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04/12/2023

"Ciné-club" (François Souvay) : critique I

Que voici un livre original ! Je parle de « Ciné-club » de François Sauvay, publié chez Champ Vallon en 2022. L’auteur nous propose une suite de chroniques sur le cinéma, de son apparition à la fin du XIXème jusqu’aux années 60, et même un peu plus. Vingt-cinq courts chapitres fourmillent d’anecdotes sur le milieu du cinéma aux États-Unis, c’est-à-dire à Hollywood, et sur ses vedettes. L’auteur raconte ces histoires à la façon d’un journaliste de la presse culturelle (les Cahiers du cinéma, Télérama, etc.), sauf que TOUT est inventé. Et c’est à s’y méprendre tellement le pastiche est crédible, tellement le ton est juste, tellement les événements, les patronymes, les noms de films, le comportement des divas comme des producteurs, et les situations, sont vraisemblables. L’histoire tourne autour d’une petite compagnie de production, Olympic Movies, de son patron Elmer Polack, d’un curieux conseiller en textes sacrés et caution religieuse, Matthieu de Lenoncourt, et d’une pléiade de scénaristes et de stars, plus ou moins éphémères.

Quelle imagination, quelle inventivité ! Comme un musicien qui improvise, François Sauvay multiplie les motifs, les angles d’attaque, les ambiances, les personnages... C’est un régal.

Certaines descriptions sont vertigineuses, comme quand il nous parle d’un film sur un film (c’est-à-dire dont le héros est lui-même un acteur ou un scénariste en train de faire son métier).

 

J’ai noté quelques coquilles, qui sont loin de gâcher le plaisir de notre lecture.

  • page 19 : une répétition malvenue « elle s’était fait remarquer, d’apparitions notables en rôles secondaires remarqués ». Notons avec satisfaction que notre auteur écrit bien « elle s’est fait remarquer... » et non pas comme tant de journalistes malheureusement « elle s’est faite » (le wokisme en l’occurrence n’a rien à y voir !).
  • page 29 : « parmi les acteurs habituels du studio, catalogué jusque-là dans des personnages de cow-boy... ». Je pense qu’il aurait mieux valu écrire « cantonné jusque-là dans des personnages de cow-boy ».
  • page 98 en italique, et aussi pages 133, 167 et 171 : la curieuse expression « department story » semble vouloir désigner un département des scénarios... mais en anglais cela donnerait plutôt « Story Department », voire « Storyboard Department ».
  • page 138 : manifestement il y a un « s » en trop au verbe demander : « Puis je me demandais si la nouvelle qu’elle m’avait confiée était si mauvaise ». « Puis je me demandai », c’est du passé simple (sur dans le contexte où la relative concerne également un événement unique), donc sans « s » ! Un peu plus loin l’auteur écrit à juste titre : « Quand Polly Griffin en sortit timidement, je l’abordai enfin ». Mais, plus loin encore, il écrit : « déconcerté par cette réponse ambigüe, je la laissais s’échapper à nouveau ». Non ! « je la laissai s’échapper », c’est du passé simple (événement unique) et non de l’imparfait (répétition, habitude), donc sans « s ». À vrai dire, j’avais déjà tiqué page 116 : « Elle m’offrit un thé auquel je préférais une Budweiser ». Non, ce n’était pas une habitude chez ce conducteur de tramway entiché de Noreen Venice de refuser des tasses de thé, alors même qu’elle ne lui en a proposé qu’une seule fois. Donc pas de « s » !
    C’est l’inverse page 171 : « alors que je pensai lui administrer une correction » ; le verbe « penser » mérite l’imparfait, donc il faut écrire « je pensais » avec un « s ». Et re page 299 ! « Je serai rassurée si vous me disiez que je vous ai aidé ». La relative est au conditionnel, alors la principale ne peut pas être au futur ; donc « Je serais » avec un « s » qui modifie le mode du verbe (de l’indicatif on passe au conditionnel). La phrase suivante, en revanche, est correcte : « Je serai touchée si vous m’envoyez un exemplaire ».
  • page 153 : « les nombreux incidents qui ont gâché le tournage d’Achille et les Amazones etc. ». Sauf que, à plusieurs endroits page 152 et aussi dans le haut de la page 153, le film s’appelle « Achille contre les Amazones »... y’a une petite erreur.
  • page 155 : « ... plus exactement récit éclaté et mise en abîme ». Le mot « abîme » est écrit avec un « y » au lieu d’un « î ». Rappelons-nous le collège : « le circonflexe de cime est tombé dans l’abîme ».
  • page 173 : l’auteur écrit « presque mal la tête », donc manifestement il faut lire « presque mal à la tête »
  • page 197 : « Telles des proies, ils sont lâchés dans les ruelles désertes. « Telles » ne devrait pas être au féminin puisque le sujet de la phrase principale, c’est « ils ».
  • page 206 : « épluchant les entretiens... de nombreuses incohérences la frappaient ». Cette phrase est incohérente justement ! Comme elle commence par « épluchant les entretiens », sa principale devrait être : « elle a été frappé par des incohérences ». C’était déjà la même chose page 128, quand la relative était « après s’être retrouvés sur la plage » et que la principale commençait par « Lamont lui signifia son congé ».
  • page 226 : « On espère que la suite de sa carrière confirmera ce talent prometteur ! Or, voilà l’article paru dans Hollywood ScreenLand ». Il aurait fallu écrire « voici l’article » puisqu’on va seulement expliquer le problème (« voilà » se rapporte ce qui s’est déjà passé, tandis que « voici » annonce ce qui va se passer).

21/09/2023

"Attaquer la terre et le soleil" (Mathieu Belize) : critique

Quelle déception !

J’avais beaucoup aimé « Notre terre » de Mathieu Belezi (voir mon billet du 31 août 2015), qui racontait la fin de la guerre d’Algérie, vue des deux côtés.

J’avais appris depuis que M. Belezi n’était pas historien et n’avait pas vécu en Algérie mais qu’il avait consacré trois romans à ce thème, pour la raison, semble-t-il, que la littérature ne s’y était pas beaucoup intéressée (?).

J’avais lu aussi le roman de Leïla Slimani, « Le pays des autres », paru en 2020, en partie autobiographique sans doute, qui se passe lui au Maroc à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je l’avais trouvé moins bon…

C’est dire si je me suis plongé avec impatience dans « Attaquer la terre et le soleil », tout auréolé du Prix du Livre Inter, que NR venait de m’offrir. Un rapide coup d’œil sur l’enregistrement de l’entretien à France Inter, de l’auteur et de quelques membres du jury (présidé sauf erreur par David Foenkinos, Prix Renaudot), ne m'avait pas enthousiasmé ; j’avais eu l’impression que le jury avait surtout récompensé une œuvre « dans l’air du temps » (à savoir, rappeler le mauvais rôle de colonisateur de la France en Afrique …), sachant par ailleurs que les premiers commentaires des débatteurs étaient que « le livre n’avait aucun défaut » et qu’ils avaient été emballés par la forme et le ton du texte. Bon, rien de très motivant, d’autant que la brièveté du roman (153 pages seulement chez Le tripode, avec beaucoup de blancs sur chaque page…) m’avait déjà refroidi.

Le titre d’abord. On peut penser que M. Belezi veut décrire la conquête de l’Algérie, en 1830, comme une lutte pour y introduire l’agriculture sous un soleil de plomb, ce qui va rendre l’aventure extrêmement pénible pour les premiers colons. Le roman est composé de courts chapitres donnant à voir, alternativement, la vie d’une femme et de sa famille arrivées de métropole, et celle d’un militaire dont le chef répète à tout propos : « Vous n’êtes pas des anges ». Quand le narrateur reprend la parole, M. Belezi utilise les italiques.

La forme est déconcertante car la ponctuation est absente, ainsi que les majuscules en début de phrase. C’est sans doute cela qui a tant plu aux jeunes lectrices du jury… Heureusement, les paragraphes successifs sont « indentés », ce qui aère le texte. On a échappé aux tics insupportables d’un Claude Simon (« La route des Flandres », « Histoire »).

Sur le fond, il faut bien reconnaître que les autochtones, bien qu’envahis, ne sont pas présentés comme des enfants de chœur. Comme dans « C’était notre terre », Mathieu Belezi ne recule devant aucune des horreurs de la guérilla (femmes éventrées, etc.). L’armée française n’est pas en reste : représailles, villages rayés de la carte, ripailles, jeunes femmes gardées pour la troupe… Pour être réaliste, oui, c’est réaliste !

Le choléra frappe aussi, avec son cortège d’hommes et d’enfants emportés au cimetière, et des femmes qui pleurent et implorent le Ciel.

Petit à petit, les colons se voient attribuer des parcelles et s’établissent, il y a des mariages, sans que cela n’interrompe ni les assassinats ni les représailles. Et certains ne résistent pas à la peur permanente, aux drames et à la difficulté de vivre… ils renoncent à leur concession et reprennent le bateau pour la métropole.

On ne peut contester à Mathieu Belezi sa maîtrise pour rendre l’horreur et le déchaînement de violence qui ont accompagné cette conquête. Et il est sans doute indispensable d’en rendre compte parce que ce n’était pas écrit dans nos manuels scolaires. Mais d’où vient cette impression que l’on n’apprend pas grand-chose et que le roman aurait pu être situé n’importe où. Peut-être a-t-il manqué à l’auteur une documentation plus fournie ou une intime connaissance des lieux, tels que pourrait les rendre, par exemple, un Boualem Sansal ? Ou alors il a voulu écrire une métaphore de toute conquête ? (Pas celle des États-Unis parce que les Américains se sont empressés de nous endoctriner avec leurs « westerns » !).

Au total, je suis resté sur ma faim et n’aurai pas envie de relire ce roman-reportage.

PS. Le jour de la publication de ce billet (21 septembre 2023), je vérifie dans le calendrier que le prénom de celui que l’on fête s’écrit bien avec deux t. Facétie, ignorance ou négligence de l’État-civil, notre « Mathieu » ne comporte qu’un seul t. Dans le domaine des prénoms aujourd’hui, on ne peut plus s’étonner de rien ni rien déplorer. Cela étant, nom et prénom de l’auteur sont empruntés…

18/09/2023

"Confession d'un hétérosexuel dépassé" (Frédéric Beigbeder) : critique II

En juin 2021, juste après la fin du confinement, il est sur scène pour « beugler les passages les plus nihilistes de ses livres » et s’échappe ensuite vers Carcassonne pour essayer de surmonter la fin de l’enfermement en s’isolant à l’abbaye Saint Marie de Lagrasse. En passant notons qu’il ne résiste jamais au plaisir d’un calembour : « Les chanoines blancs de Lagrasse vivent dans une faute d’orthographe : pourquoi ne pas assumer de vivre dans la grâce, en deux mots ? » (page 62). En passant également, retenons cette remarque qu’il a empruntée au sociologue François Dubet : « C’est l’absence de structures, depuis les années 70, qui était responsable de leur mal de vivre. Les inégalités étaient moins douloureuses, les injustices moins pénibles quand la société était tenue par des institutions fortes et des solidarités de classe » (page 62).

Il se rappelle que c’est sa troisième retraite, toujours liée à l’écriture : « Écrire accélère le passage du temps, aide à penser, emmène dans des zones imprévues (…) Écrire, c’est retranscrire une dictée qui vient de plus haut que soi (…) Tout écrivain est habité. On écrit pour s’explorer, apprendre qui l’on est. On écrit pour savoir ce qu’on va écrire (…) Toute ma vie, si j’ai fréquenté des lieux distrayants, c’était pour éviter d’écrire » (page 66). Il raconte brièvement l’histoire de l’abbaye, dont un tiers reste occupé par une librairie proche des éditions Verdier… tiens, c’est justement l’éditeur de Pierre Michon dont je viens de commencer un livre, en parallèle avec ce compte rendu de lecture ! Synchronicité ? Ce n’est pas tout ; plus loin, page 105, F. Beigbeder nous proposera une révision accélérée de l’histoire contemporaine telle qu’on ne nous l’a pas enseignée à l’école : « L’Algérie en 1830 est une conquête militaire qui coûte plus d’argent qu’elle n’en rapporte. C’est aussi, comme le dit Mathieu Belezi, une histoire folle, démesurée, ignoble ». Tiens, c’est justement le dernier livre de Mathieu Belezi, « Attaquer la terre et le soleil » que je viens de terminer… Synchronicité ?

Ce chapitre « Le refuge » est le meilleur du livre, c’est un beau témoignage de reconnaissance envers ces moines qui l’ont accueilli et accompagné, une défense et illustration du catholicisme qui a baigné son enfance. Voici sa chute : « À présent que je suis de nouveau noyé dans le tumulte, au fond de mon maelstrom contemporain, de nouveau étourdi et cerné, je me souviens que, quelques part den Languedoc, des hommes en robe blanche continuent chaque jour de chanter sous une nef gothique les mêmes hymnes immatériels, pour les siècles des siècles. Penser à ces hommes agenouillés m’aide à tenir debout » (page 85).

Le monastère n’a pas suffi à sa rédemption ; il enchaîne avec un stage à Fréjus au Régiment d’infanterie de marine, dont la narration lui donne l’occasion d’une amusante mise en perspective avec le Festival de Cannes dont il s’échappe. C’est vraiment à se demander, à lire son soulagement de retrouver un cadre structuré (l’armée), pourquoi donc il retombe périodiquement dans ces milieux superficiels et « déjantés », pour rechercher ensuite une ascèse, un enfermement… S’en suit un long paragraphe sur la colonisation, « à la fois un crime imprescriptible et une source inépuisable d’inspiration littéraire » (page 109).

Le dernier chapitre est consacré à « Un désir effrayant ». Il est censé décrire – et confirmer ce que clament à l’envi les féministes les plus radicales – ce qui serait l’obsession et la souffrance permanente des hétérosexuels comme lui : le sexe. Curieuse autoflagellation et hâtive généralisation : « Si les femmes pouvaient lire dans nos pensées, elles seraient terrorisées (…) La pornographie qui occupe notre cerveau est inconcevable, illimitée, c’est une orgie sadienne » (page 129), « Le désir masculin parle d’amour surtout pour le faire » (page 138) ! Un grand délire.

De fil en aiguille (si j’ose écrire), F. Beigbeder dézingue Annie Ernaux, récent et improbable Prix Nobel de littérature : « (Elle) a réussi à fabriquer une œuvre à la fois creuse et plate. Les physiciens s’interrogent encore sur la possibilité d’un tel artefact » (page 134). Et on retombe dans le people…, pour partir vers autre chose subitement : une défense appuyée de l’hétérosexualité, avec tous les détails nécessaires ; là on ne rigole plus, l’ironie du début de chapitre est rangée au vestiaire (si l’on peut dire) ; ce livre est décidément un bric-à-brac mais sérieux. Il y a de belles pages dans ce dernier chapitre mais quel foutoir, le coq et l’âne à tour de rôle ! Et pour conclure : « Il n’existe donc aucun moyen de résister à notre fuite en avant vers un précipice béant. Il me reste à vous remercier de votre attention en vous souhaitant, à toutes et à tous, une agréable apocalypse » (page 164).

Comme toujours, mais ce n’est que le deuxième ouvrage de F. Beigbeder que je lis, l’attrait du livre tient à sa variété de sujets, à son rythme, à ses références fréquentes à des gens ou des œuvres connus (en littérature ou au cinéma), à son sens de l’humour et de l’autodérision, tandis qu’on se lasse à force, de cette confusion des genres, de ce dandysme, de cette désinvolture, de cette superficialité, de ces enfantillages parfois, du relâchement linguistique de certains passages (langage de corps de garde, vocabulaire de chambrée…),  de la quasi-invraisemblance des errements de son auteur. Des sujets graves presque traités à la rigolade, pourquoi pas, mais pas trop tout de même ! Ni roman ni souvenirs ni reportage ni essai ni traité ni témoignage… c’est un peu du Paris Match rédigé et allongé. Ce n’est pas vraiment un livre, c’est une sorte de compilation d’articles de presse très longs. Frédéric Beigbeder pourra-t-il récidiver avec le même cocktail ? Il a raconté sa vie en long et en large, semble-t-il ; la ficelle est maintenant usée.

Verdict : ça se lit…