23/11/2017
"Souvenirs d'une ambassade à Berlin" (André François-Poncet) : critique II
André François-Poncet fut le seul ambassadeur interné et déporté par les nazis. Considéré comme un ennemi de l’Allemagne, il fut d’abord mis en disponibilité, interdit de séjour à Paris, puis séquestré à Grenoble dans sa maison par les Italiens et enfin arrêté et retenu en captivité dans le Tyrol autrichien (page 7).
Malgré sa répulsion et sa méfiance à l’égard du régime national-socialiste, qu’il a vu arriver au pouvoir, il a eu dans un premier temps d’assez bonnes relations avec les chefs nazis et était l’un des rares à s’entretenir directement avec Hitler, sans interprète. En 1936, il a même été invité à déjeuner au Berghof, à Berchtesgaden.
Dans son avant-propos, écrit en 1946, il pronostique l’éclosion de la légende d’Adolf Hitler (qu’il écrit Adolphe Hitler… voir le film « Le prénom » !). « Beaucoup d’Allemands diront de Hitler ce qu’on en disait déjà de son vivant : Il n’a voulu que la grandeur de son pays. Il était patriote. Il était mal conseillé. Il a été trahi par les siens ! (…) On retiendra que, de son temps, le travail abondait, les mesures sociales étaient hardies. On regrettera l’époque où les fêtes étaient magnifiques, où l’univers avait les yeux fixés sur l’Allemagne (…) et, comparant ces souvenirs à la misère actuelle (1946…), on aura la nostalgie d’un passé qui semblera prestigieux ». À ma connaissance, cela ne s’est pas produit, heureusement. Cependant : « L’emprise du national-socialisme sur toutes les couches de la population a, d’ailleurs, été si profonde qu’elle ne saurait disparaître d’un coup, sans laisser de traces » (page 14). En effet, beaucoup d’anciens dirigeants sont restés en place ou se sont reconvertis en Allemagne même ou à l’étranger…
André François-Poncet propose trois exigences pour la période d’après-guerre qui s’ouvre :
« Pendant plusieurs années, il sera nécessaire de mettre l’Allemagne en surveillance, de l’observer avec attention, de la contrôler de près, afin de l’empêcher de se forger, une fois de plus, des armes et de menacer la sécurité de l’Europe ». Rapidement nous avons fait l’Europe de l’acier avec l’Allemagne et le marché commun…
« Convient-il de restaurer un Reich unitaire ? Ce serait, selon moi, faire bon marché des leçons de l’expérience. L’unité allemande a toujours été le support du pangermanisme, le fondement de sa volonté de puissance, de ses appétits d’expansion et de domination. Rétablir, même réduit dans son territoire, un Reich unifié et centralisé équivaudrait à faciliter le réveil du nazisme, la renaissance, sous d’autres formes, du rêve hitlérien, les projets de révolte et de revanche ». Et de prêcher soit pour un partage en trois ou quatre grandes entités, soit de revenir à un État fédéral, avec une Prusse amoindrie. Dès la chute du Mur de Berlin, en 1989, nous avons accepté le souhait de l’Allemagne de Helmut Kohl de se réunifier au plus tôt (en échange, paraît-il, de son accord pour une monnaie européenne unique, l’euro, que ne serait pas, théoriquement, le deutsche Mark).
Et la troisième exigence, qui s’impose aux vainqueurs, selon lui, c’est la dénazification et la rééducation : « Quelque raison que l’on ait de penser que l’immense majorité des Allemands a, plus ou moins, trempé dans le nazisme, on aurait tort de ne pas ouvrir une espérance à eux d’entre eux que la répétition des événements, la ruine du IIIème Reich succédant, par l’action des mêmes causes, à l’effondrement du second, amèneront à réfléchir et à souhaiter que l’Allemagne s’oriente vers des voies nouvelles. Il y en a déjà » (page 15).
La conclusion de l’avant-propos de ce germanophile indiscutable sonne comme un avertissement : « De toute manière, on ne saurait trop rappeler, et particulièrement à nous, Français, que l’écrasement et la dislocation du Reich hitlérien ne suppriment pas le problème allemand. Soixante millions d’Allemands, rompus à la discipline, acharnés au travail et prompts à l’enthousiasme collectif, vivent toujours à nos côtés. Puisse cette simple notion nous préserver des entraînements de la vanité, nous prémunir contre l’excès des divisions et des discordes, nous garder d’un optimisme qui n’est, souvent, que le voile de la légèreté et de l’insouciance, nous inciter, au contraire, à cultiver les vertus graves et fortes, et, d’abord, celle sans laquelle une démocratie reste débile : l’esprit civique ! ».
Et nous avons fait… la Quatrième République…
PS. Ma première critique de ce livre a paru le 2 novembre 2017.
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02/11/2017
"Souvenirs d'une ambassade à Berlin" (André François-Poncet) : critique I
Le meilleur livre que j’aie lu cet été est « Souvenirs d’une ambassade à Berlin » publié par André François-Poncet en 1946.
Le livre est un précieux témoignage sur la vie à Berlin dans les années qui ont précédé la déflagration déclenchée par les nazis, soit de septembre 1931 à octobre 1938, date à laquelle l’ambassadeur a été rappelé par son gouvernement à la demande des Allemands.
C’est d’abord la qualité du style qui m’a emballé ; c’est le français d’un diplomate, probablement formé à l’école des sciences politiques (qui a depuis envahi les plateaux télé et les comités de direction sous le nom de Sciences Po), un écrivain de la trempe de Paul Claudel et de Saint John Perse. Le lire est un régal !
Mais il y a aussi la clairvoyance des analyses – quelques mois seulement après la fin du conflit mondial – qui sont remarquables.
« L’atmosphère de la ville est fiévreuse, orageuse, malsaine. On marche sur un sol mouvant. Les esprits sont excités. Les renversements de fortune, les faillites se multiplient. Le chômage augmente. Par une contradiction surprenante, sous un Chancelier vertueux, la corruption, la dépravation des années précédentes ne sont guère atténuées. La licence des rues s’étale, sans plus de frein qu’auparavant. On continue à voir débarquer de nombreux étrangers qu’attirent les fâcheuses spécialités locales, les spectacles équivoques, l’ « Institut für Sexualforschung » de Magnus Hirschfeld, les bars où les danseuses sont des hommes… Les feuilles de chantage se livrent sans gêne à leur industrie » (page 29).
François-Poncet excelle également dans le portrait des hommes importants qu’il a eu à côtoyer. Ainsi de Pierre Laval :
« Pierre Laval se sentait, alors, en pleine ascension. L’aisance, la rapidité avec lesquelles s’était, en moins de dix ans, édifié sa fortune, politique et matérielle, lui avaient inspiré une foi robuste en lui-même et en son génie. Il se croyait appelé à jouer le rôle d’un grand homme d’État français et européen. Éloigner la perspective de la guerre, affermir la paix, tel était le programme, un peu simpliste, qui devait, selon lui, le mener à la gloire. À la place de Briand, trop vieux, et qu’il reléguait peu à peu dans l’ombre, il rêvait d’apparaître comme le pacificateur d’un univers troublé et déchiré, le héros sorti du peuple et tout proche du cœur des peuples, qui dénouerait les nœuds gordiens, réputés inextricables avant lui » (page 20)
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05/10/2017
"L'enfant noir" (Camara Laye) : critique II
Laye connaît la concordance des modes et des temps : « Jusqu’ici ma grand-mère avait toujours exigé que je passasse la fête chez elle, à Tindikan » (page 84). « Mais c’était une conquête très lente, presque désespérée, si lente et si désespérée qu’il arrivait que le train dépassât à peine le pas d’homme » (page 136). Sa langue n’est pas foisonnante, inventive, lyrique comme celle de Ahmadou Kourouma ; elle est classique, rigoureuse, précise : « De la porte de la concession, je les avais regardé passer, avec leur cortège de griots, de balaphoniers et de guitaristes, de sonneurs de tambour et de tam-tam » (page 85). Ce qui n’exclut pas la poésie ni l’émotion : « À la nuit tombée, la presqu’ile de Conakry se découvrit, vivement illuminée. Je l’aperçus de loin comme une grande fleur claire posée sur les flots ; sa tige la retenait au rivage. L’eau à l’entour luisait doucement, luisait comme le ciel ; mais le ciel n’a pas ce frémissement ! Presque tout de suite, la fleur se mit à grandir, et l’eau recula, l’eau un moment encore se maintint des deux côtés de la tige, puis disparut » (pages 137-138).
Comme dans « Les soleils des Indépendances », on est ici chez les Malinké. Et l’islam est omniprésent mais discret.
Quand l’écolier part en train rejoindre son établissement technique à Conakry, il traverse des régions aux dialectes différents : le peul d’abord, puis le soussou, qu’il ne maîtrise aucunement (contrairement au malinké). Et par certains deux langues sont pratiquées à égalité : le français et l’arabe (en l’occurrence pour lire le Coran dans le texte).
L’amitié – ou l’amour innocent – pour Marie est le sujet de quelques-unes des plus belles pages du roman. « C’est que je n’étais pas le seul à aimer Marie, bien que je fusse seul peut-être à l’aimer avec cette innocence : au vrai, tous mes compagnons aimaient Marie ! Quand las d’écouter des disques, las de danser et nos devoirs terminés, nous partions nous promener et que je prenais Marie sur le cadre de ma bicyclette, les jeunes gars de Conakry et plus spécialement mes compagnons d’école et les collégiens de Camille Guy nous regardaient passer avec des regards d’envie. Tous eussent voulu avoir Marie pour compagne de promenade, mais Marie n’avait point d’yeux pour eux, elle n’en avait que pour moi. Je ne me le rappelle pas par vantardise, encore qu’à l’époque je fusse assez fiérot de ma chance ; non, je m’en souviens avec une poignante douceur, je m’en souviens et j’y rêve, j’y rêve avec une mélancolie inexprimable, parce qu’il y eut là un moment de ma jeunesse, un dernier et fragile moment où ma jeunesse s’embrasait d’un feu que je ne devais plus retrouver et qui, maintenant, a le charme doux-amer des choses à jamais enfuies ». Et plus loin : « Car Marie aussi n’aimait rien tant que de s’asseoir ici et de regarder la mer, de la regarder jusqu’à n’en pouvoir plus » (page 155). Suit une très belle description des impressions ressenties par les deux jeunes gens devant le spectacle de la mer, que je vous laisse découvrir. « Personne n’a jamais été si proche de mon cœur que Marie, personne ne vivait dans mon cœur comme Marie » (page 157). Superbes pages…
Au total, ce livre bien écrit et chaleureux est un témoignage touchant sur la vie d’un enfant de la Haute-Guinée dans les années 40, qui mêle respect des traditions et des croyances, travail et surtout une incroyable solidarité entre les êtres.
« (…) Nous prenons tous un jour ce chemin qui n’est pas plus effrayant que l’autre… L’autre ?... L’autre, oui : le chemin de la vie, celui que nous abordons en naissant, et qui n’est jamais que le chemin momentané de notre exil… (page 170).
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