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29/04/2019

Quelle langue de travail pour l'Europe ?

À lire dans les Échos du 3 avril 2019, un article intéressant de M. Frédéric Sicard, avocat. La question : au moment où les Anglais vont (peut-être) quitter l’Union européenne (entraînant avec eux les Écossais contre leur gré), quelle doit être sa (nouvelle ?) langue de travail ?

J’ai déjà évoqué cette question très importante dans mon billet du 23 mars 2019 à partir des positions de M. Yves Montenay et de Mme Élisabeth M. Wansbrough-Abdi que je partage. Il est rassurant de constater que quelques beaux esprits s’intéressent à la chose.

Tout le problème vient de ce que « Les textes européens exigent que la langue de travail soit l’une des langues officielles d’un des États membres ». Donc ce ne peut pas être le chinois ni le russe et pas encore, Dieu soit loué, le turc. Mais l’élément-clé est que la Grande-Bretagne, si elle part, partira avec sa langue parce que « l’Irlande a choisi le gaélique et Malte, le maltais » ! Donc, soit on change la règle, soit on change de langue de travail (je parie, quant à moi, que les Européistes néo-libéraux acharnés qui nous gouvernent, vont changer la règle, et même peut-être subrepticement, mais M. Sicard analyse la chose de façon moins polémique).

L’avantage d’abandonner l’anglais est double : obliger l’administration européenne à traduire les projets de texte AVANT de les adopter, et non après comme c’est le cas actuellement ; moins produire de textes, pour compenser le ralentissement dû aux traductions.

Pour remplacer l’anglais, deux candidats : l’allemand (qui est la langue maternelle la plus parlée) et le français (parlé en Belgique, au Luxembourg – et à Strasbourg – et enseigné dans de nombreux pays). M. Sicard ajoute un avantage : le français est la langue native du droit napoléonien, le droit continental européen (dont les concepts sont connus et compris dans pratiquement tous les États membres). Personnellement je serais étonné que les Allemands et surtout les Néerlandais acceptent que le français prenne cette place vacante, et M. Macron n’a pas montré beaucoup de persévérance, sinon de volonté, à promouvoir la langue française (pas plus d’ailleurs que ses propres idées de « réforme » de l’Union…).

Le juriste qu’est M. Sicard propose autre chose, que je rapprocherai de la méthode canadienne (chacun s’exprime dans sa langue) et aussi de l’aphorisme de Umberto Eco (la langue de l’Europe, c’est la traduction) : abandonner la méthode de « la langue de travail » et « adopter le style d’une société multi-culturelle (oh l’horreur !) et multilinguiste ». il suggère « d’adopter un style de rédaction compatible avec toutes les langues de l’Union », mais je ne vois pas ce que cela peut signifier.

En tous cas, la question méritait d’être posée. Mais qui s’en occupe ?

26/04/2019

"Macron, un mauvais tournant" : critique V

Il est encore temps, alors que la conférence de presse « refondatrice » de M. Macron ne date que du 25 avril 2019, de publier quelques extraits de plus du livre des Économistes atterrés.

La partie 4 s’intitule : « Travail : satisfaire le patronat ». Sa thèse est que, depuis 20 ans, le patronat français a obtenu des Pouvoirs publics à peu près tout ce qu’il demandait.

Morceaux choisis… « La France n’a jamais réussi à avoir un dialogue social satisfaisant. Le patronat n’a pas vraiment accepté l’existence des syndicats (…). En 1999, le MEDEF publie un projet de refondation sociale, qui demande la primauté des accords entre partenaires sociaux, sur la loi (…). Le MEDEF refuse la cogestion des entreprises mais réclame que les patrons cogèrent l’État » (page 102). Ce projet valorise le chef d’entreprise mais ignore les parties constituantes (salariés) et les parties prenantes (fournisseurs, clients).

Quand on lit les revendications de ce texte (voir page 103), on constate qu’à l’automne 2018, avec la loi Travail (Macron 2) – inversion de la hiérarchie des normes, durée du travail, contrat de travail, seuils sociaux –, les patrons ont effectivement tout obtenu, sans manifestation de rue ni naturellement de violence…

La partie 5 aborde la politique budgétaire, qualifiée d’inégalitaire par les auteurs. On y trouve un paragraphe sur l’ISF, dont le rétablissement a été réclamé en vain par les Gilets jaunes. Il rapportait près de 5 Mds € en 2016 (et non pas 3,5 comme je l’ai entendu répété par le représentant d’En Marche dans « Le grande confrontation » sur la chaîne LCI). Notant les nombreuses exonérations et abattements dont il était accompagné, les Économistes atterrés considèrent que « Il est légitime que, à côté d’une taxation des revenus, il existe une taxation des gros patrimoines qui profitent largement de l’organisation sociale. Malencontreusement, le total IR+ISF était plafonné à 75 % du revenu déclaré, ce qui incitait les plus riches à accumuler des plus-values latentes dans une société créée à cet effet pour détenir leurs titres, à déclarer très peu de revenus (donc à bénéficier du plafonnement) et à prétendre vivre à crédit (en utilisant les titres accumulés comme garantie) » (page 134).

On sait maintenant que la campagne contre l’ISF et son argumentation ont porté leurs fruits, puisqu’il a été supprimé (avec un an d’avance) et n’a pas été rétabli hier soir. L’un des arguments était qu’il faisait fuir les meilleurs d’entre nous à l’étranger ; or le solde net n’est que de 500 fuyards par an, soit 0,2 % des personnes assujetties, et leur âge moyen de 57 ans ! Le paragraphe sur les salaires, les retraites et le pouvoir d’achat est également instructif : « Les salariés ne pourraient plus avoir de hausses de salaires financées par leur entreprise (et donc par leur travail). Les hausses de salaires devraient être financées par des baisses de cotisation (donc de prestations sociales) ou des baisses d’impôt (donc de dépenses publiques) » (page 156).

25/04/2019

"Le Guépard" (Giuseppe Tomasi de Lampedusa) : critique I

Quel roman magnifique !

Quand on parle à quelqu’un du Guépard, il pense systématiquement au film de Visconti (« un chef d’œuvre » !) et vous répond : « Delon ? formidable ! Claudia Cardinale ? magnifique ! ». Neuf fois sur dix, il a vu le film avant de lire le livre et souvent ne lira même pas le livre… C’est dire la force d’attraction indue du cinéma et la facilité qui consiste à « se laisser raconter des histoires » par images animées interposées. Dans quelques cas heureux le cinéma fait connaître des œuvres qui sans lui n’auraient pas eu de lectorat ; dans la plupart de cas, il fait office de distraction culturelle et dispense de consulter ses sources (la littérature). Que l’on pense, au-delà du « Guépard », à « la Recherche du temps perdu » transposé au cinéma et imposant ainsi les images mentales du metteur en scène à tous les spectateurs ; une fois qu’on a « vu » les Gilberte Swann et Albertine de celui-là, comment faire pour que ceux-ci les oublient en allant les découvrir dans Proust ?

Donc, a minima, lire les livres « avant » de voir comment les cinéastes les ont réinventés.

Ensuite, quid du Guépard de Visconti ? Burt Lancaster y est impeccable, comme les décors, les lieux et les costumes ; en revanche, Alain Delon, qui joue le rôle à peu près comme dans « L’homme pressé » (1977), c’est-à-dire courant partout, papillonnant, n’est pas loin d’être insupportable ; quant à Claudia Cardinale, en sa prime jeunesse, souriante et boudeuse, elle n’est pas si loin du personnage d’Angélique Sedara sans doute mais elle ne marque pas par son interprétation (ni par sa beauté d’ailleurs, trop enfantine ; on sait bien que, quelques années plus tard, elle sera superbe !).

Mais venons-en maintenant au livre écrit par Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, aristocrate italien, en 1955, quelques années avant sa mort ; ce sera son seul ouvrage, à part un recueil de nouvelles paru en 1961. Dans sa préface (édition Le Seuil, Points, février 1980), Giorgio Bassani raconte sa rencontre avec l’auteur dans un colloque littéraire en 1954 ; ce dernier était venu de Sicile avec son cousin, un poète qui fut la révélation du colloque. Ce n’est que cinq années plus tard qu’il reçut par la poste un manuscrit du Guépard, qu’il publia. Le Prince était déjà mort.

Je pourrais recopier de larges extraits de cette belle préface pleine de louanges, qui résume l’histoire et surtout l’époque qui en forme l’arrière-plan (nous sommes en 1860, Garibaldi débarque en Sicile), mais je préfère consigner mes propres réflexions à la lecture de cet émouvant roman et citer plutôt les passages qui m’ont marqué.

À part le virevoltant Alain et la jolie Claudia, ce que l’on connaît souvent du Guépard, c’est cette phrase célèbre « Si nous voulons que tout continue, il faut que d’abord tout change », prononcée par Tancrède Falconeri, le neveu du Prince Salina (page 35). On la retient souvent sous la forme « Il faut que tout change pour que rien ne change ». C’est une remarque profonde car, la vie étant en perpétuel mouvement, ce qui est figé est balayé : organisations, associations, entreprises, partis politiques, structures sociales… et équipes sportives ! C’est bien en changeant au bon moment certains joueurs qu’un club peut garder sa position dominante dans la durée. Tancrède assène cet aphorisme à son oncle conservateur pour justifier le fait que, membre de l’aristocratie, il a néanmoins rejoint le « révolutionnaire » Garibaldi. Il en reviendra…

Au total, cette phrase ne laisse pas de trace dans le roman, à ceci près qu’il décrit le lent effacement d’une classe sociale – les aristocrates siciliens – et leur remplacement par une classe moyenne qui a fait fortune, à l’image de la fille du maire, Angélique, qui épouse le neveu du Prince, Tancrède.