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10/05/2018

"Le mystère de Séraphin Monge" (Pierre Magnan) : critique I

Voici donc la suite (et la fin) de « La maison assassinée », publiée six ans après (en 1990 – s’agit-il d’un remords de Pierre Magnan ou bien d’un plan prévu de longue date et différé pour cause de romans policiers plus rémunérateurs ou bien d’une nouvelle idée ou d’un fait divers découvert tardivement et en résonance avec l’histoire initiale ? Cela est un autre mystère –).

Séraphin est reparti comme il était venu, indifférent aux assauts enamourés des deux beautés du lieu, après avoir détruit méthodiquement la maison du crime ; et c’est maintenant que Pierre Magnan peut déployer tout son art des histoires bien tournées et de la peinture du quotidien en Haute Provence, son pays, juste avant et pendant la 2ème guerre mondiale.

Forqualquier vue générale.jpg

Le drame continue, maintenant autour des familles de Rose et Marie, qui sont victimes des coups de boutoir du destin, tout en continuant à vénérer, chacune à sa façon mais main dans la main, ce qui leur reste de Séraphin.

Leur beauté ne leur sert pas… mais donne prétexte à Pierre Magnan pour écrire quelques passages tels qu’il les affectionne : « Quand elle reparut devant Patrice, sa tenue était transparente et lubrique comme celle d’une garçonne d’alors, moulée dans une robe vert sombre qui glissait comme une peau à chaque mouvement, qui chatoyait sitôt qu’elle frémissait sur son corps et qui, elle le savait, était plus choquante que sa chair elle-même. Elle s’assit posément sur une raide chaise de bois. Elle leva lentement sa jambe droite et appuya sa cheville sur son genou gauche. La robe moirée glissa comme la mue d’un serpent » (page 90). 

Et toujours chez Pierre Magnan ces expressions curieuses : « dans le lit depuis longtemps froid d’amour », « qu’est-ce que tu barjaques ? », « les lieux épierrés étaient moins profus que les tas de pierre qu’on en avait extirpés », « l’eïssade à la main », « on mit bas l’outil sur lequel on s’efforçait », « un petit arbre que moi-même j’avais enté », « les vingt panaux d’olives », « le rob des Alpes », « La mort huchait partout »…, ces belles formules : « que nous n’y croyions pas n’implique pourtant pas que nous dussions négliger de faire toute la lumière sur cette étrange affaire », « Les orages n’avaient pas abattu l’été », …, ces réflexions ou aphorismes en passant : « mais comment Dieu pourrait-il sévir contre la multitude qui est son essence même ? », « nous condamnons à mort en dépit que nous en ayons », « ici gîte la narquoise présence de Dieu », ces mélanges de philosophie et de syntaxe absconses : « Les survivants d’une seule guerre en leur seule existence ont toujours le temps de voir leur nation secouer l’oreille d’avoir été pourtant grandement humiliée à les entendre »… et parfois un franglais involontaire : « son pouvoir terrifique »…

À suivre...

05/05/2018

"La maison assassinée" (Pierre Magnan) : critique

Ce qui fait l’originalité et l’intérêt de « La maison assassinée » publiée en 1984 par Pierre Magnan, aux Éditions Denoël, ce n’est pas son écriture – plutôt inférieure aux autres productions du discipline de Giono –, et ce n’est pas l’histoire – ce fait divers abominable a fait l’objet de plusieurs films, le plus récent avec Patrick Bruel, un plus ancien avec Fernandel et il faut dire que le livre « Gaspard des montagnes » de l’Auvergnat Henri Pourrat raconte également une histoire similaire – ni même le comportement étonnant du seul rescapé…

Non, ce qui fait l’originalité et l’intérêt de ce roman, c’est son deuxième tome, un épais volume de 500 pages intitulé « Le mystère de Séraphin Monge », publié en 1990 ! Pourquoi ? Eh bien, vous le saurez en lisant le billet suivant de ce blogue…

Et la maison assassinée alors, ça dit quoi et comment ? C’est l’histoire, racontée sans fioriture mais avec cette science du mystère qui est l’une des forces du narrateur des exploits du Commissaire Laviolette, lauréat pour ses policiers du Prix du Quai des Orfèvres, et qui n’a pas encore écrit ses chefs d’œuvre (Un grison d’Arcadie en 1999, Laure du bout du monde en 2003), c’est l’histoire donc de l’assassinat de toute une famille dans une maison isolée de Haute Provence. S’il n’y a pas de coupable incontestable, il y a plusieurs suspects et il y a aussi trois condamnés à mort, des métèques évidemment, pourquoi chercher plus loin ? Et il y a un rescapé qui, revenu à l’âge adulte sur les lieux du crime, ne trouve un repos relatif qu’en détruisant jusqu’à la dernière pierre la maison de l’horreur. Au final le mystère reste entier, et Séraphin, un costaud taiseux et insensible aux charmes des beautés du coin qui se jettent à son cou, y perd lui-même son latin : sa vengeance lui échappe, alors même que les morts violentes continuent, vingt cinq ans après. Fin du premier acte.

Au premier abord, c’est une sorte de roman policier et psychologique, au titre d’ailleurs plutôt mal choisi. C’est dans le deuxième tome que l’histoire tournera à la peinture des mœurs régionales et à la description d’une sorte de fatalité qui s’abat sur certaines familles, un peu comme dans « Le moulin de Pologne ». Mais on retrouve dans le roman cette façon de Pierre Magnan d’utiliser quantité de mots rares ou dialectaux (« si tu crompes La Burlière », « au fond des vaisseaux mal ouillés », « la montagnière y vrombissait », « tous ces carêmes-entrants ») et surtout cette poésie des paysages et cette simplicité des modes de vie dans les Alpes de Haute Provence. En voici quelques extraits.

À propos du village où habite le meunier Didon Sépulcre : « C’était un écoute-s’il-pleut du bord du Lauzon qu’on appelait Saint-Sépulcre » (page 56).

À propos de sa fille, la belle Rose, il ne recule pas devant un bel oxymore : « Son visage en triangle s’élargissait par le haut en un front buté, rétréci par les bandeaux de la chevelure queue de pie – bleu acier à la lumière du jour plutôt que noire, sauf à la nuit tombante. On se demandait où elle avait pris ses yeux dessinés comme des amandes. Ses deux petits seins appelaient à être emprisonnés sous la main. On osait à peine se retourner sur son passage afin de ne pas remarquer combien elle balançait ses fesses avec une perverse ingénuité » (page 56).

Le vent, là-bas comme dans le roman, est omniprésent et pesant ; on ne l’appelle pas mistral parce que, peut-être, il a un autre nom… mais Pierre Magnan le décrit comme un personnage : « Les gens de la plaine, seuls, peuvent en parler. S’ils ont tris platanes devant leur ferme, ils doivent se résigner à leur laisser la parole, à ne plus entendre qu’eux – toutes portes claquées –, à différer les conversations sérieuses. Si l’on est obligé de marcher contre lui, il vous tire brutalement les larmes des yeux. Après, on ne voit plus qu’en cillant des paupières. On voit tout dédoublé : on voit deux facteurs qui arrivent gonflés comme des ballons sur leurs bicyclettes et pourvu d’autant de bras qu’une déesse asiatique (…) Sans ce vent, rien – peut-être – ne serait arrivé (…) Quand Gaspard sortait faire sa ronde au crépuscule, ce vent lui sautait à la figure en un bond hostile, l’enveloppant comme un linceul mouillé, en une caresse lascive » (pages 146-147).

Et il n’y a pas que le vent ! L’olivier aussi peuple les monts et les vallées de Provence : « Car l’olivier est l’arbre de la douleur. Il n’apporte la paix qu’à ceux qui le contemplent à travers Dieu. Rien qu’à le voir, d’ailleurs, on devrait s’en douter. Tordu, noueux, arqué de toute sa stature voûtée e vieillard rompu à toutes les roueries du temps ; on devrait se douter à le voir stoïque sous les frimas, encore chargé de ses fruits – et quelque fois il n’y en a que quelques-uns par rameau et quelquefois il y en a à rompre les branches, et dans les deux cas, la souffrance est la même – on devrait bien penser que pour aller les ramasser, il faudra se mettre au diapason et être stoïque comme lui. Mais chaque année, quand même, on ne se lasse pas d’essayer de jouer au plus fin avec le temps. On essaye de le deviner, on essaye de souffrir le moins possible. C’est à ça que sert le dicton de Sainte-Catherine » (page 224). C’est l’olivade, déjà magnifiquement décrite par Giono (Relire « Poème de l’olive » écrit en 1930 ou « Sur les oliviers morts » dans « Provence » en 1956-1958).

Pour conclure, encore un livre agréable à lire sur la vie dans ce qui s’appelait auparavant les Basses-Alpes, un livre qui se termine sur une énigme non résolue ou plutôt sur un faux point d’orgue : on sait ce qui s’est passé, le sordide est circonscrit, le héros est sorti du champ, le mystérieux reste à venir. Ce n’est pas un chef d’œuvre mais on ne se débarrasse pas d’un roman de Pierre Magnan.

07/04/2018

"La carte et le territoire" (Michel Houellebecq) : critique

Ce sera vite fait ! « La carte et le territoire » (Prix Goncourt 2010) de Michel Houellebecq, ce livre très connu, sur lequel je suis tombé en cherchant autre chose, ne mérite guère qu’une mention rapide dans mon blogue, pour mémoire si l’on veut.

A-t-il d’abord quelque mérite ? C’est sans doute l’originalité de son propos, qui tient pour moi à deux idées du romancier : d’une part mettre en scène Michel Houellebecq lui-même en auteur de romans – c’est-à-dire parler de lui à la troisième personne – ainsi que d’autres personnages contemporains connus (Frédéric Beigbeder, Jeff Koons, Jean-Pierre Pernaud…), certains à leur avantage, d’autres plus ou moins ridiculisés ; et d’autre part faire photographier à son héros – Jed Martin – des cartes Michelin plutôt que les paysages afférents… À cela s’ajoutent plusieurs remarques intéressantes sur la vie et sur les humains, ainsi que des paragraphes entiers, dont on se demande souvent s’ils sont réels ou inventés, sur certaines maladies ou certains métiers. Allez, pour être tout à fait objectif, il faut louer également l’inventivité de Michel Houellebecq, son talent pour imaginer et brosser les destins crédibles de ses personnages. 

Et pour le reste ? Eh bien, c’est tout ! C’est un texte mi-étude socio-psychologique, mi-roman policier, qui se lit facilement et retient l’attention jusqu’au bout. Le style, n’en parlons pas, il n’y en a pas ; et les caractères des personnages ne sont jamais qu’effleurés. Tout cela fait penser en vrac à Robert Sabatier (celui des Olivier) pour la description méticuleuse de certains détails pratiques, à Joseph Connoly (celui des Vacances anglaises) pour quelques situations drolatiques, à Marc Lévy et Guillaume Musso pour l’histoire bien troussée et efficace qui se lit vite… Pas de quoi fouetter un chat, vite passer à autre chose.

Houellebecq devant bibliothèque.jpg

On me dira sans doute – ah ! les idolâtres de Michel Houellebecq – que je n’y ai rien compris : ni la peinture féroce des travers et des ridicules de notre société occidentale (surtout la société des élites en l’occurrence, artistes, architectes de renom, journalistes de l’audiovisuel) ni les réflexions sur la vie ni l’ironie sous-jacente envers les amateurs et collectionneurs de peinture et de photographies « décalées » héritières du pop art…

Voici, par exemple, Rouletabille, dans le site Babelio, en 2013 ; il émet un avis assez proche du mien :

« La carte et le territoire est inconstant. Cela fait longtemps que je voulais lire ce Goncourt (…)

Après l'avoir lu, la raison est peut être assez simple : ce livre est finalement assez banal. Loin, très loin de l'image du sulfureux écrivain avec un regard sombre sur la société. Certes par de rares phrases, l'auteur ponctue son récit sur des interrogations comme la place du travail dans nos vies, de l'argent moteur de toutes les atrocités, décrit une société apaisée post-crise à la fin du récit. La question de l'euthanasie est aussi effleurée avec le père du héros. Oui, voilà le problème de ce Goncourt : à vouloir traiter beaucoup de sujets de la vie, il n'y a pas de réel approfondissement. Les réflexions "philosophiques" sur ces sujets sont consensuelles, du déjà lu, vu.

Mais la majorité du temps, le lecteur doit supporter de longues descriptions sans intérêt, en particulier du matériel utilisé par Jed Martin, artiste devenu riche ou encore de son chauffe-eau tombé en panne et sa difficulté à contacter un plombier !

Ce Jed Martin va rencontrer Olga et hop en à peine deux pages ils vont finir dans le même lit !

Jed Martin va rencontrer... Michel Houellebecq. Au début j'ai eu peur de ce procédé, Houellebecq parlant de Houellebecq, bonjour la mégalomanie. Puis finalement il s'en sort assez bien avec ce personnage de Houellebecq en fin de compte pathétique dans la gestion de sa vie quotidienne.

La troisième partie s'ouvre par un événement inattendu mais la suite, elle est beaucoup plus classique avec une enquête policière guère captivante. La description de la scène du crime est là aussi interminable, avec tout ce sang cette scène me fait penser à la série Dexter. L'auteur va même tomber dans le vice d'utiliser la fameuse phrase toujours employé par un enquêteur "je sens qu'on passe à côté de quelque chose mais je sais pas quoi" ! Super, on est ravi par une telle prouesse littéraire, une telle audace narrative. Recourir à une telle banalité devrait conduire à l'élimination automatique d'un Goncourt !

Par contre il convient aussi de dire que ce livre ne m'a pas entièrement passionné en raison des nombreuses références artistiques. Or je n'ai pas la culture suffisante sur ce domaine pour apprécier la pertinence ou non de ces réflexions sur les arts ». 

Voici Erveine qui écrit :

« Je viens de relire ‘'la carte et le territoire'' de Michel Houellebecq et je dois dire que je suis confortée dans ma première impression, à savoir que c'est un écrivain qui possède indéniablement, une écriture agréable et unique. Tandis qu'il utilise un mode d'expression qui n'est pas linéaire, oscillant entre un phrasé classique et moderne, ses détracteurs lui prêtent de la platitude et ses admirateurs du brio. En ce qui me concerne, je me rangerais plutôt à sa propre définition, soit que : « la meilleure condition pour exercer un bon style, c'est d'avoir quelque chose à dire » et pour le moins, le texte est riche » (dans le site Babelio, en 2014).  

Voici, enfin, ce qu’en écrivait les Inrockuptibles le 29 août 2010 (c’est le genre d’article qui écrit un autre roman en décrivant un roman…) :

« Roman total, bilan de l’état du monde et autoportrait, labyrinthe métaphysique sidérant de maîtrise (…)

Si l'une des nombreuses lectures de ce texte d'une densité et d'une richesse impressionnantes est celle d'une vision du monde rompue à la manufacturisation de tout, à la mise à mort de l'authenticité (le territoire, ou le terroir) pour mieux l'imiter en la caricaturant à la norme mondialisée, à l'avènement de l'argent-roi qui tue tout sur son passage, même les écrivains, le livre est aussi la preuve que Michel Houellebecq refuse de se manufacturer lui-même.

Plutôt que de s'imiter, l'auteur va se démultiplier. Car « La Carte et le Territoire » est avant tout un formidable autoportrait de Michel Houellebecq, en écrivain, en artiste, en enquêteur, en homme ou en chien, en solitaire qui n'a plus rien à attendre de l'humain passé de la société du spectacle à celle de la consommation. Rarement on aura vu un écrivain se faire apparaître avec une distance aussi comique que glaçante, avec tendresse aussi, comme s'il était observé par un autre, dans son propre roman. Un roman à la structure complexe, vertigineuse, galerie des glaces qui donne le tournis : au-delà de sa propre apparition, l'écrivain va s'incarner aussi dans ses autres personnages, devenus autant d'avatars de lui-même (...)

Reste que ce magnifique roman irréductible à une seule thèse, construit comme un labyrinthe, fourmillant de visions métaphysiques, écrit avec une maîtrise sidérante, nous faisant constamment la grâce de parer son désespoir d'une ironie irrésistible, n'est pas à lire comme un document sur la société. Tel Jed Martin qui choisit d'intituler sa première exposition « La carte est plus intéressante que le territoire », ce que nous dit Michel Houellebecq à travers cette magistrale leçon de littérature qu'est aussi « La Carte et le Territoire », c'est que le roman sera toujours plus intéressant (plus vrai, plus fort, plus beau) que toute réalité. À condition qu'il s'agisse d'un très grand roman, comme il en arrive rarement, comme il vient de nous en arriver ». 

Peut-être… mais ce n’est pas ce que je recherche dans la littérature.

Donc, selon mes critères : un livre qu’on lit facilement jusqu’au bout, pour passer quelques heures perdues, et qu’il n’est pas question de recommander ni d’ailleurs de garder dans sa bibliothèque. Quant à savoir comment il a pu obtenir le Goncourt… (la quasi-totalité des œuvres qui ont été distinguées par ce prix littéraire depuis sa création, sont tombées dans l’oubli le plus total).