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21/12/2017

"Souvenirs d'une ambassade à Berlin" (André François-Poncet) : critique VI

« Il ne doit plus y avoir, légalement, dans le IIIème Reich, qu’un seul parti, le parti national-socialiste, le Parti unique, le Parti omnipotent. Le nettoyage prévu ne s’est heurté à aucune difficulté sérieuse ; il a été exécuté en six mois » (page 118). 

André François-Poncet brosse alors quelques portraits des Nazis qui prennent les postes autour de Hitler (Goebbels, Goering et comparses), et qui sont loin d’être tous des brutes épaisses ; il y a parmi eux de vives intelligences et des compétences réelles mais, évidemment, mises au service d’un projet monstrueux. Cette galerie de portraits est traitée avec finesse, dans une langue et un style « classiques » où le talent de notre écrivain éclate. 

Et, page 156, André François-Poncet constate que la Blitzkrieg menée par Hitler (une sorte de « révolution par ordonnances » mais naturellement sans aucune base démocratique) a totalement réussi. Treize ans après, il en est encore éberlué : « Voilà, donc, Hitler parvenu à ses fins, sur le terrain de la politique extérieure comme sur tous les autres ! Il a opéré le redressement qu’il s’était proposé. Il s’est libéré de la Société des Nations et l’Allemagne n’en a subi aucun dommage apparent (NDLR : Germany first !). Son habileté, son audace ont porté leurs fruits.

Quand on considère, en cet automne de 1933, l’œuvre qu’il a accomplie depuis le 30 janvier, on est stupéfait. Il a jeté par terre la république de Weimar (NDLR : l’ancien monde…), édifié sur ses ruines sa dictature personnelle totale, et celle de son parti, balayé ses adversaires politiques et jugulé toutes les libertés, étouffé les États confédérés, brisé la tradition particulariste et centralisé le Reich, plus qu’il ne l’a jamais été, mis en place et en marche (NDLR : !), dans toutes ses institutions caractéristiques, un régime nouveau, bouleversé l’État, l’administration, la société, les familles, mes individus, secoué l’Europe, enfin, comme il a secoué son pays, et fait surgir, au milieu des conseils internationaux, l’image d’une Allemagne émancipée, réveillée et redoutable !

Dans les années qui suivront, il se bornera à développer son œuvre ; il n’y ajoutera rien d’essentiel. Dès la fin de 1933, l’Allemagne nationale-socialiste est sur pied, avec ses mœurs, ses procédures, son vocabulaire, ses manières de saluer, ses slogans, ses modes, son art, ses lois, ses fêtes. Rien n’y manque (…).

L’étonnant, dans cette révolution, c’est la vitesse avec laquelle elle a été exécutée ; c’est aussi la facilité avec laquelle elle s’est installée, le peu de résistance qu’elle a rencontré. Il y a d’ailleurs, dans cette rapidité même, quelque chose d’inhumain, de contre-nature ».

Le chapitre « Hitler au pouvoir » se conclut par la mention d’une opposition qui pour être larvée n’en existe pas moins : opposition des anciennes classes dirigeantes qui souhaitaient le retour de la monarchie et réprouvent la violence du nouveau régime et sa désinvolture dans le maniement des finances publiques ; opposition des ultras du Parti, chauffés à blanc et qui en veulent plus, qui veulent une seconde révolution !

18/12/2017

Retour à Mabanckou

Mon commentaire de l’article de MM. Mbembé et Sarr m’a donné l’occasion de revenir à Alain Mabanckou, qui s’est exprimé souvent sur cette question des relations entre l’Afrique et le monde occidental, et aussi sur la place de la littérature africaine francophone, qu’il fait connaître inlassablement, lui qui, né au Congo-Brazzaville, a étudié en France et a obtenu un poste de professeur en Californie, à Los Angeles. 

Je dispose pour cela de deux articles parus dans Marianne les 7 octobre 2016 et 3 mars 2017, et tous les deux signés de Frédérique Briard.

Le premier commente son livre « Le monde est mon langage » (Grasset, 2016), nouvel essai – dans lequel il excelle – après la parution en 2015 de son onzième roman « Petit piment ».

Cet essai est un hymne à la langue française et à son rayonnement dans le monde. Alain Mabanckou y parle de ces rencontres avec dix-neuf écrivains qu’il apprécie, dans dix-neuf villes autour de la planète : Dany Laferrière, Sony Labou Tansi, JMG Le Clézio, Aminata Sow Fall et bien d’autres.

Le second est carrément un éloge dithyrambique du professeur au Collège de France qui a donné des conférences au premier semestre de 2016 dans l’amphithéâtre Marguerite de Navarre plein comme un œuf (j’y étais et j’en ai parlé dans ce blogue), ainsi qu’un colloque « Penser et écrire l’Afrique aujourd’hui » le 2 mai 2016, qui a rassemblé dix-neuf écrivains, historiens, philosophes, afin de réhabiliter les études littéraires africaines (décidément, dix-neuf serait-il un nombre magique ?) et de ne plus cantonner les productions africaines « dans un département exotique de la littérature française ». Il paraît que c’est ce que savent faire les Américains, en particulier en nommant dans d’illustres facultés des écrivains-professeurs comme Maryse Condé, Édouard Glissant, Emmanuel Dongala et donc Alain Mabanckou.

Et c’est qu’au détour d’un paragraphe on retrouve Achille Mbembé, philosophe qui réclame pour l’Afrique « un nouvel âge de dispersion et de circulation » ! 

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Alain Mabanckou n’est pas un pleurnichard ni un revanchard ; il avance et il veut que l’Afrique fasse de même.

14/12/2017

"Souvenirs d'une ambassade à Berlin" (André François-Poncet) : critique V

Après avoir résumé les idées-forces, les piliers de l’idéologie hitlérienne (racisme, antisémitisme, antiparlementarisme, antimarxisme, anti-internationalisme, etc., et anti-masses populaires allemandes !), André François-Poncet aborde la question du Parti et de son rôle central.

« La tâche principale de la révolution sera de renationaliser la masse, de la rééduquer politiquement, pour qu’elle devienne un instrument valable entre les mains de son chef.

Cette tâche est celle du Parti. Le Parti, c’est l’élément dynamique, le moteur de la révolution. Il veille à ce qu’elle garde son élan, qu’elle ne s’arrête jamais, qu’elle reste un mouvement, une force perpétuellement en marche (…). Une bonne propagande populaire est celle qui s’adresse moins à l’intelligence qu’au cœur, à l’imagination, et qui pousse la foi jusqu’au fanatisme, le fanatisme jusqu’à l’hystérie ; car l’hystérie est éminemment contagieuse (…) Plus de libéralisme ! Le nouveau Reich, le IIIème Reich, sera totalitaire. Il n’admettra pas l’existence d’autres partis, à côté du parti national-socialiste. Il éliminera ses adversaires » (page 75).

N’est-ce pas troublant de lire cela en 2017 ? 

Tout ce chapitre « L’idéologie hitlérienne » est remarquable de clarté, de pertinence, de lucidité, d’esprit de synthèse, de qualité littéraire et rhétorique. 

Il se termine par la description de l’autre facette, tout aussi effrayante, du mouvement national-socialiste : la violence des Sections d’Assaut (SA).

« Rarement s’est rencontré semblable aveuglement politique ! Rarement ont été accumulées autant d’illusions, autant d’erreurs psychologiques ! Hitler et ses partisans, qui n’avaient pas camouflé leurs idées, n’avaient pas non plus laissé de doutes sur leur façon d’agir, leurs méthodes et leur mentalité. Ils avaient, depuis longtemps, inauguré en Allemagne le règne de la brutalité. Le secret des premiers succès du Führer, c’est qu’il s’était avisé, à Munich, dans les débuts de sa propagande, de recruter des équipes de gaillards prêts à tout, qui, à coups de poings et de nerfs de bœuf, expulsaient des réunions publiques les contradicteurs ou assommaient, dans leurs propres réunions, les socialistes et les communistes. Ce fut l’origine des Sections d’assaut. Depuis lors, celles-ci avaient développé leurs mœurs de gangsters, multiplié les agressions, semé la menace et la terreur dans le pays et commis des crimes odieux (…). L’arrivée de leur chef au pouvoir changera-t-elle en agneaux ces loups, qui annoncent que des têtes vont rouler et que la première nuit de la révolution sera la nuit des longs couteaux ? (…) Le prisonnier que les Barons se vantent d’avoir enfermé à la Chancellerie sous leur garde, est plus fort qu’eux ? Tels seront pris, qui croyaient prendre. Ils ont introduit Hitler dans la place » (page 88). 

« Cependant, Hitler, à peine installé à la Chancellerie, déploie une extraordinaire activité. Avec une promptitude, une résolution, une sûreté de soi étonnantes, et qui, d’ailleurs, n’excluent ni l’habileté ni la ruse, il exploite à fond sa victoire (…). Il bouscule, il bouleverse l’état de choses existant. Il culbute les obstacles, il multiplie les mesures législatives de la plus grande portée ; dans tous les domaines il amorce la réalisation de son programme. C’est ce que le public appellera l’Umbruch, le renversement, le chambardement (…). Mais le peuple allemand ne s’y trompe pas. Dans sa majorité, il est moins choqué que séduit par tant d’élan et d’audace. Il frémit, comme un cheval qui a, soudain, senti la poigne et les éperons de son maître » (page 90). 

Encore aujourd’hui l’élan et l’audace séduisent…