Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/02/2016

"Elle et lui" (Marc Levy) : critique

J’ai toujours été sceptique (pour ne pas dire méprisant) et, en tous cas, intrigué par le succès (commercial) de romanciers comme Marc Levy et Guillaume Musso, régulièrement présentés, l’un ou l’autre, comme « l’écrivain français le plus lu à l’étranger », « le roi des tirages et des chiffres de vente », « le préféré des Français », tandis que, bien sûr, les amateurs de littérature, les élites et les snobs les ignorent superbement. Ce débat entre l’insignifiance qui ferait vendre et le génie qui condamne au confidentiel est vieux comme le monde ; dans le cinéma, il a entre autres longtemps pénalisé des acteurs comme Louis de Funès, dans la chanson des gens comme Jean-Jacques Goldmann… 

Mais pour en revenir aux livres, voici que je tombe, début juillet 2015, sur un article de l’hebdomadaire Marianne intitulé « Que valent vraiment les best-sellers ? », dont j’ai rendu compte dans mon billet du 6 septembre 2015. Que disait cet article ? En substance, que les opus de ces vedettes populaires n’étaient pas si mauvais ni si inintéressants que cela…

Le journaliste avait lu « Elle et lui » de Marc Levy et « L’instant présent » de Guillaume Musso, et leur trouvait des qualités. Ni une ni deux, j’ai acheté ces deux livres et, ça y est, je les ai lus !

Examinons d’abord le cas de « Elle et lui ».

Il s’agit d’une histoire bourrée d’invraisemblances et de coïncidences tellement favorables qu’elles en deviennent invraisemblables. Elle se lit en deux ou trois jours sans effort vu que l’écriture en est dépouillée au point d’en être quelconque. C’est du roman d’aventure (sentimentale) écrit au kilomètre, sans recherche ; Maurice Leblanc, dans le genre, faisait mieux car il évoquait au moins sa Normandie natale ; et ses intrigues étaient amusantes, c’était du gentil roman policier.

Le livre de Marc Levy ne se veut pas non plus humoristique ni burlesque ; heureusement car il n’arriverait pas à la cheville de « Bienvenue à Skios » (Michael Freyn) et encore moins des désopilantes « Vacances anglaises » (Joseph Connolly), monument du non sense à l’anglaise. En 360 pages de petit format (Versilio), on trouve une seule phrase drôle, page 137 : « …la nuit était claire, son humeur joyeuse et sa voiture à la fourrière » !

À certains moments, vers la fin, quand son héros cherche la femme de sa vie qui a disparu, on pense à « Plonger » de Christophe Ono-dit-biot. Mais c’est fugitif.

Elle et lui film.jpg

 

Passons sur le côté « bobo » des situations et des comportements de ses personnages ; luxe, calme et volupté, grandes marques, cosmopolitisme (dont la Corée du Sud, pour faire moderne), billets d’avion en première classe achetés à la dernière minute, vie insouciante et passe-droits des gens connus … Admettons que le seul but de Marc Levy soit de faire rêver ; on n’est pas loin de Paris-Match. 

 

Est-il au moins écrit correctement ? pas sûr, jugez-en… 

  • page 33 : « Elle avait demandé à Paul de s’isoler dans son bureau » (au lieu de « Elle avait demandé de pouvoir s’isoler ») ;
  • page 33 : « Barbée par les propos de son interlocuteur, Lauren… » (au lieu de « Ennuyée par ») ;
  • page 43: « Maureen, l'assistante de l'agence, avait préparé une revue de presse avec amour » ; ici pas de faute de français mais une formule peu pertinente : prépare-t-on une revue de presse avec amour ?
  • Page 76 : « … et je ne sais pas pourquoi, mais je me sentirai gêné si elle l’apprenait » (au lieu de « je me sentirais ») ;
  • Page 133 : « … on apprend juste à le connaître de mieux en mieux » (au lieu de « on apprend seulement à ») ;
  • Page 173 : « Si tu t’installes à Séoul, c’est moi qui viendrais te voir à l’automne » (au lieu de « qui viendrai ») ; aurait-il un problème avec le futur et le conditionnel ?
  • Page 255 : « Je n’ai pris aucunes affaires » (au lieu de « aucune affaire ») ;
  • Page 255 : « Non, je n’ai pas faim, je veux juste dormir » (au lieu de « seulement dormir ») ;
  • Page 262 : « N’arrivant pas à joindre Mia, elle lui texta un message » ; sans commentaire ;
  • Page 264 : « La voiture roula à toute berzingue ».

Bon, ce n’est pas de la littérature, c’est un livre sans intérêt. 

Ah, j’oubliais ! Voici ce que le journaliste Alexandre Gefen disait de « Elle et lui » (je passe sur son résumé de l’intrigue) : « Des personnages stéréotypiques (NDLR : ça veut dire quoi ?), un récit bien ficelé, avec la fluidité d’une série américaine (NDLR : c’est une référence ?). Deux adultes paumés entre plusieurs histoires d’amour, un roman bricolé à coup de SMS sur les reconstructions amoureuses (NDLR : admirez la syntaxe…), joyeux et contenant même des petits bonheurs d’écriture… On s’était un peu mépris sur Marc Levy, qui ne mérite pas ici sa vilaine réputation ».

Et comme preuve des « petits bonheurs d’écriture », il cite… la phrase de la page 137. Faut bien vivre.

28/01/2016

Bernard Pivot en chair et en os

Je suis allé écouter Bernard Pivot il y a quelques jours. Il donne régulièrement des sortes de causeries (de monologues), pendant lesquelles il lit des passages de ses ouvrages ou livre quelques souvenirs de sa jeunesse en Beaujolais.

Tout est écrit, bien écrit et B. Pivot lit bien, sans quasiment jamais buter sur un mot, quoiqu'il parle trop vite, avec trop peu de pauses (un effet de sa modestie ou de sa timidité peut-être ?) ; pas étonnant pour un journaliste, amoureux des mots au surplus. Il n'a pas l'aisance, le don d'improvisation, la tendance au cabotinage de Fabrice Lucchini mais il est agréable à écouter, avec une excellente diction, le sens de la chute et pas mal d'humour. Il est un peu dommage qu'il ne quitte pas ses notes pour raconter des anecdotes de façon plus spontanée ; le français y perdrait sans doute quelques belles périodes mais le spectacle serait plus vivant.Gino Bartali.jpg

Sur le fond, j'ai retrouvé certains des meilleurs articles de son livre "Les mots de ma vie" ("Eau", "Femme", "Vieillir"…) dont j'ai rendu compte dans ce blogue.

Vignes.jpgAu chapitre des souvenirs, il y a ce premier engagement "aléatoire" et quasiment "miraculeux" au Figaro comme journaliste littéraire, lui qui avait très peu lu mais qui avait une famille vigneron dans le Beaujolais.

J'attendais beaucoup des "coulisses" d'Apostrophes, l'émission qui l'avait rendu célèbre… Là, déception ! À part quelques  commentaires sur les passages de Nabokov, Simenon, Vincenot, Yourcenar et Duras, pas de confidences ni d'envolées lyriques. On n'apprendra rien de particulier sur ces écrivains contemporains, sauf que Nabokov excellait tant en français qu'en russe et en anglais et que Simenon ne s'était pas remis du suicide de sa fille...

B. Pivot nous a fait le coup, c'était couru, de sa dictée des "r", qu'il connaît par cœur… J'aurais eu une faute car je ne connaissais pas l'ers (le "s" ne se prononce pas), sorte de paillage...Football.jpg

Il aime remettre en lumière des mots anciens ou rares, comme "affiquet", "bagatelle de la porte" ou "fragonarde". Il n'est pas bégueule ni snob et ne rechigne pas à employer quelques expressions gaillardes ou familières ("la vieillesse, c'est chiant"…).

Il nous a aussi livré quelques jeux de mots (Gino le pieux et Fausto le pieu…) et quelques faux aphorismes à la mode "tweet", mode de communication qu'il affectionne apparemment.

Au total, un bon moment consacré à la langue française !

 

14/01/2016

Alain Mabanckou au Collège de France

Alain Mabanckou Collège de France.jpg

 

Alain Mabanckou, romancier francophone, essayiste et enseignant en Californie, né en République du Congo, prix Renaudot 2006, vient d'être nommé, à 49 ans, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de création artistique (les Arts incluant la littérature) pour l’année 2015-2016.

 

 

Cette chaire couvre un vaste domaine ; en voici les titulaires depuis 2005 :

Le nouveau cours, intitulé « De la littérature coloniale à la littérature négro-africaine », commencera fin mars 2016. En voici le programme :

http://www.college-de-france.fr/media/alain-mabanckou/UPL...

J’ai déjà parlé de M. Mabanckou dans ce blogue ; relire le billet du 20 mai 2015 : http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2015/05/21/bra...

A. Mabanckou, formé à Brazzaville et à Paris (DEA de droit des affaires !), n'en est pas moins sévère avec la France, avec ses élites littéraires et avec sa (supposée) condescendance envers les autres littératures francophones.

Il dit aussi "Si vous voulez comprendre Paul Claudel, il est intéressant de lire les poèmes de Léopold Sédar Senghor" et souligne l'apport de l'univers de la littérature africaine (qu'il appelle "littérature négro-africaine") dans le concert de la mondialisation.

N'est-ce pas une belle illustration de la francophonie : des convictions, des revendications, des rancunes sans doute mais tellement de points communs (dont la liberté d'expression) entre francophones d’origine très diverses ?

Qui bene amat bene castigat !