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12/06/2015

Irritations XVI

Vous en avez sûrement presque autant marre que moi, chers lecteurs...

Donc je devrais m'arrêter et poursuivre d'autres vieilles lunes, sans doute. Mais comment se résigner à autant de snobisme, de bêtise, de soumission (je précise tout de suite : soumission au modèle américain) ?

Et puis n'est-ce pas l'une des ambitions de ce blogue, au-delà de la dénonciation, de la critique, de la satire (toujours recommencées), de répertorier, d'analyser, de classer toutes ces entorses quotidiennes, non pas même au beau langage, mais tout simplement à une langue claire, sobre, précise et respectueuse de ses racines ?

Voici, en conséquence, mes dernières irritations.

Le 10 juin 2015, sur France Inter, dans l'émission Carnets de campagne, on parlait d'une "initiative citoyenne" dans le Morbihan visant le "zéro déchet". Fort bien. Un groupe de bénévoles a réussi à empêcher de nouvelles dépenses sur le plus vieil incinérateur de France, en convainquant un à un 56 élus qui s'apprêtaient à valider une dépense sans en connaître les tenants ni les aboutissants. Magnifique. Et alors, quel âge cet incinérateur ? "44 ans d'âge" entend-on dans le poste… C'est quoi ce français ?

Nous disons depuis des lustres : "Il a 44 ans" et non pas "Il a 44 ans d'âge". D'ailleurs de quoi d'autre pourrait-il avoir 44 ans ? "Il aurait 44 ans de poids", "Il aurait 44 ans de hauteur", "Il aurait 44 ans de longévité" ? Déjà que la mode agaçante s'était répandue sur les bouteilles de whisky et de rhum ("Le 12 ans d'âge"), ça suffit.

Soit dit en passant, les Anglais disent "He's 44" et les Allemands "Er ist 44". Alors...

 

Encore quelques perles (si l'on peut dire) glanées dans les écrans de pub à la télé (BFM-TV le 3 juin 2015) :

  • RISO Productive printing
  • CEGID Cloud services
  • OPEL Corsa Wir leben Autos

Et dans les innombrables pages de pub du Figaro magazine, celle de Peugeot, dont le nom des modèles est à lui seul un hymne au franglais : Partner Tepee, 108 Top, motorisations Blue HDi, PureTech, teinte Orange Power, feux arrière Full LED, Mirror screen, Active city break, Crossover 2008 Style… Ça dérange personne ?

Dans le Marianne du 8 mai 2015, un article sur la "dictature de la connexion" d'Ève Charrin nous alerte sur les objets connectés. Voici quelques extraits : "Aux États-Unis le self tracking permet à l'utilisateur d'obtenir une réduction sur sa prime d'assurance-santé". "Comment adhérer à la mythologie high-tech du gain en autonomie individuelle ou empowerment en américain ?". "Gourou du quantified self, Christophe Ducamp… porte un œil critique sur ces start-ups qui siphonnent nos données personnelles". "Il voudrait former des citoyens geeks… capables de rééquilibrer la relation entre consommateurs et industriels du big data". "Les amateurs de quantified self continueront à payer deux fois". "Les industries high-tech misent sur l'addiction". "La ludification s'affirme comme une tendance de fond".

Bons princes, on se dit que le "modernisme" de l'article, sur des innovations technologiques, peut excuser l'emploi outrancier d'anglicismes.

Mais, comme disait Henri Salvador, "sur l'autre chaîne, ils passaient le même navet" !

En effet, dans le Marianne du 17 avril 2015, l'article de Julie Rambal sur les autoentreprises censées sortir de la mouise les éclopés du libéralisme triomphant, faisait encore pire, bien que les boulots en question soient tout ce qu'il y a de plus traditionnel (aucune haute technologique là-dedans). Jugez-en.

"Les métiers de reconversion qui font rêver actuellement ? le care…, les thérapies New Age… le coaching".

Baraque à frites.jpg"Dans cette époque du no future…". "Beaucoup se rêvent en show runner…". "Les master class de dramaturgie…". "Coach de look". "Écoles de coaching". "Je monte un food truck". "Les food trucks se targuent de fooding". "Le marché enfantin, baptisé kidding".

Bien sûr, faut-il le noter, l'article se gargarise de marketing, de job, de business plan...

La syntaxe, quand la dame consent à écrire en français, est approximative : "En me disant que j'allais fabriquer équitable…".

Le pire de tout cela, c'est l'inoculation du virus (ou du premier joint…) aux plus jeunes, aux non encore drogués, avec cette phrase déjà citée : "Le marché enfantin, baptisé kidding".

Non, Madame Rambal, le "marché enfantin", ça veut dire quelque chose que tout le monde comprend, à savoir "le marché enfantin" ou "le marché des articles pour enfants". Nul besoin de le baptiser d'un nom qui fait américain !

Où a-t-elle appris le journalisme, cette pimbêche ? Cette sotte.

La seule chose qui me rassure et me réjouit, c'est que les élèves qui sortiront de l'école de Mme Belkacem seront tellement forts en anglais qu'ils trouveront aberrant cet américain de cuisine...

11/06/2015

Timeo hominem unius libri

C'est autour de cette citation de Thomas d'Aquin, qu'il se garde bien d'appeler Saint Thomas d'Aquin - vous comprendrez pourquoi dans un instant -, que Laurent Nunez signait une très belle chronique dans le Marianne du 17 avril 2015, sous le titre "La revanche de la culture".

Une chronique que l'on rêve d'écrire mais que mon niveau de culture à moi ne me permet pas de concevoir ni de réaliser.

Dans le format 18x9 (ce sont des centimètres car je n'ai pas le courage de compter les lignes…), c'est-à-dire sous une forme très ramassée, il démontre la nécessité et même l'urgence d'avoir "plus de musées, plus de films, plus de radios publiques, plus de livres, plus d'étudiants, plus de cours de grec, plus de cours de latin", à partir du constat que les groupuscules islamistes qui sèment la terreur depuis plusieurs années à travers le monde ont en fait un seul vrai ennemi : la culture (on se rappelle les manuscrits brûlés à Tombouctou, les bouddhas détruits à l'explosif par les talibans, les cités antiques de Syrie démolies au bulldozer, et les étudiants assassinés au Kenya…).

Ainsi, d'après Wikipedia, "Boko Haram", la dénomination abrégée en langue haoussa du nom du mouvement, peut être traduit par « l'éducation occidentale est un péché ». (Le mot Boko désigne un alphabet latin, créé par les autorités coloniales pour transcrire la langue orale haoussa, et désigne par extension l'école laïque. Le mot Haram signifie « interdit » ou « illicite » dans l'islam).

L'ennemi est donc, entre autres, les livres et les bibliothèques, comme pour les Nazis et tous les régimes totalitaires. Parce qu'il y a Le Livre, pris au pied de la lettre !

Thomas d'Aquin XIIIè siècle.jpgEt c'est là qu'intervient Thomas d'Aquin, homme du XIIIè siècle, qui "craignait l'homme d'un seul livre". En clair, soyons riches de mille pensées, puisées dans mille livres !

La conclusion, venant de si loin, est pourtant criante d'actualité : "Reculer sur le moindre de ces sujets serait un immense échec - pas seulement symbolique". On pense à la liberté d'expression (prétexte à de magnifiques envolées) et à la réforme du collège (imposée par décret ministériel), même si tout n'est pas à mettre sur le même plan.

Arrivé à la vingtième ligne de mon billet, je m'aperçois que, dans le même espace, je ne peux pas faire mieux que le texte de L. Nunez. Je fais même moins bien ! Je ne peux tout de même pas recopier purement et simplement sa chronique...

Alors, je m'arrête ; lisez-la !

 

10/06/2015

Dis-moi ta bibliothèque, je te dirai qui tu es (I)

Cécile Ladjali, encore elle, a eu une idée passionnante, bien que peu surprenante pour un écrivain et professeur comme elle et pour les amoureux des livres que nous sommes...

Qui n'y a jamais pensé, sans bien sûr avoir le cran et le talent de se lancer dans l'entreprise ? En plus de cette envie, il y a sans doute, pour ceux qui accumulent, le souhait d'inventorier, de mettre un peu d'ordre, ou de retrouver un ordre caché (involontaire ?) derrière le désordre apparent...

Eh bien, dans "Ma bibliothèque, lire, écrire, transmettre" (Éditions du Seuil, septembre 2014), Mme Ladjali l'a fait ! Elle décrit sa bibliothèque, la façon dont ses dizaines et dizaines de bouquins sont rangés et aussi ce qu'elle en pense, le plaisir qu'ils lui apportent.

Un point m'a accroché dès le début : quelle méthode de rangement a-t-elle adoptée ?

Bibliothèque.jpg"Je la regarde, ma bibliothèque, et me rends compte que son classement est bizarre, non inexistant mais bizarre. Le mieux aurait peut-être été de tenter, à l'échelle des trente-deux rayonnages, ce que Laurence Tardieu suggère à celle de la page quand elle y dévide le nom de ses auteurs préférés. Elle le fait dans un désordre magnifique et assumé, comme si seul ce désordre était susceptible de dire sa vérité de lectrice et d'écrivain".

Bon, outre le fait que je ne comprends pas une bonne moitié de cette phrase, vu que la syntaxe en est alambiquée, voire carrément incorrecte…, je découvre, grâce au paragraphe suivant (qui cite Laurence Tardieu) que le nec plus ultra serait de tout ranger en vrac "la seule logique est celle de l'admiration et de la gratitude, envers eux tous qui sont une vraie lumière pour moi"…. On n'est guère plus avancé.

On apprend que les meilleurs se sont cassé les dents sur cette question du classement des livres dans une bibliothèque. "Georges Perec ne trouvait aucun classement satisfaisant pour ses livres. Il avait pourtant établi une liste (NDLR : de critères possibles)".

J'ai en tête le cas de Pierre Magnan qui, l'âge venu, s'était retiré dans une petite maison de Forcalquier avec uniquement 24 livres (ou 25, les avis fluctuent), ses 24 livres préférés, ceux qu'il relisait sans cesse. Je ne sais pas comment ils étaient rangés ni quelle en était la liste ni même si le grand Giono en faisait partie.

Immédiatement, en lisant ce premier chapitre de "Ma bibliothèque" et en croyant comprendre que Cécile Ladjali ne s'était pas décidée pour un classement particulier, j'ai pensé à Warburg (voir mon billet sur ce sujet) et son rangement "thématique" à la façon de l'hypertexte, les ouvrages étant regroupés par association de contenu et par degré d'intérêt pour celui qui travaille avec.

Mais, non, Cécile nous embrouillait. La suite du chapitre est la preuve que son rangement est tout ce qu'il y a de plus raisonné : bazar oriental, langue anglaise et femmes de lettres, Allemands, Russes et camarades de plume, littérature française, noyau dur : la poésie, Moyen-Âge, XVIè siècle, auteurs grecs et latins, la Bible, Rose des vents : le grand théâtre du monde… tout cela s'étale bien ordonné, de gauche à droite et de haut en bas.

On est estomaqué par le nombre de livres : faramineux ! Et dire que, quand elle était enfant, il n'y avait pas de livres chez elle ! Quelle revanche sur le mauvais sort à la naissance !

Et encore, parmi les titres innombrables qu'elle cite se cachent des "œuvres complètes", qui démultiplient la perspective littéraire.