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16/05/2016

"Demain j'aurai vingt ans" (Alain Mabanckou) : critique

Il fallait bien être cohérent ! Venant écouter les leçons du professeur Mabanckou, je me devais de lire au moins un des livres de l’écrivain Mabanckou…

En sortant du Collège de France, je suis donc allé dans la belle librairie Compagnie, rue des Écoles, où je n’ai eu que l’embarras du choix. Cet écrivain a bien pignon sur rue, je l’ai trouvé sans problème et je me suis décidé pour « Demain j’aurai vingt ans » et « Lumières de Pointe Noire ». 

C’est le premier de ces livres que je commente aujourd’hui ; il est paru en 2010 ; à cette époque, Alain Mabanckou avait déjà reçu le Prix Renaudot pour « Mémoires de porc-épic » (en 2006). 

Pointe-Noire-Mabanckou.jpgAvant d’aller plus loin, un petit point de géographie et d’histoire… Pour moi, le Congo, c’était le Congo belge, et une idée confuse sur le milieu de l’Afrique, qui mélangeait le Zaïre, la République centrafricaine et d’autres. En fait, de nos jours il y a deux Congo : la République démocratique du Congo (ex-belge) à l’est et, à côté à l’ouest, le Congo-Brazzaville. Alain Mabanckou est originaire de ce Congo-là, de Pointe-Noire plus précisément, capitale économique du pays, au sud et au bord de l’océan atlantique ; sa capitale est Brazzaville, ex-centre de l’Afrique équatoriale française (AEF). Ses voisins sont le Gabon, le Cameroun, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo (aussi appelée Congo-Kinshasa) et le Cabinda (Angola). Le Congo a également porté le nom de République populaire du Congo de 1969 à 1992. Il a fait l’objet de la colonisation française pendant 70 ans (on a appris à l’école le nom de Savorgnan de Brazza) et est devenu indépendant en 1960. Il est de fait en dictature actuellement.

Bon, le livre d’Alain Mabanckou maintenant. Il est bien écrit, d’abord facile et il maintient l’attention du début à la fin, sans être cependant palpitant. C’est l’histoire, sans doute en partie autobiographique, d’un enfant de Pointe-Noire, racontée par lui-même avec ses mots et ses perceptions d’enfant. « Moi je me sens enfant de Pointe-Noire. C’est ici que j’ai appris à marcher, à parler. C’est ici que j’ai vu pour la première fois la pluie tomber, et on est originaire de l’endroit où on a reçu les premières gouttes de pluie ».Pointe-Noire.jpg

On pense donc immédiatement à l’irrésistible « La vie devant soi », deuxième Prix Goncourt de Romain Gary en 1975 sous le pseudonyme d'Émile Ajar ; il est à mon avis un ton en dessous, indépendamment de la sensation de déjà vu. Mais c’est un bon livre. 

Le petit Michel parle donc de sa mère, de ses deux familles, de ses nombreux frères et sœurs, de Caroline, la sœur de son copain Lounès, dont il est amoureux… tout cela dans un contexte de pauvreté et de système D mais plein de chaleur, d’entraide et d’esprit de famille. Les piques involontaires de l’enfant envers le dictateur du pays, comme ses réflexions géopolitiques (le Chah d’Iran, Idi Amin Dada, etc.) sont savoureuses.

Georges Brassens.jpgUn jour son père rapporte d’un lecteur de cassettes audio (le fameux MiniK7 de l’enfance d’une génération) ; il n’a qu’une seule cassette : Georges Brassens qui chante « Auprès de mon arbre ». Et Michel de s’interroger sur la langue poétique du chanteur moustachu… 

Je n’ai que quelques remarques à faire sur l’écriture car le livre est vraiment bien écrit et par ailleurs, dans la mesure où il parle « comme un enfant », il est normal que certaines formules soient approximatives ou incorrectes (je trouve que parfois Alain Mabanckou en fait un peu trop dans la naïveté de la langue enfantine : « … maman Pauline, je ne me vante pas, elle sait comment bien griffer le visage des femmes méchantes. Quand elle griffe une femme méchante c’est on dirait qu’elle a écrit un gros livre en chinois ou en arabe sur son visage. Mais elle ne voulait pas de ça » page 100, édition Folio). 

Il y a la question récurrente de l’accord du participe passé dans les expressions comme « je l’ai vue s’éloigner » (page 326) et « la femme que j’ai vue danser » (page 378). Reportons-nous au « Résumé d’orthographe » de H. Berthet (article 68, page 23, de l’édition de 1941)) : « Le participe passé n’est variable que si l’infinitif qui le suit est remplaçable par le participe présent » et appliquons la règle : « je l’ai vue (ma mère) partant… » et « je l’ai vue (la femme) dansant ». A. Mabanckou a donc raison d’écrire « vue ».

Et l’autre question non moins récurrente (et bien plus énervante) de la confusion orthographique entre le futur et le conditionnel ! Je lis page 338 : « Il pensait certainement que je ne reviendrai plus le voir ». Non ! Il fallait écrire « que je ne reviendrais plus le voir ». C’est d’ailleurs aussi une affaire de concordance des temps car on aurait accepté « Il pense certainement que je ne reviendrai plus le voir ». 

Naturellement j’ai envie de situer ce livre par rapport à la littérature africaine francophone telle que décrite par Alain Mabanckou dans son cours, et particulièrement par rapport à sa revendication contre l’exotisme que les Occidentaux y attacheraient systématiquement (voir mes billets antérieurs à propos de son cours au Collège de France). Et là, désolé, mais ce livre est « exotique » ! Il nous transporte, nous transplante dans un monde inconnu, où la précarité se mêle au multilinguisme, au respect des « esprits » et du côté « magique » des choses… Contrairement à la prose de Giono, par exemple, qui atteint à l’universel à travers des histoires régionales (provençales), celle-ci nous conforte dans la vision soi-disant caricaturale d’un continent : vie simple, dénuement, naïveté, sagesse… Le fait que le narrateur soit un enfant amplifie sans doute cette impression. 

« Quand je prendrai cette route du bonheur je saurai alors que j’ai enfin grandi, que j’ai maintenant vingt ans. Je serai peut-être entouré de frères et de sœurs. Je regarderai pendant un moment maman Pauline qui sourit alors que papa Roger écoute La Voix de l’Amérique ou le chanteur à moustache qui pleure son copain le chêne, son alter ego qu’il n’aurait jamais dû quitter des yeux ». 

Saudade… 

Concluons : un livre plein de poésie, du charme de l’enfance… que l’on ne lâche pas jusqu’au bout, que l’on peut recommander mais pas forcément garder pour le relire.

05/05/2016

Alain Mabanckou : ses leçons au Collège de France (III)

Quand il revient devant nous, le 5 avril 2016, dans le grand amphithéâtre, Alain Mabanckou, veste bleue et chapeau, semble transformé ; tout en résumant la leçon précédente et en insistant sur le rôle des femmes dans l’émergence de la négritude, il est euphorique : souriant, moins crispé et solennel qu’au début, il nous parle des nombreux courriels qu’il a reçus, se félicite de faire salle comble une fois de plus, nous vante la qualité du site internet du Collège de France (qui a mis en ligne la vidéo de ses premiers cours), et voit dans tout cela le signe de l’intérêt grandissant que la France porte à l’Afrique et à sa littérature.

Et justement, à mon grand soulagement personnel, il ne parle plus de littérature nègre mais de littérature africaine.

Mieux que cela, il place sa leçon sous les mânes de Jean Giono (l’un de ses écrivains préférés – on est au moins deux !), qui avait dit : « Le poète est un professeur d’espérance ».

Donc, ça commençait très bien ; il m’a semblé que le public vibrait… 

Alain Mabanckou reprend alors son panorama historique en distinguant quatre périodes. Et d’abord la période pré-coloniale, c’est-à-dire l’histoire de l’Afrique avant l’arrivée des Blancs. L’empire du Ghana, du VIIIè au XIIIè siècles, était contemporain de Charlemagne, tandis que celui du Mali l’était de notre Moyen-Âge. Mais il ne fallait pas céder à la surenchère en magnifiant l’Afrique, qui aurait été un continent unique, un espace de paix ! Il cite les pratiques esclavagistes arabes (lire par exemple « Le devoir de violence »). Les romans « Le pagne noir », « À la belle étoile », « Les légendes africaines » prouvent que la littérature africaine n’est pas uniquement une compilation de contes et légendes. 

Dans les années 20, c’est la période coloniale. Les romans décrivent la société coloniale et ses poncifs, du point de vue du colonisé (« Batouala »). Camara Laye publie « L’enfant noir » en 1953, qui décrit de façon idyllique les traditions africaines. Il sera critiqué.

Il s’agit à cette époque de s’engager, de critiquer l’Homme blanc et de se concentrer sur le général (et non sur des histoires individuelles). Il y a un malaise entre l’islam et l’attrait de la culture occidentale.

Bernard Dadié, avec « Climié » parle de la crise identitaire ; il faut contester et agir (lutter contre l’impérialisme de la langue française, qui conduit à l’acculturation).

Alain Mabanckou cite encore « Un nègre à Paris », « Le roi miraculé » (1958), « Une vie de boy », « Les bouts de bois de Dieu », « Le mandat ».

Cependant tous les livres ne critiquent pas le colonisateur ! 

Les années 60 sont celles des indépendances africaines.

« Les soleils de l’indépendance », « La vie et demie », « Le pleurer-rire » sont des armes anti-dictatures mais les nations africaines sombrent dans le chaos ; les violences sont encore pire que pendant la colonisation. « La grève de batou » raconte la vie des mendiants dans les rues de Dakar. Et voici d’autres livres « Elle sera de jaspe et de corail », « Une si longue lettre ». Léonora Miano avec « La saison de l’ombre » dénonce la complicité de certains avec les colonisateurs. 

Et c’est l’époque de l’immigration, celle des Africains noirs en Europe.

Afrique sur Seine le livre.jpgOdile Cazenave écrit « Afrique sur Seine » et Sami Tchak « Place des fêtes » en 2001 (être libre, refuser la tradition, échanger avec les Africains de France). Les personnages y sont plutôt désespérés. Le Suisso-gabonais (sic) Bessora publie « 53 cm ».

Les autres thèmes traités sont la littérature-monde, le génocide du Rwanda, la contestation de l’hégémonie de Paris sur la littérature.

 

Mais comment sont donc reçues les littératures africaines ?

Afrique sur Seine le film.jpg

 

À suivre

04/04/2016

Hommage à Jim Harrison

C’est en avril 1999 que j’ai découvert l’écrivain américain Jim Harrison à travers son roman « Dalva », suite à la lecture d’un article de l’Événement du jeudi (24 septembre 1998) « Les coups de gueule de Big Jim », à l’occasion de son passage en France.

Dalva film.jpgJ’avais noté à l’époque : « Bon roman ; on s’attache à l’histoire de ces Américains non conformistes d’origine indienne. On attend la suite avec impatience ». Les critiques littéraires rattachaient Jim Harrison à l’École du Montana, à l’Amérique profonde, aux grands espaces… Fascinant !

Né dans le Michigan, il aimait les Indiens, les forêts, la chasse et la pêche, les chevaux, la cuisine et, chose sympathique, les vins français. Il tenait Gabriel Garcia-Marquez pour le plus grand écrivain vivant.

Mi-2000, j’ai lu la suite « La route du retour », que j’ai trouvé moins original que « Dalva », un peu « facile », sans beaucoup de rythme. Cependant la fin du roman était poignante.

Cela fait peu comme critique de livre ! Il faut dire qu’il y a quinze ans, je me contentais de tenir à jour l’inventaire de mes lectures mais pas l’exégèse de leur contenu.

Peu après, j’ai commencé la lecture d’un autre auteur américain William Stegner (« Vue cavalière », « La vie obstinée »). J’y ai trouvé de l’humour, du savoir-raconter, des sujets intéressants mais là encore pas de chefs d’œuvre.

Je crois bien que mon incursion dans la littérature américaine s’est achevée avec « La tache » de Philip Roth, bien construit, bien écrit mais trop « américain », trop loin de nous, un roman un peu noir sur la dissimulation et l’injustice.

Cela fait trop peu pour juger la littérature (ne serait-ce que contemporaine) d’un pays grand comme cinquante France… Mais d’un autre côté cela fut suffisant pour que j’en restasse là : les romans américains, c’est comme le cinéma américain et les actrices américaines ; tout est « trop » ; trop de sentiments déballés, trop d’hémoglobine (ou de sauce tomate), trop de voitures trop grosses, trop de sourires et trop de larmes…

Mais je m’éloigne de mon sujet !

Jim Harrison est mort le 26 mars dernier.Jim Harrison.jpg