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31/01/2019

"Crime et châtiment" (Fédor Dostoïevski) : critique I

« Crime et châtiment » a été publié par Fédor Dostoïevski en 1866. Je viens de terminer les deux tomes de l’édition du Cercle du bibliophile (1967) et ce fut laborieux car le moins que l’on puisse dire est que cette histoire de crime odieux vécu « en direct » dès le début du roman, suivi de huit cents pages de digressions oiseuses et de tergiversations morales, ne m’a pas passionné. Seul l’épilogue est émouvant, même si la rédemption du criminel était prévisible ; il m’a fait penser au magnifique final du film « Le barbier de Sibérie », à cause de la Sibérie bien sûr et du caractère hors du commun – voire illuminé – des deux « héros ».

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On est ici, pour moi, dans une catégorie intermédiaire d’œuvre littéraire : il y a les livres passionnants, magiques, profonds, qu’on ne peut lâcher avant la fin (« Un de Baumugnes » de Jean Giono, « L’amour au temps du choléra » de Gabriel Garcia-Marquez, « Laure du bout du monde » de Pierre Magnan, « Du bist nicht so wie andre Mütter » d’Angelika Schrobsdorff) et, à l’opposé, les livres qu’on abandonne au bout de dix, cinquante ou même cent pages, faute d’accrocher à l’histoire (« La Gana » de Fred Deux, « Route des boutiques obscures » de Patrick Modiano) ou au style (« Femmes » de Philippe Sollers, « La route des Flandres » de Claude Simon).

« Crime et châtiment » est d’une autre catégorie : il se lit facilement, le style est simple, direct, alerte (on ne s’ennuie jamais vraiment car les saynètes se suivent et ne se ressemblent pas) ; mis à part le fait que des situations bizarres ou des dialogues « elliptiques » laissent subsister zones d’ombre et ambigüité, on a envie de savoir ce qu’il adviendra du sombre héros du roman, aux prises avec ses rêves de grandeur, son complexe du surhomme, son égoïsme, son détachement de tout et, néanmoins, ses restes de principes moraux, d’amour filial et de compassion. Donc, on va au bout, sans enthousiasme.

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Ai-je puisé dans cette épreuve matière à réflexion, à défaut de plaisir ? Même pas car je n’ai jamais pu, à aucun moment, me reconnaître dans aucun des personnages ni aucune situation. Quant à connaître pour comprendre, et comprendre pour excuser, la psychologie d’un criminel… non, je passe mon tour.

Le talent de l’écrivain est réel : trame bien construite, dialogues crédibles, ambiance et contexte bien rendus. Mais certaines ficelles de romancier sont par trop invraisemblables, comme la « pièce intermédiaire » au chapitre IV de la quatrième partie, qui permet à Svidrigaïlov d’entendre, sans être repéré, la confession de Raskolnikov à Sonia…

Passons – car ce n’est « la faute à personne » – sur les patronymes russes et les prénoms à rallonge, typiquement russes j’imagine, mais qui sont impossibles à mémoriser et nuisent à la clarté du récit. Il paraît que Faulkner n’hésitait pas à faire pire… cela ne me console pas. 

Bon, c’est un roman mais à visées philosophiques et psychologiques. Mais non pas policier comme je l’ai lu quelque part ! Au total, c’est tout sauf distrayant, peut-être un cas à étudier à l’École nationale de la magistrature ?

PS. Je ne lâche jamais l’affaire ! Même les livres abandonnés prématurément, j’ai l’ambition de les reprendre et de les terminer un jour.

24/01/2019

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique IX

Gaston Arman, le père de Simone, tombe malade ; sa fin est terrible mais le comportement de Jeanne étrange (beaucoup de comédie, pense Simone).

« Cinq ans presque jour pour jour après sa mère, Gaston s’éteignait à son tour. Il avait connu l’amour, le bonheur et la gloire, prix d’un travail surhumain, et aussi les soucis, les chagrins, une maladie inexorable et, à quarante-cinq ans, une agonie atroce. Il allait survivre grâce à la pérennité de son théâtre mais également parce que Proust avait introduit une petite part de Gaston chez Robert de Saint Loup » (Épilogue, page 466).

Après sa mort, Marcel Proust écrit à Jeanne : « Non, je ne peux pas croire que je ne reverrai jamais Gaston. Pensez que je l’ai connu et adoré bien avant qu’il vous connût ! Que le seul nuage qu’il y ait jamais eu entre nous est venu de ce que nous étions, tous les deux, follement amoureux de vous et que j’avais voulu avoir la consolation de photographies de vous, ce qui l’avait mis dans une colère épouvantable, mais si naturelle, le pauvre petit !... Quelle absurdité que ce soit moi le malade, l’inutile, le bon à rien qui reste, et lui, rempli de forces et déjà célèbre, à la veille d’entrer à l’Académie (qui du reste est bien peu de chose en face de l’immense retentissement de son œuvre), qui s’en aille ! Jamais je ne m’en consolerai… » (Annexe 86, page 543).

Un siècle après, Marcel Proust, que la NRF et l’Académie avaient refusé, est considéré dans le monde entier comme l’un des plus grands écrivains de tous les temps, et bien peu se souviennent de Gaston Arman, dit de Caillavet…

Jeanne est déjà depuis quelque temps dans une relation passionnée avec son cousin Maurice Pouquet… et Simone « va se lancer dans une vie tumultueuse dont la première erreur sera un bref mariage avec un diplomate roumain ».

Voilà « Les cendres brûlantes » terminées ; rarement un livre aura suscité de ma part autant de petites marques qui sont devenues autant de billets de ce blogue, c’est dire s’il m’a passionné. Comme dans les « séries » d’aujourd’hui, on le quitte à regret, habité que l’on est par tous ces personnages attachants dont on a découvert un peu de la vie, il y a un siècle, à « la Belle Époque », juste avant la Première Guerre mondiale.

« L’encre dans le sang » avait pour personnage principal Léontine Arman, née Lippmann et comme filigrane, les interminables et passionnées fiançailles de Gaston et Jeanne ; « Les cendres brûlantes » ont raconté la vie tourmentée de ce couple vite désuni et la fin de la liaison entre Léontine et Anatole France ; restait Simone, à la veille du début de sa vie de femme…

Afin d’éviter le « manque », j’avais pris mes précautions et recherché, dans la bibliographie de Michelle Maurois, ce qui pourrait bien correspondre à une suite.

Et ce fut la découverte de « Déchirez cette lettre » (Flammarion, 1990), dont le héros est justement Simone. J’ai dévoré ce troisième tome durant l’été 2018 et je vous propose, ami lecteur inconnu, de vous en parler dans de prochains billets.

À bientôt les Arman de Caillavet !

17/01/2019

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique VIII

Les parents de Simone – future Madame André Maurois – s’évertuent à lui trouver un mari et elle-même s’inquiète de ne pas encore être mariée. Plusieurs projets capotent. L’un des prétendants s’appelle Bertrand de Salignac de la Mothe-Fénelon, Comte de Fénelon, qui, mobilisé en 1914, lui écrit depuis la 15èmecompagnie d’infanterie basée à Caen ; leur point commun est donc le Périgord puisque la maison de famille des Pouquet est à Essendiéras. Il a vingt ans de plus qu’elle. Et la question à résoudre avant toute chose est celle de l’argent.

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Ce qui suit a été écrit par Simone elle-même, des années après, en 1941, à un auteur américain (Annexe 82 du livre).

« La condition posée par les Fénelon était, comme il arrive si souvent en pareil cas, le rachat du château ancestral. Fénelon, manoir féerique, à pic sur la Dordogne, était précisément à vendre. Le Périgord chuchotait que le propriétaire en demanderait 200000 francs-or, peut-être 180000 ». Ah oui, Fénelon, je connais bien, je l’ai admiré à vélo et je l'ai visité, il est l’une des causes de ma passion pour le Périgord depuis mon premier séjour à Vitrac, à l’âge de douze ans. 

Jeanne, la mère de Simone, est lucide et cynique : « Ne fais pas l’idiote… Ceci n’est pas un mariage d’amour ; c’est une alliance flatteuse. J’assure ton établissement mais je refuse de prendre à ma charge risques et périls… En d’autres termes, je suis résignée, pour m’assurer un gendre bien né, à l’acquisition d’un château-fort… Mais point de gendre, point de château ». Elle craint que Bertrand ne soit tué à la guerre, après avoir épousé Simone et lui avoir fait un, voire deux enfants, laissant une pension modeste et une veuve dans le besoin. 

Bertrand de Fénelon fut tué à côté de Verdun : « J’étais veuve sans avoir été mariée. Je pleurai quelques jours la perte d’un ami mais, différente en cela de sa mère douloureuse, je n’avais jamais cru à son retour. Pour moi, sa mort était un fait certain, depuis 1916. J’allai faire des adieux symboliques au château de Fénelon… La citadelle portait son nom, sans avoir abrité sa jeunesse ; moi, je portais sa bague, sans l’avoir épousé. Tout était irréel et factice. Allais-je rêver ma longue vie dans l’univers des apparences ? (…) Dans tout l’épisode Fénelon, il n’avait pas été question d’amour » (page 540).

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Et Michelle Maurois de conclure : « Simone n’avait pas revu Bertrand de Fénelon depuis plus d’un an quand il fut tué à Mametz, le 17 décembre 1914, ce qui plongea Proust dans le désespoir. Simone place donc le récit de ces fiançailles imaginaires bien après la date de la mort de Fénelon.

Je ne raconte pas cette histoire pour confondre Simone ni pour montrer jusqu’à quel point elle pouvait fabuler mais parce que la démarche psychologique me paraît intéressante et qu’à maintes reprises, elle fera ainsi, fi de la vérité à un point extraordinaire, sans jamais qu’elle en soit, pour autant, troublée » (page 541).