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04/02/2017

Devinette XVIIg : auteurs français de la première moitié du XXème siècle

Autographe de Proust.jpgJeu de miroir fascinant, quand il décrit dans « Sur la lecture » le plaisir pourtant indicible de passer un après-midi ensoleillé, au jardin, avec un livre, dans un livre, oublieux du monde autour, Marcel Proust décrit justement l’enchantement qu’a été pour nous, à dix-sept ans, la plongée dans les méandres de sa Recherche du temps perdu !

Ma Baronne de Munich, découvrant ce que je lisais et qu’apparemment elle avait lu aussi, m’avait dit avec une moue de mépris : « So altmodisch ! ». Mais non, quel contresens !

On est marqué à vie par les tourments de l’enfance – ceux du Narrateur – par le parfum des aubépines, par les nuits sans air dans une chambre hostile, par les retours de promenade en Normandie, quand on aperçoit un clocher au loin, par le relativisme des deux côtés de Combray, par les incroyables bifurcations et courts-circuits de la vie. 

« C’est au côté de Méséglise que je dois de respirer,

à travers le bruit de la pluie qui tombe,

l’odeur d’invisibles et persistants lilas ». 

On s’est perdu dans la Cathédrale de mots, dans la Symphonie de couleurs et de paysages et on émerge quand le Temps est retrouvé, quand les accords se résolvent, quand les brouillards, les peines, les déceptions se dissipent et s’effacent, et que le Narrateur trouve enfin sa voie dans la création, à l’issue d’un dénouement grandiose.

la Normandie de Proust.jpg

Oui, « À la Recherche du temps perdu » est le chef d’œuvre du XXème siècle et Marcel Proust, qui en a accouché dans la douleur et la réclusion, en est bien l’écrivain incomparable et inimitable. 

Et quel autre dans cette première moitié du siècle ? Mon « Tableau chronologique » destiné aux lycéens mentionne Gide (j’ai déjà parlé de « La porte étroite », j’ai lu il y a longtemps « La symphonie pastorale » et j’ai en attente le « Journal » dont Pierre Magnan disait monts et merveilles) et Claudel bien sûr (j’ai été émerveillé par le « Partage de midi » avec Marina Hands à la Comédie française, et après tout, c’est un lointain parent, son père était né au Thillot dans nos Vosges), Apollinaire, Giraudoux, Desnos, Éluard, Breton… que je n’ai pas lus. 

Je garde pour le prochain billet Mauriac, Céline et Camus qui étaient pourtant nés tôt dans le siècle (ou tard dans le précédent), car j’ai des choses à dire à leur propos.

02/02/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique III

Revenons donc au texte, celui de Hugo, et échappons ainsi à la critique que Michel Onfray fait à nombre d’intellectuels et d’universitaires, à savoir recopier à l’infini les commentaires des autres sur les œuvres, au lieu de s’y replonger et de se faire une idée sur l’original.

Moi, j’aime bien les portraits que fait Hugo de ses personnages. Ainsi celui de notre évêque de Digne, page 74 : « Monseigneur Bienvenu, humble, pauvre, particulier, n’était pas compté parmi les grosses mitres (…). Pas un avenir ne songeait à se greffer sur ce vieillard solitaire. Pas une ambition en herbe ne faisait la folie de verdir à son ombre. Ses chanoines et ses grands vicaires étaient de bons vieux hommes, un peu peuple comme lui, murés comme lui dans ce diocèse sans issue sur le cardinalat, et qui ressemblaient à leur évêque, avec cette différence qu’eux étaient finis, et que lui était achevé (…). Un saint qui vit dans un excès d’abnégation est un voisinage dangereux ; il pourrait bien vous communiquer par contagion une pauvreté incurable, l’ankylose des articulations utiles à l’avancement, et, en somme, plus de renoncement que vous n’en voulez ; et l’on fuit cette brebis galeuse (..). Nous vivons dans une société sombre. Réussir, voilà l’enseignement qui tombe goutte à goutte de la corruption en surplomb ».

Heureusement, tout cela a bien changé… 

J’aime bien sa façon d’écrire, libre, variée, innovante, qui mêle culture classique et allusion à l’actualité : « Soit dit en passant, c’est une chose assez hideuse que le succès. Sa fausse ressemblance avec le mérite trompe les hommes. Pour la foule, la réussite a presque le même profil que la suprématie. Le succès, ce ménechme du talent, a une dupe : l’histoire. Juvénal et Tacite seuls en bougonnent. De nos jours, une philosophie à peu près officielle est entrée en domesticité chez lui, porte la livrée du succès, et fait le service de son antichambre. Réussissez : théorie. Prospérité suppose Capacité. Gagnez à la loterie, vous voilà un habile homme. Qui triomphe est vénéré. Naissez coiffé, tout est là. Ayez de la chance, vous aurez le reste ; soyez heureux, on vous croira grand. En dehors des cinq ou six exceptions immenses qui font l’éclat d’un siècle, l’admiration contemporaine n’est guère que myopie. Dorure est or. Être le premier venu, cela ne gâte rien, pourvu qu’on soit le parvenu. Le vulgaire est un vieux Narcisse qui s’adore lui-même et qui applaudit le vulgaire. Cette faculté énorme par laquelle on est Moïse, Eschyle, Dante, Michel-Ange ou Napoléon, la multitude la décerne d’emblée et par acclamation à quiconque atteint son but dans quoi que ce soit. Qu’un notaire se transfigure en député, qu’un faux Corneille fasse Tiridate, qu’un eunuque parvienne à posséder un harem, qu’un Prudhomme militaire gagne par accident la bataille décisive d’une époque, qu’un apothicaire invente les semelles de carton pour l’armée de Sambre-et-Meuse et se construise, avec ce carton vendu pour du cuir, quatre cent mille livres de rente, qu’un porte-balle épouse l’usure et la fasse accoucher de sept ou huit millions dont il est le père et dont elle est la mère, qu’un prédicateur devienne évêque par le nasillement, qu’un intendant de bonne maison soit si riche en sortant de service qu’on le fasse ministre des finances, les hommes appellent cela Génie, de même qu’ils appellent Beauté la figure de Mousqueton et majesté l’encolure de Claude ? Ils confondent avec les constellations de l’abîme les étoiles que font dans la vase molle du bourbier les pattes des canards » (page 75). 

Sans doute, comme moi, ne savez-vous pas ce qu’est un ménechme ! Mon Larousse universel en deux volumes explique que c’est « un personnage qui a une grande ressemblance avec une autre ». Aujourd’hui, on dirait « un sosie ». Cette expression vient du titre d’une comédie de Plaute (vers 250-184 avant J.-C.), « Les Ménechmes ou les Jumeaux ».

26/01/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique II

Avant de continuer cette critique, j’ai eu la curiosité de consulter mes vieux manuels pour voir ce que nos prédécesseurs pensaient des Misérables.

Dans la partie sur les Romantiques, au chapitre LIX intitulé « Roman historique, roman sentimental » de leur « Histoire illustrée de la littérature française » (H. DIDIER, Éditeur, 1942), E. Abry, C. Audic et P. Crouzet, tous Agrégés des Lettres, écrivent ceci : « Les Misérables sont plutôt un roman social où Victor Hugo a mis toute sa pitié pour les parias de la société. Pourtant les Misérables se rattachent au roman historique parce que, selon le procédé même du genre, des personnages secondaires se trouvent (NDLR : j’ai corrigé la faute d’accord du verbe au pluriel) mêlés à des événements historiques, tel Thénardier détrousseur des morts à Waterloo, et Marius, insurgé de 1830 sur la barricade de la rue Saint Denis. (NDLR : bon, jusqu’ici rien de fondamental…). Les caractères, selon la formule psychologique chère au poète, sont tout en contrastes (…). Jean Valjean, c’est la tare du crime effacée par l’expiation ; Gavroche est le gamin héroïque qui se fait tuer sur une barricade. Les personnages s’opposent aussi deux à deux (…), Jean Valjean à l’évêque Myriel, admirable de charité évangélique… Malgré tout, ces œuvres vivent, grâce à l’imagination épique qui les anime (…). C’est de la Légende des Siècles en prose. Même les choses prennent une âme. Le poète qu’on retrouve donne le courage d’affronter les lourdes dissertations de l’archéologue ou du sociologue ».

Et c’est tout ! En quelques mots, pour ces trois-là, Hugo est avant tout un poète ; c’est un romancier moyen, et ses descriptions sont indigestes. Vous verrez plus loin que mon appréciation est à peu près contraire. 

Je restais néanmoins sur ma faim, nos trois agrégés ayant fait le service minimal, comme certains disent aujourd’hui. J’ai donc ouvert « Les romanciers français – 1800-1930 » de Ch.-M. des Granges et A.-V. Pierre (Librairie H. Hatier, 1936) à la page 94, là où commence le chapitre sur notre écrivain. La courte notice biographique donne le ton : « En 1831, Hugo publia son maître-roman, Notre-Dame de Paris : les personnages qui s’agitent dans ce mélodrame (sic !) ne sont pas plus vivants que ceux d’Hernani ou des Burgondes ; mais la cathédrale elle-même vit, au-dessus du vieux Paris… ». Je crains le pire ! Et effectivement, voici la présentation du roman qui nous occupe : « En 1845, Hugo commença la rédaction d’une œuvre énorme, Les Misérables (…). Il donnait ainsi au public la grosse épopée populaire qu’Eugène Sue avait manquée, non par faute d’imagination mais par défaut de style ». Voilà donc comment rhabiller pour l’hiver, dans une seule et même sentence, deux auteurs célèbres. Arrive le chapitre consacré au roman : « Les Misérables sont une énorme épopée en dix volumes, non pas un roman mais un groupe de romans destinés à supporter une thèse sociale (…). L’auteur les a naturellement déformés (les misérables, objets du roman) afin de créer avec eux des symboles, mais sa puissance verbale leur a donné des apparences très fortes qui trompent parfois sur leur réalité ». Soit dit en passant, le style littéraire de ces deux critiques laisse à désirer et je plains les lycéens du Front populaire qui ont eu à décrypter ces avis et à les commenter dans leurs dissertations…

Et ce n’est pas fini sur les personnages mis en scène par Hugo : « Leurs traits grossis, dépourvus de nuances, sont très propres à frapper l’imagination de ce grand public que Victor Hugo ne dédaignait pas d’atteindre »