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05/05/2018

"La maison assassinée" (Pierre Magnan) : critique

Ce qui fait l’originalité et l’intérêt de « La maison assassinée » publiée en 1984 par Pierre Magnan, aux Éditions Denoël, ce n’est pas son écriture – plutôt inférieure aux autres productions du discipline de Giono –, et ce n’est pas l’histoire – ce fait divers abominable a fait l’objet de plusieurs films, le plus récent avec Patrick Bruel, un plus ancien avec Fernandel et il faut dire que le livre « Gaspard des montagnes » de l’Auvergnat Henri Pourrat raconte également une histoire similaire – ni même le comportement étonnant du seul rescapé…

Non, ce qui fait l’originalité et l’intérêt de ce roman, c’est son deuxième tome, un épais volume de 500 pages intitulé « Le mystère de Séraphin Monge », publié en 1990 ! Pourquoi ? Eh bien, vous le saurez en lisant le billet suivant de ce blogue…

Et la maison assassinée alors, ça dit quoi et comment ? C’est l’histoire, racontée sans fioriture mais avec cette science du mystère qui est l’une des forces du narrateur des exploits du Commissaire Laviolette, lauréat pour ses policiers du Prix du Quai des Orfèvres, et qui n’a pas encore écrit ses chefs d’œuvre (Un grison d’Arcadie en 1999, Laure du bout du monde en 2003), c’est l’histoire donc de l’assassinat de toute une famille dans une maison isolée de Haute Provence. S’il n’y a pas de coupable incontestable, il y a plusieurs suspects et il y a aussi trois condamnés à mort, des métèques évidemment, pourquoi chercher plus loin ? Et il y a un rescapé qui, revenu à l’âge adulte sur les lieux du crime, ne trouve un repos relatif qu’en détruisant jusqu’à la dernière pierre la maison de l’horreur. Au final le mystère reste entier, et Séraphin, un costaud taiseux et insensible aux charmes des beautés du coin qui se jettent à son cou, y perd lui-même son latin : sa vengeance lui échappe, alors même que les morts violentes continuent, vingt cinq ans après. Fin du premier acte.

Au premier abord, c’est une sorte de roman policier et psychologique, au titre d’ailleurs plutôt mal choisi. C’est dans le deuxième tome que l’histoire tournera à la peinture des mœurs régionales et à la description d’une sorte de fatalité qui s’abat sur certaines familles, un peu comme dans « Le moulin de Pologne ». Mais on retrouve dans le roman cette façon de Pierre Magnan d’utiliser quantité de mots rares ou dialectaux (« si tu crompes La Burlière », « au fond des vaisseaux mal ouillés », « la montagnière y vrombissait », « tous ces carêmes-entrants ») et surtout cette poésie des paysages et cette simplicité des modes de vie dans les Alpes de Haute Provence. En voici quelques extraits.

À propos du village où habite le meunier Didon Sépulcre : « C’était un écoute-s’il-pleut du bord du Lauzon qu’on appelait Saint-Sépulcre » (page 56).

À propos de sa fille, la belle Rose, il ne recule pas devant un bel oxymore : « Son visage en triangle s’élargissait par le haut en un front buté, rétréci par les bandeaux de la chevelure queue de pie – bleu acier à la lumière du jour plutôt que noire, sauf à la nuit tombante. On se demandait où elle avait pris ses yeux dessinés comme des amandes. Ses deux petits seins appelaient à être emprisonnés sous la main. On osait à peine se retourner sur son passage afin de ne pas remarquer combien elle balançait ses fesses avec une perverse ingénuité » (page 56).

Le vent, là-bas comme dans le roman, est omniprésent et pesant ; on ne l’appelle pas mistral parce que, peut-être, il a un autre nom… mais Pierre Magnan le décrit comme un personnage : « Les gens de la plaine, seuls, peuvent en parler. S’ils ont tris platanes devant leur ferme, ils doivent se résigner à leur laisser la parole, à ne plus entendre qu’eux – toutes portes claquées –, à différer les conversations sérieuses. Si l’on est obligé de marcher contre lui, il vous tire brutalement les larmes des yeux. Après, on ne voit plus qu’en cillant des paupières. On voit tout dédoublé : on voit deux facteurs qui arrivent gonflés comme des ballons sur leurs bicyclettes et pourvu d’autant de bras qu’une déesse asiatique (…) Sans ce vent, rien – peut-être – ne serait arrivé (…) Quand Gaspard sortait faire sa ronde au crépuscule, ce vent lui sautait à la figure en un bond hostile, l’enveloppant comme un linceul mouillé, en une caresse lascive » (pages 146-147).

Et il n’y a pas que le vent ! L’olivier aussi peuple les monts et les vallées de Provence : « Car l’olivier est l’arbre de la douleur. Il n’apporte la paix qu’à ceux qui le contemplent à travers Dieu. Rien qu’à le voir, d’ailleurs, on devrait s’en douter. Tordu, noueux, arqué de toute sa stature voûtée e vieillard rompu à toutes les roueries du temps ; on devrait se douter à le voir stoïque sous les frimas, encore chargé de ses fruits – et quelque fois il n’y en a que quelques-uns par rameau et quelquefois il y en a à rompre les branches, et dans les deux cas, la souffrance est la même – on devrait bien penser que pour aller les ramasser, il faudra se mettre au diapason et être stoïque comme lui. Mais chaque année, quand même, on ne se lasse pas d’essayer de jouer au plus fin avec le temps. On essaye de le deviner, on essaye de souffrir le moins possible. C’est à ça que sert le dicton de Sainte-Catherine » (page 224). C’est l’olivade, déjà magnifiquement décrite par Giono (Relire « Poème de l’olive » écrit en 1930 ou « Sur les oliviers morts » dans « Provence » en 1956-1958).

Pour conclure, encore un livre agréable à lire sur la vie dans ce qui s’appelait auparavant les Basses-Alpes, un livre qui se termine sur une énigme non résolue ou plutôt sur un faux point d’orgue : on sait ce qui s’est passé, le sordide est circonscrit, le héros est sorti du champ, le mystérieux reste à venir. Ce n’est pas un chef d’œuvre mais on ne se débarrasse pas d’un roman de Pierre Magnan.

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