Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/02/2019

"Les yeux d'Irène" (Jean Raspail) : critique I

Jean Raspail, ancien aventurier, ancien marin, ancien explorateur, publie « Les yeux d’Irène » en 1984 chez Albin Michel, onze ans après « Le Camp des Saints » controversé à l’époque mais tristement d’actualité aujourd’hui, et trois ans après le fabuleux « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie ».

Quatre personnages occupent la scène.

Deux hommes : le narrateur et  Salvator, dont nous suivons le parcours de privilégié à la Charles de Foucault, depuis sa quête d’une femme inaccessible jusqu’à sa quête de la sérénité dans un monastère d’Auvergne.

Deux femmes Irène et Aude : l’une représente le Mal (le Diable) et l’autre le Bien (la pureté, la sincérité, la droiture, la loyauté), toutes deux incroyablement belles et désirables. Irène se cache dans le tableau d’un peintre célèbre, aussi bien que dans celui peint par Salvator alors tout jeune ou dans d’innombrables beautés qui croisent sa route, toujours renaissante, toujours malfaisante, toujours inaccessible… On n’est pas loin du mythe.

Irène Bustamante.jpg

Sous ses différentes facettes, le livre de Jean Raspail rappelle « L’instant présent » de Guillaume Musso, pour le fantastique et pour l’énigme ; les Contes de Gabriel Garcia-Marquez pour la verve et l’inventivité des passages pseudo-historiques (le jacquemart du beffroi d’une petite ville médiévale d’Allemagne qui frappait le treizième coup de midi, par exemple) ; le scabreux « Comtesse Lipska » de Pierre Kyria pour le défilé de filles promptes à se dénuder dans la propriété des Princes.

Son style est sans relief particulier mais classique (il utilise le passé simple, lui !) et agréable à lire. Peu de descriptions, uniquement des éléments de contexte : la mer, la côté rocheuse, les phares, la forêt, les petites routes, les déjeuners tout simples mais délicieux en province, les soirées au coin du feu, assis par terre, avec du foie gras et une bonne bouteille… Autant dire, que ses personnages n’ont pas de problème de fin de mois, ni de fin du monde d’ailleurs !

Fidèle à sa réputation, Jean Raspail multiplie dans ce roman les remarques de bougon conservateur, voire de réactionnaire. La nostalgie de l’ancien temps – pour ne pas dire de l’ancien régime – des belles manières, de façons châtiées de s’exprimer et de se comporter, est omniprésente. Voici par exemple, page 18, ce que son narrateur dit à propos d’une jeune fille : « dernier exemplaire d’un modèle assez répandu et tout à fait adorable qui faisait le charme de nos familles et de nos sociétés et qui s’est partout effacé devant la collégienne de C.E.G. (collège d’enseignement général, pour les plus jeunes de mes lecteur), au visage déjà dur de baiseuse endurcie, qui représente aujourd’hui notre banal univers juvénile féminin ». Féministes, passez votre chemin ! Soit dit en passant, il y a une faute d’orthographe à « juvénile » dont il a oublié le « e » final. C’est par ailleurs à cette page 18 que commence vraiment le roman, au moment où une étudiante, la belle Aude, va venir le voir. Plus loin, page 28, le narrateur regrette qu’on ait perdu le souvenir même du « délassement romantique d’initiés qui se pratiquait entre gentlemen-sailorssur fond de casquettes à taud blanc, de pavillons de propriétaire en tête de mât, de blazers bleu marine, de pantalons blancs et de champagne-cocktails à l’escale ». Le délassement en question consistait à naviguer sur une mer presque vide…

18/02/2019

"Déchirez cette lettre" (Michelle Maurois) : critique II

Le mariage est la grande affaire des jeunes filles et de leurs familles à cette époque, et Simone n’échappe pas à la règle. Ses nombreuses tentatives, ses angoisses, ses fiançailles rompues remplissent une bonne partie du volume « Déchirez cette lettre ». Cependant elle ne se berce pas d’illusions. Voici ce qu’elle en dit : « Les jeunes gens se marient rarement dans l’entraînement irrésistible d’un coup de foudre pour la jeune fille à laquelle ils demandent sa main. Le libre exercice sensuel de l’amour, pendant les années de la vie de garçon, les blase sur les emportements physiques de la passion : ils en calculent le peu d’importance dans l’ensemble d’uneexistence, la durée éphémère – et loin de chercher dans le mariage un prétexte légitime à l’accomplissement d’une fonction animale, dont ils ont l’habitude d’apaiser les exigences en dehors du domicile familial, ils font entrer, dans le choix de leur compagne légitime, des considérations sociales et financières beaucoup plus que des préférences d’attraction. Une épouse n’a pas pas besoin d’être une maîtresse experte – il y a des filles de joie pour la mise en action des rites passionnels –, mais il faut qu’elle apporte un grand luxe dans l’intérieur que l’on veut bien constituer avec elle, et qu’elle assure fastueusement la « matérielle » du ménage. L’enfant, qu’on lui fera par condescendance et par calcul, sera le lien indestructible qui opèrera définitivement la fusion des fortunes, le prétexte à ne pas divorcer, donc à jouir sans remords et sans inquiétude des rentes de l’épousée » (page 166).

Nous sommes en 1918, on ne saurait être plus lucide sur les mœurs de son époque. Un peu plus tôt, Simone avait déjà écrit : « Les hommes sont généralement des mufles. À la femme qui leur plaît ils offrent 100000 francs pour être son amant ou bien ils lui en demandent 500000 pour devenir son mari » (page 129).

La fille d’Anatole France, Suzanne Psichari, mourra de la grippe espagnole, le 18 novembre 1918, au 3 rue Boccador à Paris dans l’appartement de sa mère qu’elle habitait avec son fils, Lucien. Son mari, Michel Psichari, dont elle était séparée, avait été tué le 20 avril 1917. Cette famille concentrait en son sein les deux fléaux qui ravagèrent la France (et l’Europe) au début du siècle : la guerre mondiale et la grippe. Nous aurons l’occasion de reparler des Psichari.

En 1919, c’est le père de Jeanne, Eugène Pouquet, qui meurt. Il laisse une succession importante, dont le partage causera des rancœurs. Son épouse, Marie « avait sacrifié un tiers de sa fortune personnelle à l’achat de la charge d’agent de change de son mari. Elle eut la pénible surprise de voir qu’il n’était tenu aucun compte de la valeur de cette charge dans l’héritage, alors qu’Essendiéras était soumis au partage. En présence du notaire, elle sentit qu’elle devait dire quelque chose mais elle se tut. Elle ne comprit qu’après que les traitements étaient inégaux entre Jeanne et Pierre, sources de longues querelles de famille » (page 212). Combien d’épouses ont été dans la situation de Marie Pouquet au siècle précédent ? Il n’y a pas si longtemps, les épouses n’héritaient pas de leur mari !

Enfin, le mariage de Simone est annoncé, avec un diplomate roumain Georges Stoïcesco, en janvier 1920. Ce ne sera pas un succès, même si une fille naîtra de cette union, enfant dont Simone se désintéressera.

Pour terminer ce dernier billet sur la saga de la famille Arman-Pouquet, laissons la parole à Michelle Maurois : « Ce même mardi 2 décembre 1924, Simone donnait chez elle un déjeuner de dix couverts réunissant Robert de Flers et sa femme, Jeanne Pouquet, Alice Halphen, Paul Valéry, François Mauriac, Bernard Grasset et André Maurois. Elle avait demandé à Grasset de lui amener ce dernier, veuf depuis quelques mois, et qu’elle ne connaissait pas.

Mon père crut que son éditeur l’emmenait chez une très vieille dame, Mme Arman de Caillavet, l’égérie d’Anatole France. Il fut surpris et fasciné de rencontrer une belle jeune femme brune, entourée d’écrivains célèbres et qui parlait familièrement de Marcel Proust.

Le 6 septembre 1926, Simone de Caillavet devenait Mme André Maurois. Ce mariage devait durer quarante et un ans, jusqu’à la mort de mon père. Mais cela, comme disait Kipling, est une autre histoire, et je ne la conterai pas » (page 439).

11/02/2019

"Déchirez cette lettre" (Michelle Maurois) : critique I

« Déchirez cette lettre » est le troisième (et dernier) tome du récit généalogique que Michelle Maurois, fille de l’écrivain André Maurois, a consacré à la famille de sa belle-mère, à savoir Simone Arman dit de Caillavet, deuxième épouse de son père. C’est encore un gros volume de 477 pages, préface d’Henri Troyat et annexes comprises, dans l’édition Flammarion de 1990. Je l’ai terminé le 31 juillet 2018 sans lever le nez au soleil d’Auvergne, qui était pourtant généreux, et j’ai écrit sans perdre une seconde ma « fiche de lecture » : « Stupéfiant ! Les célébrités, l’homosexualité, la cour de Roumanie, la naturalisation (Simone devient roumaine) et l’incroyable personnage (réel) de Simone, critiquée par sa mère et par sa grand-mère, et elle-même indifférente à sa propre fille ».

Quel enthousiasme ! Et pourtant quand je regarde ce livre qui attend sur mon bureau depuis presque six mois, que j’écrive ma série de billets, combien de marques de page ont-elles été insérées ? Très peu – quatre seulement – soit huit ou dix fois moins que pour « Les cendres brûlantes » ! Est-ce dû à l’époque qui est en filigrane, au style moins inspiré de l’auteur, à l’invraisemblance même de la vie de Simone ? Je ne sais. 

En tous cas, dès l’Avertissement, on voit que Michelle Maurois a ciblé son propos : d’une part c’est Simone, le vrai personnage exceptionnel de la lignée, d’autre part elle retrouve chez elle des « atavismes » venant de Léontine Arman, d’Albert Arman, ses grands-parents, de Marie Pouquet et de Jeanne, mais aucun venant de son père Gaston. Le ton du récit va sans doute s’en ressentir, d’autant que l’époque évoquée est plus proche de nous. Simone, bien avant la médiatisation à outrance et les fameux « réseaux sociaux » considérait que « Tout se sait ici-bas… ce que l’on jette à l’eau remonte à la surface… Et c’est précisément parce qu’il est impossible de tenir secret quoi que ce soit que j’ai pris le parti de la franchise » (page 14). D’où une masse considérable de lettres (reçues et annotées) et de copies de lettres (envoyées) dont Michelle Maurois a hérité et qu’elle a pu classer et exploiter. 

Simone a vingt et un ans quand son père, Gaston Arman, meurt en janvier 1915 à Essendiéras. La saga recommence… C’est la première partie intitulée « Fiançailles ». Étienne Rey, l’un des fiancés de Simone, lui écrit : « Vous courez à votre perte (…). Vous vous acheminez vers le détraquement (…) C’eût été un grand bonheur pour vous que de pouvoir échapper à l’action de votre mère, si funeste sous des dehors maintenant affectueux (…) Il y a chez vous le plaisir d’être compliquée et maladive, le goût de l’intrigue et des histoires, le désir littéraire des sensations, l’esprit d’artifice, l’esprit vaniteux d’être une femme dangereuse, le culte exacerbé du moi et le manque absolu d’équilibre. Joignez à cela une absence naturelle de bonté, peu de générosité d’âme, une éducation déplorable. Il est difficile qu’avec tant d’éléments mauvais, vous ne soyez pas en effet détraquée et vouée à tous les périls et à toutes les déchéances des femmes détraquées… Mais il y a aussi autre chose en vous, des aspirations plus nobles, l’intelligence de ce qui est beau et à un certain moment le désir de la dignité morale et de la véritable valeur personnelle » (page 48). Ça commence bien ! 

Début 2016, elle se plaint d’être « dans la dèche » ; il lui faut payer l’abonnement au téléphone, le gaz et l’électricité (à Paris, on a donc déjà tout cela !). Mais elle est amie avec Nadine de Rothschild et fait de longs séjours à l’abbaye des Vaux de Cernay (c’est resté un endroit enchanteur).

Abbaye des Vaux de Cernay 1.jpg

En 1917, Simone publie des vers et écrit des chroniques dans plusieurs journaux. « Le 27 mai, Paul Morand note dans son journal : Les auteurs de Parade sont désespérés. Ils retirent leur ballet. Simone de Caillavet, qui, à vingt-deux ans, fait la critique dans Le Gaulois, éreinte le spectacle. Marcel Proust demande à Paul Morand : Comme vous serez gentil de m’envoyer l’article de Mlle de Caillavet sur les Ballets russes. Je ne la connaissais pas comme critique » (page 73).

Abbaye des Vaux de Cernay 2.jpg

C’est la guerre, Simone est restée à Paris. « Le spectacle de la lâcheté publique fortifie ma résolution inébranlable de demeurer ici » (page 153). Les Allemands sont à Villers-Cotterêts et l’on craint qu’avec leur grosse artillerie ils ne bombardent Paris. « Die dicke Berta schuss nach Paris » (Wolfgang Borchert, « An diesem Dienstag », 1947).

En août 1539, François Ier a signé à Villers-Cotterêts une ordonnance restée célèbre sous le nom « d’ordonnance de Villers-Cotterêts ». Les articles 110 et 111 ont fait la célébrité de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en imposant la rédaction des actes officiels et notariés en français et non plus en latin, faisant de facto du français la langue officielle de la France (source Wikipedia).

Et, en 1802, naissait dans cette ville, Alexandre Dumas, le romancier le plus populaire du XIXème siècle.