Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/10/2016

"Solomon Gursky" (Mordecai Richler) : critique II

Je suis fasciné par la synchronicité (nous sommes au moins quatre : Carl-Gustav, Wolfgang, AL et moi).

Dernier avatar en date en ce qui me concerne : au moment où je terminais « Solomon Gursky », je suis tombé sur un éditorial de Joseph Macé-Scaron dans le Marianne du 9 septembre 2016 intitulé « L’Allemagne à l’heure autrichienne », dans lequel il écrit : « (La politique) s’expose au surgissement de l’imprévu à l’image de la Mer de glace, célèbre tableau du grand peintre symboliste allemand Caspar David Friedrich ». Ce tableau (das Eismeer) montre un navire brisé par les glaces ; c’est justement la situation dans laquelle se retrouve l’ancêtre des Gursky dans le Grand Nord canadien… étonnant non ?

friedrich_la_mer_de_glace.gif

 

Quand on cherche des critiques de ce livre sur internet, on ne trouve que des résumés tous identiques et des avis dithyrambiques… Par exemple, celui-ci, du site Babelio :

« Moses Berger est encore enfant quand il entend pour la première fois parler de Solomon Gursky. Ce personnage mystérieux deviendra bientôt pour lui une obsession qui l’incitera à mener une vaste enquête aux quatre coins du monde. Toute sa vie sera consacrée à démêler le vrai du faux dans l’histoire d’un homme et d’une famille dont les origines sont drapées dans le mystère.

Nous entraînant dans les bas-fonds londoniens du XIXème siècle, en Arctique avec l’expédition de Franklin, dans l’Amérique de la prohibition, dans les paysages vallonnés des Cantons-de-l’Est d’hier et d’aujourd’hui, des hauteurs de Westmount jusqu’aux ruelles du Mile End, Solomon Gursky est un puissant récit qui nous captive par sa verve et son humour mordant.

Des grands romans de Mordecai Richler, il s’agit sans doute du plus ambitieux, car il met au monde une riche mythologie, à la mesure de la destinée des Juifs en Amérique ». 

Et celui du site France TV Info :

« C’est un roman fou, inclassable, épique, picaresque, drôle, tragique, qui raconte la vie aventureuse d'un descendant de juifs d'Europe centrale passés par l'Angleterre jusqu'au Canada, dans le grand nord et à Montréal, dans le quartier juif anglophone. Solomon Gursky 1899-1934 est un anti-héros, raconté, dans le livre, par un autre anti-héros Moses Berger dans les années 60-70. Il y a dans ce roman une foule de personnages, qui traversent le temps, les océans et le génie de l'auteur c'est qu'on ne se perd pas.

Pourquoi était-il si difficile à traduire ?

D'abord parce qu'on traverse le temps. Et l'anglais n'est pas le même entre le Montréal des années 70 et l'expédition de l'explorateur anglais John Franklin en Arctique en 1845 pour découvrir le passage du Nord-Ouest, dans laquelle l'auteur ajoute un participant fictif, seul survivant, Ephraïm Gursky, grand père de Solomon, qui a monté une secte millénariste chez les Inuits. Pour que la folie de ce livre enchante le lecteur, il fallait un énorme travail d'adaptation, éviter les  "québéquismes" qui l’auraient rendu incompréhensible à des lecteurs français, Lori Saint Martin a traduit ce livre avec Paul Gagné. 

Comment situer l'auteur, Mordecai Richler ?

Il était un grand provocateur, à l'humour juif décapant, longtemps mal aimé au Québec car il se moquait des francophones. Adrien Bosc qui l'édite aujourd'hui en France se plie au jeu difficile des comparaisons littéraires : "Il y a du Dickens, de l’humour juif à la Philip Roth, mais aussi du Céline et même de la littérature des grands espaces."

Terriblement addictif, comme tous les chefs d'œuvre écrits par de grands conteurs,  "Solomon Gursky" est taillé pour plaire à tous les publics ». 

Je m’arrête là, tout est de la même eau, bien représentatif de l’état d’esprit actuel : il faut « faire de la performance », multiplier les personnages (la belle affaire), emmêler un récit comme de la laine dans un sac, accumuler les faux mystères et vrais culs-de-sac, pour épater le gogo et passer pour un génie. 

C’est donc dans la poche pour Richler ; moi, j’ai mis la main à la poche pour voir (24 €) mais je n’ajoute pas ma voix au concert.

06/10/2016

"Solomon Gursky" (Mordecai Richler) : critique I

Débarrassons-nous tout de suite d’une corvée, à savoir dire d’un livre qu’il n’a aucun intérêt… Cela m’arrive rarement car je choisis mes lectures avec soin, soit les classiques (il est quasiment impossible de les faire tomber de leur piédestal), soit des livres recommandés par des lecteurs qui connaissent mon exigence en fait de littérature et en qui j’ai confiance, soit enfin des livres qui apparaissent dans mon champ de vision « par rebond » au détour de tel ou tel autre. Je ne lis jamais de livre à la mode, de livre de l’été, de livre de plage, même pas de livre couronné par l’un des innombrables prix littéraires (en tous cas, pas l’année de leur couronnement)… 

Jamais ? Pas tout à fait. Ce jour-là, je cherchais dans quel rayon d’une grande surface de vente d’objets culturels (en quatre lettres) pouvait bien se trouver la production littéraire d’Alain Mabanckou et j’ai aperçu sur un étal un épais bouquin blanc, "Solomon Gursky", qui fleurait bon la saga et la promesse d’évasion subséquente ; circonstance aggravante, la quatrième de couverture annonçait un chef d’œuvre commis par Mordecai Richler, un écrivain canadien anglophone de Montréal (oui, ça existe), né en 1931, mort en 2001, un frère de Léonard Cohen en somme ; j’ai flanché. 

Il m’a fallu assez peu de temps pour lire pendant l’été ce pavé de 632 pages ; c’est dire s’il se lit bien. 

Corbeau.jpgÀ part ça ? C’est l’histoire sans intérêt d’un gars de Montréal, fils d’un écrivain plus ou moins raté, qui s’entiche d’une famille juive richissime, les Gursky, dont le rejeton le plus remarquable, Solomon, est mort dans des circonstances mystérieuses. Mystérieuses, enfin, pas tant que cela… Au fil d’innombrables chapitres, déconnectés, dans le temps et l’espace, les uns des autres, agrémentés de multiples digressions et d’évocation de personnages qui joueront, ou non, un rôle dans la suite de l’histoire, mais que l’on oublie aussitôt qu’entrevus, on comprend que ces trois frères, lointains descendants d’un filou du milieu du XIXème siècle arrivé au Canada pour échouer dans le Grand Nord avec une esquimau…, ont fait fortune grâce à la contrebande d’alcool à l’époque de la prohibition. À cela s’ajoute une sombre histoire de corbeau, représenté d’ailleurs sur la couverture, noir sur blanc, qui apparaît aux moments fatidiques de l’épopée. 

L’opus est bourré d’allusions aux marques commerciales (« deux paquets de cigarettes Player’s Mild, un stylo Cross, les petits pois McNab… », etc.) (est-il financé par elles ?) et de mots hébreux (shin, resh, dalet, gimel, shoimer shabbos, etc.) qui ne nous disent rien. Cependant il n’est pas dénué d’humour : page 339, Moses, qui pêche, dit à Darlene, sa petite amie : « une fois dans mon filet, je vais le remettre à l’eau » et elle répond : « comme moi »… Quelques instants plus tard, comme un gros poisson qu’il a ferré s’est réfugié au fond de l’eau, Moses pense l’assommer en faisant glisser le long de sa ligne les clés de voiture de Darlene ; mais le poisson casse le bas de la ligne ; et Moses déclare froidement : « j’ai bien peur que nous ayons un problème ». Naturellement Darlene est furieuse. Déchaînée même. Elle hurle : « Tu sais ce que va me faire Barney ? Il va me tuer et ensuite il va encore faire annuler toutes mes cartes de crédit ». C’est du Jarry ou du Vian à la sauce amerlock. 

Dans la même veine, page 522 (il a fallu lire deux cents pages entre-temps…), on trouve : "Sam Red Levine, de Toledo, était un orthodoxe pur et dur ; on ne le voyait jamais sans sa kippa et il ne tuait personne le jour du sabbat ». Désopilant. 

Voici maintenant un aperçu du style fébrile de l’auteur (bien traduit par ailleurs) : « (Solomon) allait voir Tim Callaghan qui, dans le couloir Detroit-Windsor, livrait concurrence à Harry Low, Cecil Smith et Vital Benoît, et entrait, avec la Little Jewish Navy et le Purple Gang, dans des disputes que seul Solomon parvenait à résoudre en convoquant une rencontre au Abars Island View ou en invitant tout le monde à dîner à l’Edgex-water Thomas Inn de Bertha Thomas ». Vous connaissez ces citoyens-là, vous ? Moi pas… Et ça saute comme cela, d’un sujet à l’autre, d’un pèlerin à l’autre, d’une région à l’autre, pendant des dizaines de pages. 

Au total, peu de choses, c’est-à-dire un roman à clés géantes, typiquement nord-américain, accrocheur, bavard (pensez à cet avocat ventripotent que l’on voit souvent dans les films américains, qui parle comme une mitraillette avec son cigare et son verre de scotch, ou bien à celui de Xavier dans « Casse-tête chinois »…), avec une aversion affichée contre les Canadiens francophones (essentiellement les Québécois). Il a dû plaire aux intoxiqués de la culture prête à consommer des Américains. 

Ou alors je n’ai rien compris aux clés du roman…

23/05/2016

"Nord-Michigan" (Jim Harrison) : critique

La disparition d’un écrivain donne toujours lieu, pendant quelques semaines, à la mise en avant, dans les librairies, de leurs œuvres principales… Cette pratique de la compilation post mortem permet aux béotiens de découvrir l’auteur – mieux vaut tard que jamais – et à ses adeptes de compléter leur collection.

Nord-Michigan.jpgC’est ainsi que je suis tombé sur plusieurs livres de Jim Harrison que je n’avais pas lus et que je me suis offert « Nord-Michigan » (paru aux États-Unis en 1976 sous le titre « Farmer »).

On n’attire pas les mouches avec du vinaigre et donc, comme d’habitude, en quatrième de couverture, l’éditeur vantait les mérites du petit bouquin : « Sur un thème presque banal, Harrison a composé le plus simple mais aussi le plus beau de tous ses romans ». Rien de moins. Bigre…

En fait de thème « presque banal », il s’agit de l’arrivée dans la vie d’un enseignant quadragénaire passablement blasé, d’une de ses élèves de 17 ans passablement délurée et court vêtue, à qui il propose page 24 « Si on faisait l’amour ? » d’un air « dégagé » (sic !), alors qu’elle venait de lui amener son cheval en pension et de dire « Que se passe-t-il ? ». Heureusement, page 22, on avait été rassuré en lisant que « jamais, au cours des vingt années durant lesquelles il avait enseigné, il n’avait couché avec l’une de ses élèves »…

Le Joseph en question a une ferme qu’il hésite à reprendre, ayant jusqu’à présent préféré la pêche et la chasse, et une petite amie de son âge, dont il semble être amoureux mais qu’il hésite à épouser depuis six ans. Rien que du presque banal qu’on vous dit !

Voilà, c’est à peu près tout… les 222 pages de l’édition 10/18 s’égrènent au fil des ballades dans la forêt (car même la chasse et la pêche ne l’attirent plus), des retours en arrière (ah ! l’enfance ...), des verres de whisky vidés à tout propos, des considérations à deux balles sur la vie et la nature : « Tard dans l’après-midi, il atteignit un stade où il ne comprenait plus rien. Ils avaient tous été jeunes, et maintenant ils étaient soudain devenus vieux » (page 18) et aussi « Il s’était accoutumé à Catherine comme les drogués sur lesquels il avait lu des articles s’accoutumaient à leur drogue » (page 90), des retours de flamme envers la promise (Rosealee) et surtout des après-midi torrides dans l’étable, le grenier ou la voiture avec la Catherine, en jupe ou en jeans, mais toujours prompte à se déshabiller : « Monter à cheval était devenu un euphémisme pour faire l’amour, une parfaite couverture (sic !) dans un milieu où il était si difficile de trouver un alibi que la plupart des amants étaient poussés par le désespoir à la vulgarité » (page 92). Bonjour la métaphore ! C’est du Marc Lévy à l’est de Chicago, du presque banal, vous pouvez le croire. 

Ce livre insipide se lit bien sûr sans difficulté et il n’en reste rien. « Il eut envie de boire du whisky mais la simple idée lui donna aussitôt la nausée ». Cette phrase profonde de la page 100 donne une idée du style fatigué de l’auteur. Jim Harrison a dû l’écrire vite son livre, dans une urgence alimentaire, en piochant simplement dans sa boîte à outils d’écrivain à succès. (Après tout je n’en sais rien…). Nord-Michigan carte.jpg

J’ai tout de même pris soin de mettre une demi-douzaine de petits marque-page au cours de ma lecture, comme faisait Bernard Pivot, mais sans personne à interroger ensuite :

  • « Je ne ferais rien tant que tu ne m’auras pas répondu » (page 73) et « Je ne peux pas me marier tant que je n’aurais pas de travail » (page 82) (confusion classique entre futur et conditionnel présent, qui est peut-être le fait de la traductrice Sara Oudin).
  • « Ses sœurs étaient toutes très excitées quand elles regardaient le taureau s’accoupler par la fenêtre de la cuisine » (page 84). Un taureau qui s’accouple, c’est presque banal ; mais par la fenêtre, ça c’est typiquement américain… Et d’ailleurs pour s’accoupler, il vaut mieux être deux…

Je plaisante ! J’ai cité cette phrase de la page 84 uniquement pour rappeler la différence qu’il faut faire entre :

o   « ses sœurs étaient (toutes) (très excitées) » (où « toutes » fait référence au nombre des sœurs et au fait qu’elles réagissaient pareillement)

o   et « ses sœurs étaient (tout excitées) » (où « tout » est un adverbe invariable qui est synonyme de « beaucoup » ou « très »).

  • « Emmènes donc Rosealee pour un joli voyage de noces… Il y plein de montagnes là-bas » (page 100). Admettons que ce sont des coquilles…
  • et que dire de « dans l’encadrure de la porte » (page 111), au lieu de « encadrement » ?
  • il y a même des phrases incompréhensibles : « il put voir le toit de la maison baigné par le clair de lune et l’allée, en partie de la lumière par les érables, prenait elle aussi des reflets argentés… » (page 167).

Ce livre est donc une grosse déception, et qui rejaillit sur l’auteur, pourtant célèbre et apprécié par moi (voir mon billet du 4 avril 2016). Première conséquence : j’en ai fait un paquet avec « Dalva » et « La route du retour », paquet destiné à une brocante ou à la revente sur internet. Après tout, Pierre Magnan est bien parti pour sa maisonnette de retraite avec seulement les vingt-cinq livres qu’il relisait tout le temps…