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13/03/2019

Grand débat : pourtant, en Angleterre, au XVIème siècle, déjà...

Dans son livre passionnant « Où en sommes-nous ? » (Points Seuil, 2017), Emmanuel Todd rappelle qu’en Angleterre, dès le XVIème siècle, une pension était attribuée aux personnes âgées dans le besoin, par les collectivités locales ; ce système compensait l’individualisme attaché à la structure familiale de l’Angleterre que les anthropologues appellent « nucléaire absolue ».

« La collectivité anglaise a maîtrisé le problème par une précoce fiscalité sociale. Les lois sur les pauvres de 1598 et 1601 (NDLR : Henri IV étant roi de ce côté-ci de la Manche…) ont exigé des paroisses la levée d’un impôt, géré localement par un Overseer of the poor, pris en pratique dans la partie supérieure ou moyenne de la paysannerie locale » (page 270).

« (…) Thomson a montré la continuité de l’histoire de cette sécurité sociale anglaise ou, mieux encore, son caractère cyclique, avec des hauts et des bas non seulement des prestations mais des débats sur ce que devraient être leur niveau et le degré de responsabilité des familles et des individus. Il évalue à 70-90 % du salaire moyen des jeunes adultes ouvriers, le pouvoir d’achat des pensions attribuées aux vieux ruraux » (page 271).

« L’important est de réaliser que l’image d’une culture anglaise ultralibérale par nature est une fiction. L’Angleterre fut, certes, le lieu de naissance du capitalisme individualiste. Il existe bien un lien entre la famille nucléaire absolue et la plasticité de la société anglaise, entre l’absence de valeur d’égalité et la faiblesse des réactions populaires aux violences de la révolution industrielle. Mais nous découvrons toujours, et même après 1834, (…) que cette famille nucléaire n’aurait pu exister sans l’apport d’une prise en charge collective des individus décrochés du noyau falilial élémentaire, les vieux principalement mais aussi les orphelins et, dans la phase de transition de la campagne vers la ville, les ouvriers en perdition » (page 278).

« L’Angleterre (…) a devancé la France dans la course à la modernité politique, inventant la représentation politique et la nation bien avant 1789. Nous devons désormais mettre en question un autre lieu commun de nos manuels scolaires, qui nous assurent que Bismarck et l’Allemagne ont inventé la sécurité sociale. Non, une fois de plus, c’est en Angleterre que nous pouvons observer le premier État social européen, associé à une culture familiale individualiste plutôt que communautaire ou souche » (page 279).

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À l’heure où beaucoup de retraités ou de personnes isolées manifestent en France leurs difficultés en Gilets jaunes, n’est-ce pas instructif ?

12/03/2019

Grand débat : mais où sont donc les économistes hétérodoxes ?

Les Gilets jaunes au fond, ayant constaté comme tout le monde les dégâts engendrés par les choix néolibéraux faits au début de années 80, et surtout l’injustice dont ils se considèrent les victimes, contestent le modèle de la société en place…

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En changer est sans nul doute souhaitable mais c’est très loin d’être simple. D’abord parce que la France s’est liée les mains avec des traités internationaux et surtout européens (M. Philippe Séguin nous avait bien prévenus… Nous sommes passés outre), qui ne seront pas faciles à dénouer. Et ensuite parce qu’il faut construire un autre système à la place de l’actuel qui a mis trente ans à mûrir (M. Nicolas Hulot, ancien ministre français de l’écologie, nous a déjà dit que développement durable et néolibéralisme étaient incompatibles).

Un de mes patrons avait dit il y a longtemps que les structures ne se réforment pas elles-mêmes. En tous cas, on ne peut guère compter sur les tenants acharnés d’un système pour en mettre un autre en place ! Et il nous faudrait des experts pour que le nouveau système tienne debout, ni ultralibéral ni collectiviste. Ces experts, ce devrait être les économistes hétérodoxes… mais où sont-ils ? Pourquoi ne les entend-on jamais depuis le début de la crise française (novembre 2018) ?

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Bien sûr on sait qu’ils sont peu nombreux, qu’ils sont marginalisés, que les places dans l’establishment universitaire leur échappent et que Bernard Maris a payé de sa vie son amour de l’impertinence et de l’anticonformisme…

Mais tout de même, que fait en ce moment Jacques Généreux, qui avait publié en son temps « Nous, on peut » (Seuil, 2011) et « La déconnomie » (Seuil, 2016) ? Où est Jacques Raveaud, moins radical, auteur de « Économie : on n’a pas tout essayé » (Seuil, septembre 2018 !) ? Que font dans leur coin les Économistes atterrés (« Macron, un mauvais tournant », Les liens qui libèrent, 2018) ? Et Michel Guénaire « Il faut terminer la révolution libérale », Flammarion, 2009), Éloi Laurent (« Nos mythologies économiques », Les liens qui libèrent, 2016). Et Jacques Sapir ? et Paul Jorion ("Le capitalisme à l'agonie", Fayard, 2011) ?  Et Jean-Luc Gréau ("La trahison des économistes", Gallimard, 2008) ? Naomi Klein (« Dire non ne suffit plus », Actes Sud, 2017), elle au moins, est au Canada.

Un canal existe : "Alternatives économiques" mais son lectorat est restreint...

Ah si, on entend Barbara Lefebvre et Natacha Polony (« Changer la vie, pour une reconquête démocratique », L’observatoire, octobre 2017 ; Marianne et Polony TV) mais elles ne sont pas économistes !

Oui, où sont donc les économistes hétérodoxes ?

13/04/2018

"Génération J'ai le droit" (Barbara Lefebvre) : critique V

Pour faire bonne mesure, Barbara Lefebvre renvoie la droite et la gauche (françaises) dos à dos : « Elle (la gauche) a joui sans entraves des bienfaits de cet élitisme bourgeois qu’elle adore détester mais qu’elle incarne avec une morgue sans égal. (La droite) a la vertu de l’assumer (le système de privilèges) au nom d’un libéralisme dévoyé et d’un individualisme vénal presque revendiqué » (page 88).

Et voici, page 93, après un commentaire des innombrables enquêtes qui déferlent dans les médias chaque année, ce qui concerne directement ce blogue : « Il suffit de lire les bandeaux déroulants sur les chaînes d’info en continu ou les tweets de tel ou tel conseiller ministériel, tous écrits précipitamment et sans relecture, pour constater l’état de la maîtrise orthographique, en particulier l’orthographe grammaticale ».

« L’abrutissement général est équitablement réparti, ce qui doit réjouir les gardiens du temple : l’égalité des malchances, c’est déjà de l’égalité ! » (page 94).

Les résultats des enquêtes de diverses origines sont concordants et accablants pour le système éducatif français ; à ce constat calamiteux, trois causes : les méthodes d’apprentissage, les programmes et la formation des maîtres. Un sans-faute dans l’erreur, sauvé par un déni persistant !

L’idée d’un « socle de compétences théoriques, réflexives et pratiques fondamentales » date de l’allongement de la scolarité obligatoire à 16 ans, c’est-à-dire de 1967, et pourtant nous n’en avons entendu parler qu’au moment des célèbres définitions des pédagogistes pour les verbes « nager » ou « courir »… Et encore, cela a popularisé la notion de compétence (et fait rigoler la France entière) mais non pas la notion de « fondamental » ou de « minimal ». Barbara Lefebvre nous apprend que, dans ce domaine comme dans d’autres, le traité de Maastricht nous a livrés à l’autorité de la Commission européenne et que Pierre Bourdieu, chargé par François Mitterrand d’élaborer un rapport sur l’école, a emboîté les pas des libéraux européens fédéralistes. Un comble !

Ce n’est pas tout : l’éparpillement des micro-compétences dans plusieurs domaines simultanés a ouvert la porte à la fameuse interdisciplinarité, prélude aux projets EPI de Mme Belkacem.

Et le tout transforme peu à peu l’école en productrice de futurs consommateurs et de « main d’œuvre docile, flexible et qualifiée en fonction des besoins du marché du travail » (page 101).

Incroyable mais vrai, le chapitre se termine par une allusion au Michel Houellebecq de « La possibilité d’une île ».

Encore un coup de la synchronicité !