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02/01/2023

"Le Roi au-delà de la mer" (Jean Raspail) : critique

C’est Mathieu Bock-Côté, le sociologue et chroniqueur québécois, qui récemment a recommandé ce livre de Jean Raspail avec le commentaire suivant (de mémoire) : l’œuvre romanesque de Jean Raspail était essentiellement défaitiste et tout à coup, avec « Le Roi au-delà de la mer » (Albin Michel, 2000), il encense la persévérance, l’acharnement, la détermination aveugle, qui consistent à batailler pour une cause que l’on estime perdue, et ce jusqu’au bout.

C’est vrai que les romans de Jean Raspail sont à la base pessimistes (il se jugeait sans doute lucide et réaliste…), résignés, tournés vers le passé, nostalgiques (voir sa saga des Pikkendorff, « Hurrah Zara », publiée en 1998, dans laquelle il déclare : « À ce moment-là, j’aurais tout donné pour être des leurs. Je ne dois pas être le seul dans ce cas. Ce monde-là ne reviendra plus »), souvent fantasmagorique (voir le bizarre « Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule… ») ou proche du canular savant (voir le prodigieux « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie)… Même quand il s’essaye à l’anticipation, c’est apocalyptique et désespéré (voir « Le camp des saints », publié en 1973 chez Robert Laffont et plusieurs fois réédité, qui outre qu’il l’a marginalisé dans le camp des supposés xénophobes ou pire, s’est révélé d’une pertinence et d’une intuition incroyables). Je n’ai pas lu les récits de l’explorateur (il a bourlingué pendant vingt ans avant de se mettre à écrire des fictions) mais je suppose que c’est de la même veine.

Et en 2000, soit vingt ans avant sa mort, il prend le contre-pied de tout cela, comme s’il s’était dit : oh non, c’est trop bête, il faut poursuivre ses rêves jusqu’au bout ! Il s’imagine alors en conseiller d’un descendant vivant des Rois de France, se livre à une sorte d’analyse stratégique de la situation et établit un plan de bataille pour, non pas reconquérir le pouvoir et monter sur le trône – il sait que c’est quasi impossible aujourd’hui – mais, simplement, pour exister ; ne pas se résigner, ne pas rentrer dans le rang, montrer qu’on est là, pacifique, incorruptible, intransigeant, gardien des anciennes vertus.

Le roman commence par une généalogie des Rois depuis Eudes en 888, et s’attarde sur l’acharnement des Révolutionnaires quand ils profanent leurs tombeaux dans la basilique de Saint Denis. Horrible…

Le narrateur analyse ensuite la disparition de l’idéal monarchique dans le pays qui a connu une quarantaine de Rois au total et en a guillotiné un…

Mais pour convaincre un de leurs successeurs, il faut des faits et si possible de hauts faits ! Jean Raspail convoque alors les deux « chevauchées fantastiques » que furent la tentative de reconquête du trône d’Angleterre par Charles Édouard Stuart en 1708 (page 92), et celle de la Duchesse de Berry, en 1832, sous le règne de Louis-Philippe (page 130). Les résultats en furent calamiteux…

Mais, Jean Raspail reprend à son compte la célèbre formule : il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ! Et c’est ce qu’il conseille à son souverain putatif.

C’est remarquablement écrit, comme d’habitude. Une des caractéristiques du style de Jean Raspail – et l’un de ces charmes – c’est de mêler savamment la grande Histoire, la petite et les ingrédients de ses romans, ce qui fait qu’on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui a été inventé. Ici, le méli-mélo est complet ; est-ce un roman ? est-ce une thèse, un programme, un manifeste ? un peu tout à la fois.

Ainsi trouve-t-on page 53 et suivantes une intéressante discussion autour des symboles et du vocabulaire : français, républicain, citoyen… « Aujourd’hui le nettoyage républicain s’accélère, renouant avec le sectarisme de ses débuts. On assiste de nouveau à un glissement, à une substitution concertée et progressive de la France par la République ». En un mot : « Avec la symbolique et l’esthétique, le vocabulaire est aussi contre vous (Monseigneur). La muraille des mots s’oppose à votre retour » (page 55).

Ce texte court (185 pages) aurait pu encore être allégé de quelques répétitions : « Vous êtes le Roi » doit être écrit une vingtaine de fois !

L’épilogue – crépusculaire – fait vaguement penser à celui du Camp des saints. Il se termine par ces mots : le devoir d’insurrection. Rien de moins !

J’avoue que ce mélange des genres – un peu comme dans les jeux ou les spectacles dans lesquels les joueurs ou spectateurs peuvent intervenir, choisir des fins différentes – m’a un peu gâché mon plaisir. Jean Raspail écrit même page 183 : « Abandonnons la fiction, Monseigneur » !

Au total, un livre que je n’aurai pas envie de relire et que je ne recommande pas (entendons-nous bien : il a des qualités et il peut plaire à de nombreux lecteurs ; mais ce n’est pas un « grand » livre pour moi. Amis lecteurs, jetez-vous plutôt sur « Moi, Antoine de Tounens » !).

31/12/2022

"Le tombeau d'Helios" (Pierre Magnan) : critique II

Soyons objectif : il y a un trait qui rappelle le Pierre Magnan de ses grands romans. C’est l’emploi de nombre de mots peu connus ou vieillis. J’en fais ici l’inventaire qui se veut exhaustif, et naturellement j’y associe la définition de mon Larousse en deux volumes de 1922.

 

page

 

La bouillie cuprique

9

De la nature du cuivre

Le pailler

10

Cour où l’on met les pailles ; tas de paille

Le poussier

10

Débris pulvérulents quelconques

On s’embronchait dans ses brodequins

27

Placer des tuiles de sorte qu’elles s’emboîtent les unes dans les autres

Un gonfanon de fer

38

Bannière de guerre à trois ou quatre pièces pendantes

Des murs à pariétaires

38

Plantes urticacées qui poussent sur les murailles

Un chantier d’écharnage

41

Action de débarrasser les peaux des chairs qu’elles recouvrent

La sauvagine

43

Canards, bécasses, etc.

Une peau véreuse

43

Qui a des vers

Les fressures

44

Ensemble des gros viscères d’un animal

La sabretache

45

Sac plat qui pend au ceinturon de certains uniformes

Les cimiers

51

Ornement de la partie supérieure d’un casque / d’un arbre

Les éliages

53

Soutirages de vin

Le cordouan

83

Peau de mouton ou de chèvre tannée pour la fabrication des chaussures

Un mégissier

83

Artisan qui mégit les peaux (préparation en blanc)

Champanelle

85

Pas trouvé dans mon Larousse ; il y a bien une place de ce nom à Forcalquier mais si l’on cherche la « salade champanelle » de P. Magnan sur internet, on aboutit invariablement au bourg de Saint Genès-Champanelle, dans le Puy de Dôme, au nord du Cantal… bizarre, non ?

Badassière

85

Pas trouvé dans mon Larousse ; il faut aller sur le site haute-provence-tourisme.com, très esthétique, pour lire cette définition : landes couvertes de plantes aromatiques (fenouil, romarin, thym, sarriette, etc.). P. Magnan écrit : « son parfum piquant de badassière » à propos d’une femme. Par ailleurs, il y a une place de ce nom à Manosque

Sparterie

97

Lieu où l’on fabrique des tissus de spart (feuilles de genêt)

Au revers d’un peloux

99

Terres entraînées par les pluies, du haut des montagnes

Sa taille de stropiat

113

Estropié (mon Larousse précise : vrai ou faux !)

Il est calut !

114

Pas trouvé…

Chevillard

121

Qui fait le commerce de la viande à la cheville

Un tanagra de marbre

121

Petite statuette de terre cuite apparue en Grèce au IVème siècle avant J.-C.

Sidoine ringardait le feu

133

Remuer le foyer avec une barre de fer recourbées pour attiser le feu

Des verres à pastilles

133

Verroteries collées tout autour du verre

Une jurade

133

Un corps de jurats (magistrats municipaux dans le Sud de la France)

Des bosquets de yeuses et de grandes crausdésolées

141

Plaine d’alluvions

De doline en doline

141

Forme d’érosion des calcaires (formant une vallée)

Dégoiser des choses capitales

161

Rire, parler avec volubilité

Un antiphonaire de cathédrale

193

Livre d’église (plain-chant)

La berme

218

Chemin étroit entre un parapet et un fossé

Un pot de misère noire dont les stolonscascadaient jusqu’au sol

241

La « misère noire » est peut-être un cultivar de plante vivace (?)

Bourgeons axillaires de certaines plantes qui s’enracinent toutes seules (comme les fraisiers)

Une porte entée sur la muraille

241

Insérée sur…

D’une frairie à l’autre

257

Fête, divertissement, bonne chère

Église de Forcalquier.jpeg

À noter que Pierre Magnan utilise à deux reprises (et la première fois page 43) l’horrible formule « pour ne pas qu’ils… » que je croyais être l’apanage des années 90 ! En revanche, on a plaisir à lire page 102 cette phrase interrogative : « Que pouvait lui chaloir (…) ? » [je rappelle qu’il s’agit ici du passionnant verbe « chaloir » qui ne s’emploie plus que dans quelques formes interrogatives ou négatives comme « peu me chaut » et « non qu’il m’en chaille »] et, page 132, celle-ci : « Un mistral à décorner les nymphes ». Les nymphes portent-elles donc des cornes ?

Alors, ce verdict ? « Le tombeau d’Helios » est un livre policier facile à lire (pléonasme ?) dont l’intrigue se noue et se dénoue en Haute-Provence, que je ne relirai sûrement pas et que je ne recommande pas (il y a tellement de livres à lire absolument).

30/12/2022

"Le tombeau d'Helios" (Pierre Magnan) : critique I

J’adore Pierre Magnan, mais le disciple de Jean Giono, l’adolescent du Contadour, l’amant de Thyde Monnier, l’auteur d’une passionnante autobiographie qui commence par « L’amant du poivre d’âne », et aussi celui qui, quand la vieillesse fut venue, se retira dans une petite maison avec seulement les vingt-cinq livres qu’il jugeait dignes d’être lus et relus.

Et non pas celui qu’on avait baptisé un temps, « le Giono du roman policier », le créateur du Commissaire Laviolette. D’abord parce que je considère le « polar » comme un art mineur dans le grand concert de la littérature – on laissera le bénéfice du doute à l’œuvre prolifique de Georges Simenon (que je connais trop peu pour en dire quoi que ce soit) et on gardera pour soi sa passion enfantine pour le Rouletabille de Gaston Leroux, pour le Sherlock Holmes de Conan Doyle et surtout pour les mille visages et noms d’emprunt de l’inégalable Arsène Lupin de Maurice Leblanc (passion que l’on partage, quant à ce dernier, avec Jean d’Ormesson, excusez du peu !).

Et donc, ce « Tombeau d’Helios », l’une des huit enquêtes de Laviolette, paru en 1980, ne nous fera pas changer d’avis. Si l’issue reste évidemment incertaine jusqu’au bout – c’est bien le moindre –, si notre auteur, évidemment, brouille les pistes à l’envi, jusque dans le titre (dont la conception fait penser au fameux « Grison d’Arcadie » par sa façon de présenter le sujet sans en rien dire de clair – on comprend à la fin sa signification), le roman n’a franchement d’autre intérêt que de faire passer quelques heures de lecture sans effort : pas d’étude psychologique, guère de style (en tout cas, quasiment rien de ce qui fera le charme de Pierre Magnan romancier), si peu de descriptions de cette Provence qu’il saura magnifiquement peindre ailleurs, une intrigue scabreuse, au dénouement aguicheur à souhait (en 1980, cela devait choquer ou susciter l’incrédulité ou attirer des commentaires graveleux), et bien sûr des invraisemblances, le genre y oblige.

Manosque (septembre 2022).jpeg

L’histoire ? Oh, elle se passe dans la Haute-Provence de Giono, de Magnan et de Lucien Jacques. Plusieurs personnes – un paysan sur son tracteur, un notaire, un tenancier d’auberge pour rendez-vous galants…– meurent  de mort violente, visiblement intoxiquées par un poison contenu dans de petites capsules normalement destinées aux renards surabondants… Il se trouve que ces personnes se connaissaient très bien, depuis quelque quarante ans, et que le Commissaire Laviolette passait par là. On a aussi une cartomancienne, deux belles filles du pays, un artiste-sculpteur, un juge, un substitut, un télégraphiste… et un mystérieux motocycliste, évidemment casqué.

Le style ? Quelconque… sauf en de rares passages, comme celui-ci : « Le camion de tête alla affronter ses phares jusqu’à la margelle de la fontaine aux quatre canons. La lumière crue traversait les cordes d’eau qui surgissaient sans bruit presque au ras du bassin » (page 219) et aussi celui-ci : « Sous les arbres, au sommet du cube, le soupir infime des évents qui expiraient le dernier souffle de l’air chaud, expulsé du moule, répondait au murmure des quatre canons qui déversaient leur eau dans le bassin. La brume traînante qui hésitait au ras de la Durance, gonfla soudain, déborda la vallée, se coula par le lit du Lauzon jusqu’à Sigonce qu’elle investit. Par colonnes qui comblaient les vallons, elle monta vers Bel-Air. Elle lançait contre la façade des tentacules qui occultaient les lumières. Elle investissait les communs et les granges, mais devant les marronniers, elle refluait ».