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03/11/2015

"Passage des émigrants" de Jacques Chauviré : critique (III)

Venons-en maintenant au fond du fond : ce livre est extraordinaire, l’un de ceux, peu nombreux, qui vont marquer mon année de lecture ! Il est très difficile d’en rendre compte sans raconter l’histoire (ce qui est l’enjeu classique des critiques), alors même que l’ambiance qui se dégage du texte est intraduisible (rien ne nous est caché de cette maison de retraite au bord de l’océan ni de l’infirmerie attenante).

Le sujet en lui-même est prenant : c’est la dernière étape de la vie d’un couple, Joseph et Maria Montagard, qui est « placé » dans une « résidence » pour personnes âgées, par leur fils, au prétexte de les rapprocher de lui, après un été au cours duquel Joseph a eu un problème de santé. Question universelle qui touche chacun, à travers ses parents d’abord, puis à propos de son propre destin.

Ce bouleversement dans leur vie résulte de la conjonction de plusieurs facteurs, dont aucun n’était décisif à lui seul : Maria pense que c’est un moyen pour Joseph de se remettre de sa fièvre d’origine inconnue ; Joseph, lui, s’y résout sans enthousiasme parce qu’il suit toujours les avis de son épouse, qu’il trouve très sûrs. Jean, le fils, est ambitieux et polarisé sur son travail : il ne peut consacrer du temps à s’occuper de ses parents qui vieillissent. Le docteur Desportes lui-même, qui les reçoit à la Résidence Les Cèdres, désapprouve cet abandon des ascendants par les familles et, s’il ne tenait qu’à lui, refuserait d’accueillir Joseph et Maria.

Le livre vous prend à la gorge parce qu’il raconte leur dernier combat et celui de leurs condisciples, chacun à sa façon, selon son état de santé, son histoire personnelle et sa personnalité. Tous sont abandonnés à la maladie qui, tôt ou tard, les ralentit, puis les immobilise et enfin leur fait abandonner la lutte.

Vieillards à l'hospice.jpg

Jacques Chauviré n’a pas qualifié son livre de « roman » mais de « récit ». Nourri par son expérience de médecin de campagne, il est sans concession : l’arrivée, inéluctable pour tous, de la déchéance physique, est terrifiante. Certains luttent, d’autres non. Certains se résignent tout de suite comme Maria, qui part doucement sans s’indigner. Ce n’est pas le cas de Joseph, qui aime la terre et pas l’océan, qui aime travailler et non pas rester allongé, qui veut servir à quelque chose et aux autres, et non pas contempler le plafond au-dessus de son lit…

Il aura tout essayé, se sera rebellé, sera reparti, puis revenu par incapacité à supporter la solitude… Vaincu par un mal incurable identifié à la toute fin de sa vie, il finira par lâcher prise. Cette défaite, après un tel combat, racontée avec réalisme, est terrible à constater, bien qu’inévitable bien sûr…

Jacques Chauviré décrit cette descente aux enfers, c’est-à-dire à la mort, sans effet ni complaisance ; son récit n’est localisé ni dans le temps ni dans l’espace (ou si peu : une contrée de l’Ouest, au bord de la mer, qui va peu à peu s’urbaniser). On voudrait croire que la désolation de cet hospice, de ces trois étages sordides d’infirmerie, est d’un autre temps ; qu’il a disparu pendant les Trente Glorieuses… mais est-ce si sûr ?

 

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