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07/04/2018

"La carte et le territoire" (Michel Houellebecq) : critique

Ce sera vite fait ! « La carte et le territoire » (Prix Goncourt 2010) de Michel Houellebecq, ce livre très connu, sur lequel je suis tombé en cherchant autre chose, ne mérite guère qu’une mention rapide dans mon blogue, pour mémoire si l’on veut.

A-t-il d’abord quelque mérite ? C’est sans doute l’originalité de son propos, qui tient pour moi à deux idées du romancier : d’une part mettre en scène Michel Houellebecq lui-même en auteur de romans – c’est-à-dire parler de lui à la troisième personne – ainsi que d’autres personnages contemporains connus (Frédéric Beigbeder, Jeff Koons, Jean-Pierre Pernaud…), certains à leur avantage, d’autres plus ou moins ridiculisés ; et d’autre part faire photographier à son héros – Jed Martin – des cartes Michelin plutôt que les paysages afférents… À cela s’ajoutent plusieurs remarques intéressantes sur la vie et sur les humains, ainsi que des paragraphes entiers, dont on se demande souvent s’ils sont réels ou inventés, sur certaines maladies ou certains métiers. Allez, pour être tout à fait objectif, il faut louer également l’inventivité de Michel Houellebecq, son talent pour imaginer et brosser les destins crédibles de ses personnages. 

Et pour le reste ? Eh bien, c’est tout ! C’est un texte mi-étude socio-psychologique, mi-roman policier, qui se lit facilement et retient l’attention jusqu’au bout. Le style, n’en parlons pas, il n’y en a pas ; et les caractères des personnages ne sont jamais qu’effleurés. Tout cela fait penser en vrac à Robert Sabatier (celui des Olivier) pour la description méticuleuse de certains détails pratiques, à Joseph Connoly (celui des Vacances anglaises) pour quelques situations drolatiques, à Marc Lévy et Guillaume Musso pour l’histoire bien troussée et efficace qui se lit vite… Pas de quoi fouetter un chat, vite passer à autre chose.

Houellebecq devant bibliothèque.jpg

On me dira sans doute – ah ! les idolâtres de Michel Houellebecq – que je n’y ai rien compris : ni la peinture féroce des travers et des ridicules de notre société occidentale (surtout la société des élites en l’occurrence, artistes, architectes de renom, journalistes de l’audiovisuel) ni les réflexions sur la vie ni l’ironie sous-jacente envers les amateurs et collectionneurs de peinture et de photographies « décalées » héritières du pop art…

Voici, par exemple, Rouletabille, dans le site Babelio, en 2013 ; il émet un avis assez proche du mien :

« La carte et le territoire est inconstant. Cela fait longtemps que je voulais lire ce Goncourt (…)

Après l'avoir lu, la raison est peut être assez simple : ce livre est finalement assez banal. Loin, très loin de l'image du sulfureux écrivain avec un regard sombre sur la société. Certes par de rares phrases, l'auteur ponctue son récit sur des interrogations comme la place du travail dans nos vies, de l'argent moteur de toutes les atrocités, décrit une société apaisée post-crise à la fin du récit. La question de l'euthanasie est aussi effleurée avec le père du héros. Oui, voilà le problème de ce Goncourt : à vouloir traiter beaucoup de sujets de la vie, il n'y a pas de réel approfondissement. Les réflexions "philosophiques" sur ces sujets sont consensuelles, du déjà lu, vu.

Mais la majorité du temps, le lecteur doit supporter de longues descriptions sans intérêt, en particulier du matériel utilisé par Jed Martin, artiste devenu riche ou encore de son chauffe-eau tombé en panne et sa difficulté à contacter un plombier !

Ce Jed Martin va rencontrer Olga et hop en à peine deux pages ils vont finir dans le même lit !

Jed Martin va rencontrer... Michel Houellebecq. Au début j'ai eu peur de ce procédé, Houellebecq parlant de Houellebecq, bonjour la mégalomanie. Puis finalement il s'en sort assez bien avec ce personnage de Houellebecq en fin de compte pathétique dans la gestion de sa vie quotidienne.

La troisième partie s'ouvre par un événement inattendu mais la suite, elle est beaucoup plus classique avec une enquête policière guère captivante. La description de la scène du crime est là aussi interminable, avec tout ce sang cette scène me fait penser à la série Dexter. L'auteur va même tomber dans le vice d'utiliser la fameuse phrase toujours employé par un enquêteur "je sens qu'on passe à côté de quelque chose mais je sais pas quoi" ! Super, on est ravi par une telle prouesse littéraire, une telle audace narrative. Recourir à une telle banalité devrait conduire à l'élimination automatique d'un Goncourt !

Par contre il convient aussi de dire que ce livre ne m'a pas entièrement passionné en raison des nombreuses références artistiques. Or je n'ai pas la culture suffisante sur ce domaine pour apprécier la pertinence ou non de ces réflexions sur les arts ». 

Voici Erveine qui écrit :

« Je viens de relire ‘'la carte et le territoire'' de Michel Houellebecq et je dois dire que je suis confortée dans ma première impression, à savoir que c'est un écrivain qui possède indéniablement, une écriture agréable et unique. Tandis qu'il utilise un mode d'expression qui n'est pas linéaire, oscillant entre un phrasé classique et moderne, ses détracteurs lui prêtent de la platitude et ses admirateurs du brio. En ce qui me concerne, je me rangerais plutôt à sa propre définition, soit que : « la meilleure condition pour exercer un bon style, c'est d'avoir quelque chose à dire » et pour le moins, le texte est riche » (dans le site Babelio, en 2014).  

Voici, enfin, ce qu’en écrivait les Inrockuptibles le 29 août 2010 (c’est le genre d’article qui écrit un autre roman en décrivant un roman…) :

« Roman total, bilan de l’état du monde et autoportrait, labyrinthe métaphysique sidérant de maîtrise (…)

Si l'une des nombreuses lectures de ce texte d'une densité et d'une richesse impressionnantes est celle d'une vision du monde rompue à la manufacturisation de tout, à la mise à mort de l'authenticité (le territoire, ou le terroir) pour mieux l'imiter en la caricaturant à la norme mondialisée, à l'avènement de l'argent-roi qui tue tout sur son passage, même les écrivains, le livre est aussi la preuve que Michel Houellebecq refuse de se manufacturer lui-même.

Plutôt que de s'imiter, l'auteur va se démultiplier. Car « La Carte et le Territoire » est avant tout un formidable autoportrait de Michel Houellebecq, en écrivain, en artiste, en enquêteur, en homme ou en chien, en solitaire qui n'a plus rien à attendre de l'humain passé de la société du spectacle à celle de la consommation. Rarement on aura vu un écrivain se faire apparaître avec une distance aussi comique que glaçante, avec tendresse aussi, comme s'il était observé par un autre, dans son propre roman. Un roman à la structure complexe, vertigineuse, galerie des glaces qui donne le tournis : au-delà de sa propre apparition, l'écrivain va s'incarner aussi dans ses autres personnages, devenus autant d'avatars de lui-même (...)

Reste que ce magnifique roman irréductible à une seule thèse, construit comme un labyrinthe, fourmillant de visions métaphysiques, écrit avec une maîtrise sidérante, nous faisant constamment la grâce de parer son désespoir d'une ironie irrésistible, n'est pas à lire comme un document sur la société. Tel Jed Martin qui choisit d'intituler sa première exposition « La carte est plus intéressante que le territoire », ce que nous dit Michel Houellebecq à travers cette magistrale leçon de littérature qu'est aussi « La Carte et le Territoire », c'est que le roman sera toujours plus intéressant (plus vrai, plus fort, plus beau) que toute réalité. À condition qu'il s'agisse d'un très grand roman, comme il en arrive rarement, comme il vient de nous en arriver ». 

Peut-être… mais ce n’est pas ce que je recherche dans la littérature.

Donc, selon mes critères : un livre qu’on lit facilement jusqu’au bout, pour passer quelques heures perdues, et qu’il n’est pas question de recommander ni d’ailleurs de garder dans sa bibliothèque. Quant à savoir comment il a pu obtenir le Goncourt… (la quasi-totalité des œuvres qui ont été distinguées par ce prix littéraire depuis sa création, sont tombées dans l’oubli le plus total).

21/12/2017

"Souvenirs d'une ambassade à Berlin" (André François-Poncet) : critique VI

« Il ne doit plus y avoir, légalement, dans le IIIème Reich, qu’un seul parti, le parti national-socialiste, le Parti unique, le Parti omnipotent. Le nettoyage prévu ne s’est heurté à aucune difficulté sérieuse ; il a été exécuté en six mois » (page 118). 

André François-Poncet brosse alors quelques portraits des Nazis qui prennent les postes autour de Hitler (Goebbels, Goering et comparses), et qui sont loin d’être tous des brutes épaisses ; il y a parmi eux de vives intelligences et des compétences réelles mais, évidemment, mises au service d’un projet monstrueux. Cette galerie de portraits est traitée avec finesse, dans une langue et un style « classiques » où le talent de notre écrivain éclate. 

Et, page 156, André François-Poncet constate que la Blitzkrieg menée par Hitler (une sorte de « révolution par ordonnances » mais naturellement sans aucune base démocratique) a totalement réussi. Treize ans après, il en est encore éberlué : « Voilà, donc, Hitler parvenu à ses fins, sur le terrain de la politique extérieure comme sur tous les autres ! Il a opéré le redressement qu’il s’était proposé. Il s’est libéré de la Société des Nations et l’Allemagne n’en a subi aucun dommage apparent (NDLR : Germany first !). Son habileté, son audace ont porté leurs fruits.

Quand on considère, en cet automne de 1933, l’œuvre qu’il a accomplie depuis le 30 janvier, on est stupéfait. Il a jeté par terre la république de Weimar (NDLR : l’ancien monde…), édifié sur ses ruines sa dictature personnelle totale, et celle de son parti, balayé ses adversaires politiques et jugulé toutes les libertés, étouffé les États confédérés, brisé la tradition particulariste et centralisé le Reich, plus qu’il ne l’a jamais été, mis en place et en marche (NDLR : !), dans toutes ses institutions caractéristiques, un régime nouveau, bouleversé l’État, l’administration, la société, les familles, mes individus, secoué l’Europe, enfin, comme il a secoué son pays, et fait surgir, au milieu des conseils internationaux, l’image d’une Allemagne émancipée, réveillée et redoutable !

Dans les années qui suivront, il se bornera à développer son œuvre ; il n’y ajoutera rien d’essentiel. Dès la fin de 1933, l’Allemagne nationale-socialiste est sur pied, avec ses mœurs, ses procédures, son vocabulaire, ses manières de saluer, ses slogans, ses modes, son art, ses lois, ses fêtes. Rien n’y manque (…).

L’étonnant, dans cette révolution, c’est la vitesse avec laquelle elle a été exécutée ; c’est aussi la facilité avec laquelle elle s’est installée, le peu de résistance qu’elle a rencontré. Il y a d’ailleurs, dans cette rapidité même, quelque chose d’inhumain, de contre-nature ».

Le chapitre « Hitler au pouvoir » se conclut par la mention d’une opposition qui pour être larvée n’en existe pas moins : opposition des anciennes classes dirigeantes qui souhaitaient le retour de la monarchie et réprouvent la violence du nouveau régime et sa désinvolture dans le maniement des finances publiques ; opposition des ultras du Parti, chauffés à blanc et qui en veulent plus, qui veulent une seconde révolution !

18/12/2017

Retour à Mabanckou

Mon commentaire de l’article de MM. Mbembé et Sarr m’a donné l’occasion de revenir à Alain Mabanckou, qui s’est exprimé souvent sur cette question des relations entre l’Afrique et le monde occidental, et aussi sur la place de la littérature africaine francophone, qu’il fait connaître inlassablement, lui qui, né au Congo-Brazzaville, a étudié en France et a obtenu un poste de professeur en Californie, à Los Angeles. 

Je dispose pour cela de deux articles parus dans Marianne les 7 octobre 2016 et 3 mars 2017, et tous les deux signés de Frédérique Briard.

Le premier commente son livre « Le monde est mon langage » (Grasset, 2016), nouvel essai – dans lequel il excelle – après la parution en 2015 de son onzième roman « Petit piment ».

Cet essai est un hymne à la langue française et à son rayonnement dans le monde. Alain Mabanckou y parle de ces rencontres avec dix-neuf écrivains qu’il apprécie, dans dix-neuf villes autour de la planète : Dany Laferrière, Sony Labou Tansi, JMG Le Clézio, Aminata Sow Fall et bien d’autres.

Le second est carrément un éloge dithyrambique du professeur au Collège de France qui a donné des conférences au premier semestre de 2016 dans l’amphithéâtre Marguerite de Navarre plein comme un œuf (j’y étais et j’en ai parlé dans ce blogue), ainsi qu’un colloque « Penser et écrire l’Afrique aujourd’hui » le 2 mai 2016, qui a rassemblé dix-neuf écrivains, historiens, philosophes, afin de réhabiliter les études littéraires africaines (décidément, dix-neuf serait-il un nombre magique ?) et de ne plus cantonner les productions africaines « dans un département exotique de la littérature française ». Il paraît que c’est ce que savent faire les Américains, en particulier en nommant dans d’illustres facultés des écrivains-professeurs comme Maryse Condé, Édouard Glissant, Emmanuel Dongala et donc Alain Mabanckou.

Et c’est qu’au détour d’un paragraphe on retrouve Achille Mbembé, philosophe qui réclame pour l’Afrique « un nouvel âge de dispersion et de circulation » ! 

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Alain Mabanckou n’est pas un pleurnichard ni un revanchard ; il avance et il veut que l’Afrique fasse de même.