

Bon, c’est un roman mais à visées philosophiques et psychologiques. Mais non pas policier comme je l’ai lu quelque part ! Au total, c’est tout sauf distrayant, peut-être un cas à étudier à l’École nationale de la magistrature ?

PS. Je ne lâche jamais l’affaire ! Même les livres abandonnés prématurément, j’ai l’ambition de les reprendre et de les terminer un jour.