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26/06/2020

Hommage à Marc Fumaroli (1932-2020)

Le site du journal Marianne nous apprend la disparition, le 24 juin 2020, de M. Marc Fumaroli, Professeur au Collège de France, Académicien français, passionné de littérature et du XVIIème siècle, conservateur assumé et héraut de la République des Lettres, sur laquelle il avait écrit un livre passionnant.

C’était un ami du regretté Jean d’O., dans mes billets je l’appelais familièrement Marco, il ne m’en a jamais voulu…

Il défendait le style et la qualité d’expression en français, la vraie culture (que certains confondent avec le divertissement), l’Antiquité, les classiques et les Lumières, le rayonnement français. Tout pour (nous) plaire !

Régalons-nous avec quelques citations, reproduites de l’article de Frédéric Pennel :

« La littérature n'est pas seulement un objet d'étude, mais un véritable chemin de vie. Les écrivains, même s'ils ne prétendent pas nous mener à la sainteté ou au salut, sont de très grands maîtres spirituels. Car il y a dans la littérature, comme dans les sagesses antiques, une dimension pratique. C'est un apprentissage de l'usage du temps, de nous-mêmes, des autres (...) Et cela change une vie ».

« Nous avons été conditionnés, voire terrorisés, par des « avant-gardes » qui ne toléraient pas la moindre répétition, la moindre imitation, la moindre « banalité figurative ». Elles ont fait de la beauté l'ennemi à abattre ».

« Ce que je reproche, c’est d’avoir favorisé la culture de masse américaine dans ce pays où la culture populaire était si brillante. Souvenez-vous qu’on avait des chansonniers superbes, un théâtre-comique superbe ».

« Toute éducation, écrit-il dans Partis pris, devrait donner le goût de la lecture des bons livres, à contre-courant du remue-ménage médiatique qui retarde ou empêche l’éclosion du jugement et de l’imagination personnels. Les bons livres ne sont pas nécessairement ésotériques et réservés à leurs spécialistes siégeant en séminaires et colloques. C’est une faiblesse de la littérature actuelle que sa polarisation extrême entre livres pour coteries et livres pour supermarché ».

 Il avait été féroce sur la féminisation de certains noms : « Notairesse, mairesse, doctoresse, chefesse […] riment fâcheusement avec fesse, borgnesse et drôlesse, n’évoquant la duchesse que de très loin, écrivait-il en 1998 dans Le MondeTranchons entre recteuse, rectrice et rectale ».

 Lisons ou relisons l’un de ses vingt ouvrages !

30/01/2020

La belle endormie se réveille

Oh, je ne veux pas parler de la Belle au bois dormant ni de ses émules modernes. Non, il s’agit ici de l’Académie française que tout le monde adore et qui énerve tout le monde (Michel Rocard, car elle valide sa réforme de l’orthographe du bout des lèvres ; les féministes, car elle bannit l’écriture censée devenir inclusive et accepte en partie seulement la féminisation des titres et noms de métier ; les élites pressées, car elle rappelle le « bien écrire » et prend son temps pour sa révision du Dictionnaire ; les déçus de l’élection quand elle coopte Jean-Loup Dabadie et refuse Charles Trenet ; etc.).

Mais aujourd’hui, il s’agit de tout autre chose : l’Académie française se dit gravement préoccupée par le développement du franglais et a demandé aux pouvoirs publics de mieux respecter la loi Toubon sur la défense du français (site du Figaro, rubrique Langue française, 22 novembre 2019).

Admirez en passant le sens de la formule et la modération… D’ailleurs elle ajoute dans son communiqué à l’AFP qu’elle n’a jamais été hostile à l’introduction ni à l’usage de termes étrangers. Alors où est donc le problème ? Dans un cas comme dans l’autre (« se dire gravement préoccupée » d’une part et « n’avoir jamais été hostile » d’autre part), les états d’âme de l’Académie sont modérés.

Il n’y a pas si longtemps, cette Académie ne voyait pas de problème, la langue ayant toujours accueilli par brassées des mots étrangers et cette « assimilation » ne menaçant aucunement, paraît-il, sa structure. Il semblerait que les Académiciens aient changé d’avis, puisqu’ils déclarent aujourd'hui que « les violations répétées de la loi Toubon dénaturent notre langue, autant par l’invasion des termes anglo-saxons que par la détérioration qu’ils entrainent de sa syntaxe ».

Et d’alerter les pouvoirs publics et de les exhorter à respecter eux-mêmes la loi…

Dans son discours de réception en octobre 2019, la philologue Barbara Cassin avait fustigé le global English (« une non-langue de pure communication ») et plaidé pour le plurilinguisme.

Prenons acte de cette conversion subite, nous qui militons (depuis les années 1980 dans le milieu professionnel et depuis 2014 dans ce blogue) contre l’abâtardissement résigné ou complaisant de notre langue. Rien que la collection des franglicismes que j’ai relevés, dans tous les secteurs de l’activité en France, depuis que ce blogue existe, ferait la matière d’un gros livre… Et j’ai la crainte que ce travail de collationnement soit sans fin, tant nos contemporains s’ingénient à polluer leur langage, qui par snobisme, qui par paresse ou facilité, qui par ignorance.

On nous dit que notre vocabulaire est composé de multiples emprunts à un grand nombre de langues et que, du temps de Marcel Proust, l’anglomanie était à la mode dans les hautes sphères. Sans doute mais depuis le XVIIème siècle, la France avait surtout été en position de conquérante, même au XIXème. Aucun événement n’avait été l’équivalent du débarquement des GI’s en Normandie, invasion libératrice qui a importé chez nous le chewing gum et le jazz… et un mode de vie dont la majorité d’entre nous ne peut toujours pas se déprendre. L’Occupation pendant cinq années n’a rien laissé dans notre langue (sauf quelques "Ersatz" par ci par là), la Libération si : la fascination pour l’anglais d’Amérique du Nord.

En fait, c’est pire que cela ! Prenons le mot allemand « krach » (prononcez « krar ») qui signifie « débâcle financière ». Il a complètement disparu au profit du mot anglais « crash » (qui ne figurait même pas dans le Larousse de 1923), au point que l’on parle aujourd’hui de « crash du système de retraite en France » (affirmation qui, si elle était fondée, devrait se dire « krach du système de retraite »).

20/06/2019

Émerveillements linguistiques : la langue selon François Bizot

François Bizot était au Cambodge en mission d’ethnologie lorsque les Khmers rouges ont imposé leur dictature folle et commencé à martyriser leur peuple dans une paranoïa sans limite. Fait prisonnier, il réussit à établir un dialogue avec son gardien, qui acceptera de le libérer. C’est ce qu’il racontera trente ans plus tard dans « Le portail » (Éditions de la Table ronde, 2000).

En 1988, lors du procès des tortionnaires, il reconnaît son geôlier, Douch ; commence alors pour lui un douloureux processus de réflexion sur la violence, la responsabilité, la culpabilité, la nature profonde de l’homme, qui renvoie entre autres à Hannah Arendt et ce qu’elle a écrit à la suite du procès d’Eichmann. C’est l’objet de son livre de 2011, « Le silence du bourreau » (Flammarion).

François Bizot était allé au Cambodge au début des années 70 pour fuir « le formalisme qui battait alors son plein en France ». Il s’attelle à une tâche dantesque : traduire pour les protéger des manuscrits bouddhistes anciens.

Voici donc ce qu’il écrit de la traduction et de l’importance de la langue : « Traduire, c’est établir des ponts ; c’est projeter une pensée, une langue, hors d’elle-même. C’est contourner son esprit dans une gymnastique extrême, jusqu’à glisser d’une façon de voir à l’autre pour la restituer avec son étrangeté, en veillant à ne rien gommer, à ne pas l’adapter à nos propres images, à créer en soi un espace suffisant pour en accueillir de nouvelles, sans les banaliser, sans en noyer le message spécifique ni les réduire aux limites de notre propre langage, c’est-à-dire du monde dans lequel il nous avait jusque-là été donné de regarder, d’aimer, d’exister.

Une langue se distingue d’une autre par son style, exactement comme un peintre se remarque à sa façon singulière de considérer la nature. Comparer des langages humains, mettre en balance des adéquations, transposer dans un système ce qui se trouve exprimé dans un autre, c’est apprendre à peser des acceptions de termes tirées d’une vision différente de la vie ; la tâche réside dans notre plus ou moins grande disposition à réviser la nôtre. Pour cela, il faut effectuer un saut, et ce saut n’est pas un déplacement, c’est une transformation » (pages 68-69).

Dans « Le portail », voici ce qu’il écrit également page 91 de l’édition « La table ronde » : « J’avais horreur de communiquer en français avec des Khmers : les phrases me semblaient plates, vides de sens, parce que ce ne sont pas seulement les mots qui diffèrent d’une langue à l’autre, ce sont aussi les idées qu’ils traduisent, les façons de penser et de dire. Je ne pouvais rendre dans ma langue ce que j’avais à expliquer à mon bourreau. Les liens qui étaient en train de s’établir entre nous dépendaient totalement de notre capacité à nous comprendre, sur un terrain commun ; et ça ne pouvait se faire que dans sa langue ».

Ce qui prouve bien, entre autres, que les publicitaires qui communiquent – soit disant – avec nous en anglais à longueur d’affiche et de scénettes télévisées n’ont rien d’important à nous dire…