Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/10/2020

"Les Misérables (tome II)" (Victor Hugo) : critique V

La virtuosité de Victor Hugo est omniprésente dans « Les Misérables », dans les descriptions de lieu, dans la narration des événements (rappelons-nous Waterloo dans le Tome I) mais surtout quand il nous brosse des portraits (virtuosité que l’on trouve dans Balzac bien sûr et particulièrement chez Henry James). C’est la diversité des procédés et la fluidité du style qui nous enchantent, sachant qu’il peut être féroce, comme quand il peint Mlle Gillenormand, une vieille fille bigote (page 338).

« En fait de cant, mademoiselle Gillenormand l’aînée eût rendu des points à une miss. C’était la pudeur poussée au noir ».

« Le propre de la pruderie, c’est de mettre d’autant plus de factionnaires que la forteresse est moins menacée ».

« (Elle) restait des heures en contemplation devant un autel rococo-jésuite dans une chapelle fermée au commun des fidèles, et y laissait envoler son âme parmi de petites nuées de marbre et à travers de grands rayons de bois doré.

Elle avait une amie de chapelle, vieille vierge comme elle, appelée Mlle Vaubois, absolument hébétée, et près de laquelle mademoiselle Gillenormand avait le plaisir d’être une aigle. En dehors des agnus dei et des ave maria, Mlle Vaubois n’avait de lumières que sur les différentes façons de faire les confitures. Mlle Vaubois, parfaite en son genre, était l’hermine de la stupidité sans une seule tache d’intelligence ».

À propos, je ne vous ai pas parlé du cant ! Ce mot masculin vient de l’anglais mais dérive du latin cantus, le chant. Bizarrement il signifie, selon le Larousse universel de 1922 : « affectation hypocrite ou exagérée de pudeur, de respect des convenances, fréquente surtout chez les Anglais » (sic !).

Avec la description du salon de madame de T. (page 356), on se croit chez Chateaubriand : « (…) le marquis de Sassenay, secrétaire des commandements de madame de Berry, le vicomte de Valory, qui publiait sous le pseudonyme de Charles-Antoine des odes monorimes, le prince de Beauffremont qui, assez jeune, avait un chef grisonnant, et une jolie et spirituelle femme dont les toilettes de velours écarlate à torsades d’or, fort décolletées, effarouchaient ces ténèbres, le marquis de Coriolis d’Espinousse, l’homme de France qui savait le mieux la politesse proportionnée, le comte d’Amendre, bonhomme au menton bienveillant, et le chevalier de Port-de-Guy, pilier de la bibliothèque du Louvre, dite le cabinet du roi, etc. ».

08/10/2020

"Les Misérables (tome II)" (Victor Hugo) : critique IV

Au chapitre XI, « Railler, régner », Victor Hugo nous livre un portrait enflammé, grandiose, évidemment très partial (mais nous sommes en 1820), pour tout dire quasiment halluciné, de la Ville-Lumière. Avec un débit de mitraillette et un souffle de tribun, il nous assène des siècles d’histoire et de personnages plus prestigieux les uns que les autres. À cette aune, nos Provinces et toutes les villes du monde semblent n’être que du menu fretin.

Quand il parle de Paris – au masculin, bizarrement – il est sans retenue : « Il a un prodigieux 14 juillet qui délivre le globe (NDLR : aujourd’hui, sa prétention n’est plus que d’offrir le feu d’artifice le plus grandiose) ; il fait faire le serment du jeu de paume à toutes les nations ; sa nuit du 4 août dissout en trois heures mille ans de féodalité (NDLR : aujourd’hui, un ministre du Pakistan appelle à commettre chez nous le pire des forfaits…) (page 313).

  « Il est tribune sous les pieds de Mirabeau et cratère sous les pieds de Robespierre ; ses livres, son théâtre, son art, sa science, sa littérature, sa philosophie, sont les manuels du genre humain ; il a Pascal, Régnier, Corneille, Descartes, Jean-Jacques, Voltaire pour toutes les minutes (NDLR : mais sont-ils vraiment Parisiens ?), Molière pour tous les siècles ; il fait parler sa langue à la bouche universelle, et cette langue devient les Verbe ; il construit dans tous les esprits l’idée de progrès ; les dogmes libérateurs qu’il forge sont pour les générations des épées de chevet, et c’est avec l’âme de ses penseurs et de ses poëtes que sont faits depuis 1789 tous les héros de tous les peuples ».

Et encore : « Pour que la révolution soit, il ne suffit pas que Montesquieu la pressente, que Diderot la prêche, que Beaumarchais l’annonce, que Condorcet la calcule, qu’Arouet la prépare , que Rousseau la prémédite ; il faut que Danton l’ose » (page 314).

Enfin, la péroraison résonne curieusement à nos oreilles attentives à la progression de la COVID-19 : « Tenter, braver, persister (NDLR : fluctuat nec mergitur), persévérer, s’être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. Le même éclair formidable va de la torche de Prométhée au brûle-gueule de Cambronne » (page 315).

Sommes-nous vraiment digne de cet éloge et de cette confiance ?

01/10/2020

"Le roman des Jardin" (Alexandre Jardin) : critique

En 2005, Alexandre Jardin a publié chez Grasset « Le roman des Jardin », censé raconter les frasques et les excentricités du clan constitué par la famille Jardin et ses amis. Nul doute qu’il n’emprunte à la réalité bon nombre de bizarreries et d’anecdotes mais, vu l’ampleur du folklore présenté dans le roman, on se dit qu’il en a probablement rajouté. Et cela donne au récit une tonalité mi-souvenirs mi-fiction qui nuit à son intérêt.

D’abord la famille Jardin, c’est quoi ? Une dynastie d’hurluberlus qui commence par le grand-père, Jean, qui fut chef de cabinet de Pierre Laval pendant l’Occupation et dont le moins que l’on puisse dire est que son petit-fils n’est pas fier de lui. Il utilise même le roman pour percer l’abcès et confier son malaise. Son épouse, surnommée L’Arquebuse, mène la famille d’une main de fer mais pour s’assurer que rien de vraiment normal, convenable, conformiste, raisonnable ne s’y passe, que ce soit à Vevey chez elle ou dans la propriété de Seine et Marne. Elle pousse l’anticonformisme jusqu'à accueillir et héberger les maîtresses de son mari, comme d’ailleurs l’un de ses trois fils, Pascal Jardin, auteur connu de scénarios et de pièces de théâtre, côtoiera amicalement les innombrables amants de sa femme, Louse. Le seul qui est nommé dans le roman est le cinéaste Claude Sautet (« Les Choses de la vie »…), dont Pascal Jardin souhaitera qu’il ait un enfant avec Louse ; ce sera Emmanuel, le demi-frère, qui cherchera obstinément à obtenir sa vraie identité et qui ne s’en remettra pas.  Il faut dire que dans cette famille, l’adultère est monnaie courante et même encouragé.

Le père d’Alexandre, surnommé le Zubial, a deux frères surnommés Merlin et l’Ange Gabriel ; on aura compris que le surnom est ici la règle. Tous ces aimables bobos ont un point commun : surtout, ne pas travailler. J’ai appris, en lisant l’un de ses livres (« Paul Morand, un évadé permanent », Grasset, 2006), que Gabriel était le neveu de l’écrivain et dandy Paul Morand.

Une famille compliquée donc, au style de vie débridé, et qui est encore étendue par la fréquentation de nombreux amis (Yves Salgues, Maurice Couve de Murville…) au sujet desquels les anecdotes semblent complètement fantaisistes, voire choquantes.

De Alexandre Jardin je n’avais lu que « L’île des gauchers » et bien sûr, comme tout le monde, j'avais vu l’adaptation cinématographique de « Fanfan », surtout remarquable par ses deux têtes d’affiche, Vincent Perez et Sophie Marceau (veut-on qu’une fois de plus j’illustre mon propos par une photo de la belle ?).

Sophie Marceau à St Bart.jpg

J’ai du mal à caractériser son style littéraire ; indiscutablement, ses livres sont bien écrits mais comme « trop longs » à chaque fois ; le superficiel apparaît très vite et devient lassant bien avant la fin. Dans le « Roman des Jardin », c’est la répétition fastidieuse du même argument qui énerve le lecteur : Alexandre est content et fier d’être un Jardin mais la lignée le révulse et il a tout fait pour ne pas être comme eux, tout en cherchant par éclipses à laisser de côté sa première manière de romancier fleur bleue pour s’essayer à la fantaisie et au social (il évoque ses frasques conjugales et on se souvient par ailleurs de son agitation médiatique lors de la campagne présidentielle de 2017). Bref, une tempête sous un crâne de nanti, qui donne opportunément l’occasion de publier un nouvel opus. Tout cela sent trop l’écume des jours et l’apprêté pour être passionnant.

Son introduction, qui dure quelque 37 pages, suggère beaucoup mais ne dit pas grand chose ; l'écrivain en revanche a une certaine virtuosité pour la métaphore et les belles formules : « Nous étions une île, une sorte d’Angleterre désoccupée des affaires du globe et disponible pour l’originalité » (page 26) ; « Mort assez tôt pour avoir fréquenté d’immenses libertés, il avait eu l’honneur de rester vivant jusqu’à son décès » (page 229).

Au total, un roman qui se lit en deux jours et ne me semble pas devoir être recommandé ni gardé.