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14/05/2018

"Le mystère de Séraphin Monge" (Pierre Magnan) : critique II

La déclaration de guerre de 1939 rattrape nos villageois, qui voient partir leurs fils mais n’arriver aucun combattant, sauf les nappes d’avions qui étendent leur vrombissement sur les monts, les vallées et la Durance. « À pied, à bicyclette ou sur leurs attelages à chevaux, nous suivions du regard par nos chemins, nos fils, nos gendres et nos neveux qui remontaient au village pour fouiller dans le tiroir de la table de nuit et en extirper le livret militaire et consulter le fascicule de mobilisation afin de savoir quel jour on allait partir et nous nous demandions lesquels d’entre eux auraient droit cette fois au palmarès en lettres d’or » (page 317).

« Le temps donc passa pour la guerre d’un seul coup : on apprit la bataille, on apprit la défaite. On fut anéantis, on se releva. Pas un instant on ne cessa de vaquer à nos travaux. Nous étions le peuple calme et exemplaire qui ne s’émeut de rien » (page 319).

« Nous passions des jours sur le rempart au soleil à regarder de tous nos yeux la paix extraordinaire qui se lisait sur tout le pays » (page 320).

Bien entendu, cela ne dure pas ; les combats se rapprochent et le narrateur compte les morts, sans vraiment trier entre ceux dus à l’Occupant pris de panique et ceux dus à la Résistance ; ce n’est pas le sujet du roman, c’est une toile de fond, devant laquelle les protagonistes de l’histoire continuent de s’écharper autour du souvenir de Séraphin. Nos héros disparaissent les uns après les autres, et Pierre Magnan montre alors sa maestria pour brosser de grandes fresques humaines, les générations se succédant et les drames s’enchaînant.

Presque incidemment on voit apparaître un Laviolette, qui sera l’une des éphémères conquêtes de Marie et pas le Commissaire des policiers de Pierre Magnan.

Les passions – positives et négatives – guident le comportement des acteurs, souvent jusqu’au paroxysme ; ainsi, à sa façon, la sœur moins gâtée par la nature de Rose suit-elle les traces de Séraphin en détruisant elle aussi sa maison.

Forcalquier marché.jpg

Le final est grandiose, que jouent seuls Marie et son fils Ismaël, pianiste virtuose ; ils réussissent à préserver l’essentiel, ce qui leur tenait à cœur par-dessus tout. Et c’est l’épilogue :

« Ces choses m’ont été révélées à voix égale, sous les manteaux des cheminées, tandis qu’au-dehors passait le siècle, passaient les siècles, desquels nul ne tenait compte, se contentant pour vivre des lambeaux de leur temps qu’ils nous accordaient à l’avare. Nous flottions devant es âtres attiédis dans l’approfondissement des nuits, entre réel et imaginaire, entre santé et maladie, entre joie et souffrance. Le frisson du mal d’autrui nous réconfortait dans notre humble bien-être d’automne » (page 499). 

Le mystère Séraphin va-t-il être éclairci pour autant ? Que nenni ! Si ce personnage énigmatique qui n’aura fait que passer a été l’objet d’une sorte de culte, n’est-ce pas avant tout parce que les gens avaient envie d’y croire, avaient besoin d’y croire ? C’est l’hypothèse qu’émet l’évêque de Digne (page 442), lui qui a résisté aux pires tentations et ne voudra pas chercher à « en avoir le cœur net » à propos de ces miracles supposés.

Restons encore quelque temps avec Pierre Magnan et son écriture souvent singulière : « Mais Marcelle connaissait si bien les aîtres que les yeux fermés elle s’y fût dirigée sans hésiter », « Au plus ça restera secret, au mieux ça vaudra » (c’est une formule similaire que j’ai critiquée dans un billet récent, comme empruntée à l’anglais…), « Les éteules à perte de vue se couvrirent d’yèbles », « Quelle avait été finalement l’entéléchie de Séraphin Monge ? », « Il reconnut à sa dégaine le desservant de quelque pauvre paroisse (…). Monseigneur perçut le grincement de la sonnette lorsque le visiteur en tira le ringard », « si Monseigneur n’avait pas eu la nouveauté capricieuse de humer le serein à la fenêtre », « Son père le laissa choir dans l’herbe trempée où grouillaient les buprestes à ventre vert au lever du jour ».

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Réflexion sur la crédulité des humbles, sur la destinée humaine, sur les passions dévorantes, sur la guerre, sur la foi, « Le mystère de Séraphin Monge » est tout cela à la fois, sous des dehors de conte philosophique ou d’histoire fantastique à la Garcia-Marquez. À garder et à relire, peut-être…

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