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01/08/2020

"La vie secrète des arbres" (Pater Wohlleben) : critique

Quel beau livre et quel livre étrange, cette « Vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben (Les Arènes, 2017 pour la traduction française ; 2015 chez Ludwig Verlag pour l’original en allemand). D’autant que le sous-titre est « Ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent » ! Pour nous autres qui aimons les arbres, les entourons de soin (paillage, arrosage…) mais qui les considérons comme des objets inanimés, bien loin derrière les animaux dans notre hiérarchie des êtres vivants, c’est une révolution copernicienne.

L’auteur, garde-forestier à Hümmel, dans l’Eifel, région allemande au sud de Cologne, nous en apprend de belles sur les collectifs d’arbres, à savoir les forêts : les arbres d’une même espèce se protégeraient les uns les autres, prendraient soin de leurs « petits », se défendraient des assaillants (pucerons, champignons, pics verts…) et collaboreraient par ailleurs avec des partenaires (champignons…), le tout grâce à leur réseau de racines (un véritable « internet souterrain » écrit notre forestier), à leur stockage du « sucre » fabriqué à l’aide de la chlorophylle et à leur capacité de produire des substances répulsives ou attirantes sur leurs feuilles (odeurs, sucs…).

C’est au point que parfois on doute, on se dit que décidément, cela ressemble à de la science-fiction, voire au mysticisme ou à l’animisme ! Pourtant l’auteur cite nombre de publications scientifiques à l’appui de ses dires et sait ce que c’est qu’une bibliographie (58 références, essentiellement en allemand, un peu en anglais). On peut néanmoins regretter ici ou là quelques raisonnements lapidaires ou avortés, des coqs à l’âne et des affirmations gratuites.

Mais on apprend des tas de choses, comme dans le chapitre « Question de chance » sur la reproduction des arbres et leurs moyens de défense contre les « ravageurs » (page 40 et suivantes). « Ce sont précisément les sujets les plus mal en point qui mettent le plus d’ardeur à fleurir »… étonnant, non ? Lien avec l’actualité évident : après des étés secs et très chauds, on peut constater une floraison abondante au printemps suivant. Le chapitre « Échange de bons procédés » est également passionnant ; il explique le rôle des champignons, à cheval entre les règnes végétal et animal.

Son écriture est agréable, le livre, décomposé en courts chapitres, est d’autant plus facile à lire ; à noter également une excellente traduction (coup de chapeau à Corinne Tresca). La tonalité générale du livre est poétique, généreuse, écologique bien sûr, et amicale envers le lecteur, futur promeneur et défenseur des espaces boisés. « Chaque jour, des drames et d’émouvantes histoires d’amour se déroulent sous le couvert des houppiers, dernière parcelle de nature, à nos portes, où des aventures restent à vivre et des mystères à découvrir. Et qui sait ? Un jour peut-être le langage des arbres sera déchiffré et de nouvelles histoires extraordinaires s’offriront à nous » (page 253).

Amical, amical, ne parlons pas trop vite ! Dans son dernier chapitre, « Plaidoyer pour le respect des arbres », Peter Wohlleben nous culpabilise quand même : « Quand une bûche craque et pétille dans la cheminée, c’est du cadavre d’un hêtre ou d’un chêne que les flammes s’emparent. Le papier du livre que vous avez entre les mains, chers lecteurs, provient du bois râpé de bouleaux ou d’épicéas abattus – donc tués – à cette seule fin » (page 250). Rien de moins…

Verdict : un livre à lire, à conserver et à relire (car sa matière est dense). Et j’ajoute : à confronter à d’autres sources, pour vérifier les points qui peut-être sont à rattacher au lyrisme et à l’enthousiasme de l’auteur.

06/07/2020

"La gloire de mon père" (Marcel Pagnol) : critique

Une fois n’est pas coutume : un film est meilleur que son livre éponyme ! En l’occurrence, le film d’Yves Robert a magnifiquement mis en images (des personnages aussi bien que des paysages) ce qui était évoqué sobrement et sans pathos par Marcel Pagnol dans « La gloire de mon père ». Et les maîtres-mots des « Souvenirs d’enfance » du cinéaste provençal : adoration de la mère, admiration du père, ambiance familiale aimante et exigeante, fascination pour les collines de l’arrière-pays, passion pour les grandes vacances dans la nature…, sans oublier l’emphase, le lyrisme et la volubilité qui sont la marque de fabrique de nos Marseillais, nous les avons retrouvés dans le film.

Il aurait donc fallu lire le livre préalablement, ce qui n’a pas été mon cas.

C’est la découverte, dans une brocante, d’un volume un peu corné des Éditions Pastorelly, imprimé par les presses de l’Imprimerie nationale de Monaco à Monte-Carlo et publié en 1957, qui m’a donné envie de le lire.

Marcel Pagnol était académicien français mais écrivait simplement, sans fioritures ni beaucoup de descriptions ; sa plume est alerte et le livre se lit facilement. Marcel Pagnol ne se prend pas pour un grand écrivain et, dans la préface où il analyse les difficultés comparées du théâtre et de la littérature, il conclut : « Ce sont ces considérations, peu honorables mais rassurantes, qui m’ont décidé à publier cet ouvrage, qui n’a, au surplus, que peu de prétentions : ce n’est qu’un témoignage sur une époque disparue et une petite chanson de piété filiale, qui passera peut-être aujourd’hui pour une grande nouveauté » (page 13). À noter quand même dans cette préface, une non-concordance des modes qui rend la phrase suivante bancale : « Par ma seule façon d’écrire, je vais me dévoiler tout entier, et si je ne suis pas sincère (…) j’aurais perdu mon temps à gâcher du papier » (page 11). Il me semble qu’il aurait dû écrire : « j’aurai perdu mon temps » (futur antérieur de l’indicatif et non pas conditionnel).

Sur les 305 pages de mon édition, presque la moitié (à partir de la page 171 exactement) est consacrée aux fameuses bartavelles, les perdrix royales ; c’est une proportion que le film n’a pas respectée, puisqu’il a ajouté la partie de boules qui n’est qu’évoquée dans le livre. Dans cet épisode, le petit Marcel craint que son père, complet débutant à la chasse, ne soit ridiculisé par l’oncle Jules mais le sort veut que ce soit le débutant qui abatte le si rare volatile, et encore, en deux exemplaires. La fierté touchante de l’enfant n’ignore pas cependant que le lauréat est, comme les autres, sujet à un peu de vanité après son exploit, lui qui n’avait pas eu de mots assez durs pour son collègue si fier de sa pêche miraculeuse qu’il montrait la photo de sa prise à tout le monde.

J’ai dit que la langue de notre écrivain était simple mais ses souvenirs sont émaillés de quelques mots rares comme « déhiscence » (page 25), que mon Hachette de 1991 explique ainsi : « ouverture, lors de la maturation, d’une anthère ou d’un fruit, qui permet au pollen ou aux graines de s’échapper » ; en l’occurrence, il s’agissait d’une métaphore puisqu’il parlait de la fin des études de son père à l’École normale…

J’ai par ailleurs découvert page 231 une formule syntaxique qui me hérisse au plus haut point, dans la bouche du petit Paul il est vrai (ce qui rend la faute pardonnable !) : « Et les carniers, ils sont cachés dans le placard de la cuisine, pour pas que tu le voies ». Horreur ! en 1957 déjà, on parlait comme cela ? D’ici à ce qu’un érudit me signale un jour que cette syntaxe date du XVIIème, il n’y a qu’un pas (c’est le cas de le dire)…

Mais son style est plaisant car, racontant des souvenirs d’enfance, il utilise les images que l’on se fait à ces âges-là, de la vie des adultes. L’accouchement de la tante Rose est ainsi vu comme un « reboutonnage » ; quant au nouveau-né, c’est « un bébé sans barbe ni moustache » (page 72) !

Marcel Pagnol n’est pas avare d’aphorismes (on se souvient de « J’ai le cœur fendu par toi » !).  Ainsi, page 73 : « C’était un mercredi, le plus beau jour de la semaine, car nos jours ne sont beaux que par leur lendemain », ce qui est tout de même plus poétique que « Le meilleur moment, c’est quand on monte l’escalier », pour dire à peu près la même chose.

Les belles phrases ne manquent pas : « Alors commencèrent les plus beaux jours de ma vie » (page 138), « Au fond d’une petite grotte, une fente du roc pleurait en silence dans une barbe de mousse » (page 139). À la Bastide neuve, il y a « le Robinet du Progrès », la salle à manger « que décorait grandement une petite cheminée en marbre véritable » et « par un raffinement moderne », « des cadres qui pouvaient s’ouvrir et sur lesquels étaient tendue une fine toile métallique, pour arrêter les insectes la nuit » et « la prodigieuse lampe Tempête » (page 140). Marcel Pagnol se moque gentiment de ces éblouissements d’enfant mais aussi d’une époque car déjà en 1957, ils paraissent surannés.

Terminons notre critique de ce témoignage d’amour et d’admiration filiales qu’est avant tout le livre de souvenirs de Marcel Pagnol par cette apothéose de la page 279 : « Et dans mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel « La gloire de mon père » en face du soleil couchant ». Émouvant !

26/06/2020

Hommage à Marc Fumaroli (1932-2020)

Le site du journal Marianne nous apprend la disparition, le 24 juin 2020, de M. Marc Fumaroli, Professeur au Collège de France, Académicien français, passionné de littérature et du XVIIème siècle, conservateur assumé et héraut de la République des Lettres, sur laquelle il avait écrit un livre passionnant.

C’était un ami du regretté Jean d’O., dans mes billets je l’appelais familièrement Marco, il ne m’en a jamais voulu…

Il défendait le style et la qualité d’expression en français, la vraie culture (que certains confondent avec le divertissement), l’Antiquité, les classiques et les Lumières, le rayonnement français. Tout pour (nous) plaire !

Régalons-nous avec quelques citations, reproduites de l’article de Frédéric Pennel :

« La littérature n'est pas seulement un objet d'étude, mais un véritable chemin de vie. Les écrivains, même s'ils ne prétendent pas nous mener à la sainteté ou au salut, sont de très grands maîtres spirituels. Car il y a dans la littérature, comme dans les sagesses antiques, une dimension pratique. C'est un apprentissage de l'usage du temps, de nous-mêmes, des autres (...) Et cela change une vie ».

« Nous avons été conditionnés, voire terrorisés, par des « avant-gardes » qui ne toléraient pas la moindre répétition, la moindre imitation, la moindre « banalité figurative ». Elles ont fait de la beauté l'ennemi à abattre ».

« Ce que je reproche, c’est d’avoir favorisé la culture de masse américaine dans ce pays où la culture populaire était si brillante. Souvenez-vous qu’on avait des chansonniers superbes, un théâtre-comique superbe ».

« Toute éducation, écrit-il dans Partis pris, devrait donner le goût de la lecture des bons livres, à contre-courant du remue-ménage médiatique qui retarde ou empêche l’éclosion du jugement et de l’imagination personnels. Les bons livres ne sont pas nécessairement ésotériques et réservés à leurs spécialistes siégeant en séminaires et colloques. C’est une faiblesse de la littérature actuelle que sa polarisation extrême entre livres pour coteries et livres pour supermarché ».

 Il avait été féroce sur la féminisation de certains noms : « Notairesse, mairesse, doctoresse, chefesse […] riment fâcheusement avec fesse, borgnesse et drôlesse, n’évoquant la duchesse que de très loin, écrivait-il en 1998 dans Le MondeTranchons entre recteuse, rectrice et rectale ».

 Lisons ou relisons l’un de ses vingt ouvrages !