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15/12/2016

Culture générale : lettres et philosophie

Dans les années 2000, voici les lectures qui étaient conseillées dans le cadre du cours de culture générale, pour la préparation aux concours des Grandes écoles de commerce françaises :

L’Orestie

Eschyle

Antigone

Sophocle

Œdipe

Sophocle

Qu’est-ce que la philosophie antique ?

Pierre Hado

Apologie de Socrate

Platon

Gorgias

Platon

La république

Platon

Manuel

Épictète

Pensées

Marc-Aurèle

Éthique à Nicomaque

Aristote

Le Cid

Corneille

Horace

Corneille

Cinna

Corneille

Tartuffe

Molière

Dom Juan

Molière

Le Misanthrope

Molière

Andromaque

Racine

Phèdre

Racine

Montesquieu

Lettres persanes

Contes philosophiques (au moins Candide)

Voltaire

Les liaisons dangereuses

Choderlos de Laclos

Le Père Goriot

Balzac

Eugénie Grandet

Balzac

Les illusions perdues

Balzac

Le Rouge et le Noir

Stendhal

La chartreuse de Parme

Stendhal

Madame Bovary

Flaubert

Germinal

Zola

L’assommoir

Zola

Au bonheur des dames

Zola

Du côté de chez Swann

Proust

Les faux monnayeurs

Gide

La nausée

Sartre

Les mots

Sartre

L’étranger

Camus

Moderato cantabile

Duras

Enfance

Sarraute

Cette liste contient 37 œuvres…

Lesquels d’entre nous en ont lu (et mémorisé ?) la moitié ?

Sommes-nous des incultes généraux ?

05/12/2016

"Comment peut-on être français ?" (Chahdortt Djavann) : critique II

« Mon arrivée à Paris fut une fête (…). On pouvait à loisir se promener où l’on voulait quand on voulait ? Aucune police des mœurs ne décidait à votre place de ce qu’il vous était loisible de dire ou de faire ? Il faut avoir connu les rigueurs de l’obscurantisme pour apprécier à leur juste valeur les joies simples de la vie quotidienne, dont ceux qui n’en ont jamais été privés, à mesure qu’ils en perdent la saveur oublient la nécessité. Marcher tête nue sous la bruine d’automne ou au premier soleil du printemps, prendre un verre à la terrasse d’un café, faire la queue à la porte d’une salle de spectacle en bavardant avec ses voisins sans considération de leur sexe, se laisser aller, chantonner, rêver, prendre le bras de celui qui vous plaît et, pourquoi pas ? l’embrasser en public sans gêne particulière : toutes ces attitudes, tous ces gestes qui paraissent naturels aux jeunes Parisiennes d’aujourd’hui sont impensables dans le pays d’où je viens, le pays de la peur et de la honte (…). Les femmes ne naissent toujours pas libres dans les pays musulmans. Elles restent soumises à la nécessité de leur condition, établie par les dogmes. Les fillettes sont souvent voilées dès l’âge de six ans car, aux yeux des religieux, il n’est jamais trop tôt pour priver les gens de la liberté. » (page 156). 

Le passage à la forme épistolaire fait basculer le roman et l’oriente, une fois de plus, dans une autre direction. Car, dans ses lettres à Montesquieu, Roxane décrit et dénonce le cauchemar imposé par les mollahs au peuple iranien. Dix ans après la publication de ce livre « Comment peut-on être français ? », c’est toujours d’actualité, malheureusement. 

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Roxane raconte l’histoire de sa famille et, au-delà, de son pays : « Pendant plus de cinquante ans, de 1925 à 1978, des réformes et des évolutions de tout genre ont balayé les lois féodales qui avaient régi la société iranienne durant des siècles. L’Iran a connu un essor important et beaucoup de nouveaux riches ont grimpé sur les collines d’Alborze, au nord de Téhéran, et se sont installés dans des villas (…). Le voyage de l’Iran à Paris n’était pas simplement un déplacement dans l’espace et un changement de pays mais surtout un voyage dans le temps. La preuve : nous sommes en l’an 2000 en France et en Iran en 1379. Comment peut-on vivre en 1379 en l’an 2000 ? Les mollahs ont tout falsifié dans ce pays, le temps et l’histoire, même les actes de naissance des Iraniens, même le calendrier. Sur les photos d’identité, toute femme, toute fillette est voilée, et sur le passeport de tout Iranien, la photo de Khomeini, le mollah des mollahs, apparaît en filigrane sur toutes les pages (…). Lorsqu’ils ont usurpé le pouvoir, nous étions en 2538, selon la datation qui partait de la création de la dynastie des Sassanides et de la fondation de Persépolis. Les mollahs ont rembobiné la marche du temps et nous ont ramenés en 1357, selon la datation qui partait de la création de l’islam et du départ de Mahomet de Médine vers La Mecque » (pages 171 et 172). 

Roxane a un oncle d’Amérique, qui s’appelle Sam (évidemment) et qui vient leur rendre visite : « Le séjour de la famille de l’oncle Sam (…) m’a permis de comprendre les avantages qu’il y avait à ne pas comprendre la langue de sa famille. Comme il était déjà trop tard pour que je ne comprisse pas le persan, je me suis dit que, quand je serai grande, j’irai moi aussi à l’étranger, loin, et apprendrai une autre langue (NDLR : il y a ici l’une des rares fautes de français de l’ouvrage ; une faute « bien française » ! C’est évidemment le conditionnel qu’il aurait fallu employer : que, quand je serais grande, j’irais moi aussi ; la faute vient de la confusion entre les styles de narration direct et indirect). (…) À l’époque, pour être honnête, je croyais que ce serait l’anglais. Mais aujourd’hui, je préfère que ce soit le français » (page 191). 

Page 217, je retrouve des souvenirs personnels : « Tous les dimanches, à l’exception des jours de grand froid ou de pluie torrentielle, Roxane se levait de bonne heure. Elle allait au Luxembourg. Elle se préparait un sandwich royal : une demi-baguette fraîche garnie de feuilles de salade, de tomates coupées en rondelles, de fins cornichons, et, bien sûr, de deux tranches de jambon (NDLR : savourez le bien sûr…). (…) Elle emportait son viatique préféré, À la recherche du temps perdu – le temps perdu, Roxane savait ce que c’était –, ainsi que son compagnon de toujours, son Micro-Robert ». N’est-ce pas un miracle qu’une jeune Iranienne, traumatisée par ses années de jeunesse sous le règne des mollahs, porte aux nues l’œuvre qui est comme la quintessence du génie littéraire français, et qu’elle la lise, comme tous les étudiants du Quartier latin que nous avons été, sur un banc du Luco, armée d’un sandwich ? 

« C’est une chose bien étrange : dans ce même moment de notre histoire où certains hommes s’emploient à triompher des maladies jusqu’ici invaincues, à visiter les astres ou à reproduire l’énergie du soleil, d’autres ne se soucient que du voile des femmes ; ils se demandent quel tissu, quelle couleur, quelle longueur seraient aptes à mieux dissimuler la chevelure des femmes, de quel pied, le droit ou le gauche, il faut entrer dans les toilettes, et s’il est permis de manger une volaille sodomisée… » (page 266).

Que n'a-t-on lu Djavann plus attentivement en 2006 ! Ses mots résonnent aujourd'hui de cruelle façon : "(...) Il ne manque pas de mollaks, comme vous dites, pour les pousser dans cette voie, et quelques-uns sont même partis faire la guerre qu'ils appellent Djihad en Afghanistan. Les malheureux ! S'ils avaient la plus petite idée de ce qu'est un régime religieux, je pense qu'ils rougiraient de prétendre échapper aux duretés de l'exclusion par les folies de l'aliénation. Je crois bien que, s'ils jugeaient les pays qui leur servent de modèles et d'inspirateurs à l'aune de leurs exigences lorsqu'ils jugent celui où ils vivent, ils se persuaderaient aisément que leur avenir n'est pas ailleurs et qu'ils ont mieux à faire, ici, que de veiller à la vertu de leurs sœurs faute de les égaler à l'école" (page 247).

Envahie par la nostalgie, tiraillée par ses souvenirs, écartelée entre deux cultures si différentes, isolée, seule, Roxane va de plus en plus mal. Les lettres à Montesquieu ne suffisent plus à adoucir son mal-être.

Le drame est proche. « Être arrêté sans avoir rien fait est si familier aux Iraniens que l’univers kafkaïen est leur lot quotidien. Nuit et jour, il y a des situations tout droit sorties des romans de Kafka dans les rues de l’Iran » (page 274). 

Je ne dirai rien des derniers chapitres ; le conte de fées bascule dans l’horreur ; on comprend l’itinéraire de Roxane, pourquoi et comment elle est arrivée à Paris, pourquoi et comment elle ne peut surmonter son traumatisme initial, pourquoi et comment la névrose s’est installée, et on espère qu’elle va réussir à en triompher, un jour, sans en être complètement sûr.

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J’ai été épaté par l’excellence de la construction de ce roman, qui brouille les pistes et ne cible son vrai sujet qu’à sa moitié. Par la qualité de sa langue aussi, deuxième langue seulement de son auteur. Par l’intensité et l’actualité de son sujet. On comprend le choix de Chahdortt Djavann de le présenter sous la forme d’un roman, alors que c’est un cri de douleur et protestation, un témoignage, un livre militant pour la liberté et contre l’oppression religieuse. Seul le titre m’a dérouté, et d’ailleurs induit en erreur ; je pensais qu’il s’agissait d’un livre sur la langue française ou, au moins, sur le mode de vie français… Bien sûr, c’est une allusion à Montesquieu mais cela induit une sorte de malentendu sur le vrai sujet du livre. 

À lire et à recommander !

01/12/2016

"Le bel aujourd'hui" (Jacques Lacarrière) : critique

Jacques Lacarrière est un helléniste et poète (bien qu’à ma connaissance il n’ait écrit qu’en prose) qui s’est fait connaître en 1976 par son merveilleux « L’été grec, une Grèce quotidienne de 4000 ans ». Il connaissait ce pays comme sa poche, la sillonnant depuis 1947. Il avait écrit plusieurs livres sur les auteurs grecs, anciens et contemporains. Écrivain un peu en marge, il était aussi un homme perpétuellement « en marche », publiant à la même époque « Chemin faisant », un récit de quatre mois de ballades à travers la France, genre littéraire aujourd’hui fort en vogue dans lequel se sont illustrés Jean-Christophe Rufin, Jean-Paul Kaufmann et Axel Kahn, pour ne citer qu’eux. Le destin cruel a voulu qu’il disparaisse en 2005 à la suite d’une banale opération du genou… 

Je n’avais pas oublié « L’été grec », dont je suis allé naïvement chercher des réminiscences sur le terrain, sans avoir la culture ni le bagage linguistique de Jacques Lacarrière. C’est dire si je n’ai pas hésité à acquérir ses « Lectures pour le temps présent » publiées en 1989 sous le titre enchanteur « Ce bel aujourd’hui ».

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L’idée de ce petit ouvrage composé d’une trentaine de courts chapitres est simple mais originale : décrire ses coups de cœur, ses émotions, ses rêves éveillés depuis l’enfance, devant les réalisations humaines, souvent décriées par leurs contemporains. Et Jacques Lacarrière de s’enthousiasmer pour les raffineries, les paquebots, les trains, les automobiles, les viaducs, etc., là où d’autres ne voient que du machinisme, des fumées nauséabondes, des pollutions ou simplement des objets utilitaires et sans âme. Étonnant pour un littéraire qui a fait Langues O’, non ? 

Ce n’est pas tout. Il ajoute une seconde idée à la première : dans une petite annexe à chaque chapitre, il questionne ses propres réactions, les mettant en perspective (comme disent les journalistes) et posant des questions au lecteur (a-t-il vu les choses comme cela ? connaîtrait-il d’autres artefacts du même phénomène ?). 

Tout cela est bel et bon, empreint de poésie et de nostalgie pour ceux qui ont connu les temps qu’évoque Jacques Lacarrière ; il peut y avoir des madeleines là-dedans : le boogie-woogie, la bande dessinée, le blues, les Bugatti et les Buick, les moissonneuses-batteuses… 

Le livre est bien écrit, avec parfois des formules originales ou précieuses : « J’ai passé mon enfance dans un monde engoué de mécanique » (page 10 de l’édition J.-C. Lattès), « Un ciel strié (…) de milliers de moutons d’écume paissant l’abîme » (page 18), « Des grottes inattendues s’éploient en ces hauteurs » et « Peut-être parce qu’ils sont les seuls au monde à demeurer encore intacts en leur empyrée » (page 19), « à épier cet envers de métal ténébreux où gisaient, où gîtaient les lettres, comme si j’allais y découvrir la source et le secret des mots » (page 22), « Les noms de ces derniers (…) évoquent les huit enfants d’une famille asine » et « Partout les relents nidoreux d’une alchimie transmutant jour et nuit l’or des planctons fossiles » (page 30). 

Beaucoup de poésie aussi : « Nuit, pluie et vent : temps rêvé pour les fantômes de l’autoroute. Ils surgissent alors de partout, des halos hallucinés des phares, des rosaces d’eau folle s’effeuillant sur les pare-brise, des faisceaux errants traversant votre route. Faisceaux blancs, jaune et rouge, quelquefois bleu et vert quand d’énormes cargos vous croisent ou vous dépassent, par bâbord ou tribord amure, dans un jaillissement d’écume. Ce sont alors, de tous côtés, des lueurs de balises affolées, des appels de bateaux en détresse, et l’on se sent naviguer dans une nuit sans repères ni amers, entrecoupée d’éclairs, de signaux ivres, d’éclats intermittents au loin, dont ni la durée ni le code ne figurent sur quelque Traité de navigation sur autoroute » (page 93). 

« Avec Incandescence, Luminescence et Fluorescence, notre siècle a trouvé pour la nuit des villes des lumières et des fées nouvelles. A créé des milliers de soleils dociles, de lunes inépuisables. Inventé des minuit aussi radieux que des midis. Des ombres et des pénombres immaculées. Et des nuits aussi blanches que des étés arctiques » (page 216).

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Parfois c’est maladroit : « Le mystère s’éclaira des années plus tard » (page 37) (peut-être a-t-il voulu écrire « s’éclaircit » ?).

Parfois c’est savant et inspiré : « Musicalement, il se caractérise par une basse continue tenue par la main gauche, comprenant huit croches par mesure (avec une alternance croche pointée / double croche) et par des variations mélodiques de la main droite à partir de ce rythme (…) Un boogie-woogie, c’est un orage qui gronde en permanence sous la main gauche tandis que la main droite invente les facéties du vent » (page 45).

Aimant le jazz, Jacques Lacarrière, ce n’est pas étonnant, aimait aussi le Fou chantant : « (…) les enfants s’ennuient le dimanche mais moi je ne me suis pas ennuyé un seul dimanche en écoutant Charles Trénet. (…) Il serait pourtant erroné – peut-être même inexact – de ne voir en Charles Trénet qu’un chanteur et un compositeur moderne car je vois en lui le plus jeune et le plus accompli des troubadours d’Occitanie. (…) Sur sa route enchantée, un rien le fait chanter : un pigeon qui vole, un facteur qui s’envole, un écho, un coquelicot ou un cocorico. Sur le chemin, ses pieds mouillés font flic flic flac, et la cloche répond ding dung dong au glou glou de tous les dindons. Dindons, clochers, bergères, bergers, les images de Charles Trenet ressemblent parfois aux dessins ruraux de Benjamin Rabier. Mais elles ont en plus la fantaisie, la poésie, elles chantent un univers peuplé d’elfes amoureux effeuillant des fleurs bleues sur des chemins heureux, et d’êtres malheureux attendant l’amour fou dans une chambre à deux où papa pique et maman coud. (…) La vraie nature, le vrai visage de Charles Trénet : ceux d’un troubadour qui aurait étudié à l’école de Duke Ellington et de Django Reinhard » (page 163)

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C’est pratiquement toujours très documenté, y compris sur le plan technique. Voici ce que dit l’helléniste Lacarrière des éoliennes : « Pourtant, malgré leur aérodynamisme, leur conception ultra-moderne, elles sont bien plus fragiles que les anciens moulins à vent. Ces derniers ont abouti à une perfection, une longévité inégalées (…). (Il donne l’exemple de l’éolienne géante des îles de la Madeleine au Québec). Elle mourut donc des suites d’une résonance mécanique, ce qui ne se produisait jamais, on s’en doute, avec les vieux moulins en bois. Pourtant, j’en suis certain, l’avenir est aux éoliennes. Elles sont faciles à implanter, ne nécessitent aucune infrastructure particulière, ne polluent pas et ne font aucun bruit (NDLR : à voir…). (…) Les éoliennes sont aux centrales thermiques ce que les dirigeables sont au jet : des machines sans nuisance, discrètes et silencieuses (…). Au fond, j’ai compris seulement à présent ce que sont les éoliennes de notre temps : des abeilles mécaniques qui butinent le vent et distillent une énergie qu’on nomme douce. Comme le miel » (pages 130 à 132).

Nul militantisme chez Lacarrière, même pas à propos des langues. Voici ce qu’il écrit sur les aéroports : « (…) J’écris aéroport. Mais dans cette ville aux sirènes enjôleuses, aux ménagères cosmopolites, aux habitants chaque jour changeants, dans cette ville où nul n’habite mais qui reçoit le monde entier, dans cette Babel électronique et fourmillante, on ne parle pratiquement qu’une seule langue. Depuis la dernière guerre l’anglais est devenu la langue officielle des nuages quand ils parlent entre eux dans le ciel ou qu’ils conversent avec le sol. En babélien, décollage se dit donc taking off, atterrissage landing, embarquement boarding, boutiques hors taxe duty free shops. Et aéroport se dit évidemment airport » (page 56). Évidemment… tu parles ! On était en droit d’attendre mieux d’un si grand lettré, non ? Même en 1989, quel était donc l’intérêt d’un tel lexique français-globish pour les Nuls ?

On pourrait par ailleurs trouver incohérente son association entre Babel et la langue unique, rester perplexe devant le « s » accolé à « changeant », se demander où il a entendu des « sirènes enjôleuses » et si la « ménagère cosmopolite » a cinquante ans ou plus… Là résident en fait les limites de ce livre : un enthousiasme quelque peu forcé, un esprit de système qui a conduit l’auteur à multiplier les métaphores, les oxymores, les élans lyriques… Très vite, avoir compris les ressorts conduit à l’ennui et on se surprend à lire en diagonale les paragraphes les plus emphatiques et à survoler les émotions les plus surjouées. Naturellement on peut admirer et même trouver esthétique le viaduc de Millau, un peu après avoir trouvé historique celui de Garabit ; mais de là à se pâmer devant tous les avatars de la technique d’hier et d’aujourd’hui, il y a plus qu’un pas.

Cela étant, par ci par là, on apprend des choses ; par exemple sur la naissance de Mickey : « L’événement eut lieu aux États-Unis le 1er janvier 1930, quand parut la première bande de Mickey Mouse et de sa fiancée Minnie Mouse. L’histoire s’intitulait Mickey dans l’île mystérieuse, le scénario était de Walt Disney, les dessins de Ub Iwerks remplacé plus tard par Floyd Gottfredson. Ainsi changèrent les rapports séculaires des souris et des hommes » (page 58).

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Il y a deux chapitres sur la bande dessinée ; dans le second, on lit ceci : « (…) tous sont américains et (…) tous sont des personnages de bande dessinée. Ils ont nom Mathurin Popeye, Illico, Guy l’Éclair, Luc Bradefer et Mandrake (…). L’Amérique d’avant-guerre ne légua pas seulement à l’Europe le jazz, les gratte-ciel et les suffragettes, mais une certaine image de l’homme. De l’homme américain, évidemment. Au fond (je m’en aperçois aujourd’hui) j’ai passé mon adolescence à réfléchir en grec, à écrire en français et à rêver en américain » (page 64). 

Non seulement la technique mais aussi la science le fascinent. Et il en parle savamment : « la topologie finale de l’espace est semblable à celle d’une éponge. Des crêpes géantes (vraiment géantes) entourées de vides reliés entre eux comme des parois d’éponge : voilà enfin la réponse à la question si longtemps posée de la forme de l’univers (…). Je suis heureux d’apprendre que j’ai grandi entre les fils d’une tapisserie cosmique dont les dessins m’émerveillaient déjà lorsque j’étais enfant. Je suis heureux de savoir depuis peu que, homo sapiens et terrien planétaire, je ne suis plus un roseau pensant mais une fibre pensante. Et très heureux aussi de savoir que Dieu, s’il existe, n’est plus un Dieu-potier, un Dieu-maçon mais un Dieu-tapissier » (page 232).

Ce sont les derniers mots du Bel aujourd’hui…

Quel est donc mon verdict, puisque je me suis donné comme règle d’en prononcer un à propos des livres que je lis ?

Il y a tellement d’ouvrages passionnants, émouvants, marquants à jamais, que je ne recommande pas celui-là. Et je ne le garderai pas car je n’aurai pas envie de le relire.

Ouvrons plutôt l’Été grec !

 

PS. « tribord amure ».

Amure(s) à bâbord, à tribord, bâbord tribord amure(s).

Avoir les amures à bâbord, à tribord. [En parlant d'un navire] Recevoir le vent par la gauche, par la droite (définition du TILF)