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03/05/2017

Petites nouvelles du Front (VI)

une salle de classe élèves sages.jpgRetour aujourd’hui, aux « Les territoires de la République », avec le texte de Barbara Lefebvre « Des barbarismes à la barbarie » (pages 211 à 214), paru dans « Le Monde » le 7 mars 2006. L’article est court et sans fioritures. Il va droit au but et le coup est rude pour nous autres qui avons connu des établissements scolaires calmes où il faisait bon vivre. Je le rappelé, cette enseignante écrit en 2002…

« La violence verbale est le lot quotidien des acteurs du monde éducatif (…). Il faut vivre au quotidien ces laboratoires de la haine de l’Autre que sont devenus beaucoup de nos établissements scolaires (…). Pour que soient abolies les barrières morales empêchant le passage à l’acte meurtrier, il faut déshumaniser l’Autre. Cela commence par les mots » (pages 212-213).

« Bienvenue dans le ghetto scolaire fabriqué par nos élites progressistes, adeptes de la contre-culture, surtout quand elle ne vient pas se frotter de trop près à leurs enfants à l’abri dans des établissements prestigieux ou privés. Merci à l’angélisme pédagogique des chercheurs des années 1980 et autres sociologues qui ont contribué à ringardiser la fonction d’éduquer en expliquant que l’école est d’abord un lieu de vie où nous sommes tous, adultes comme élèves, des égaux » (page 213).une salle de classe instituteurs.jpg

« Les barbarismes langagiers préparent le terrain conduisant aux crimes les plus barbares ».

« Le mécanisme du Sprachregelung – les règles de langage dans le vocable nazi – qui permit d’encoder le crime et de maintenir l’ordre mental nécessaire à sa perpétuation, se prolonge quand une société tolère que sa jeunesse vive au quotidien, à l’école même, dans la barbarie verbale » (page 214).

01/05/2017

Petites nouvelles du Front (V)

Voyons aujourd’hui, dans « Les territoires de la République », le texte de Barbara Lefebvre, « Sur un climat de démission » (pages 205 à 211).

« Depuis une vingtaine d’années, l’idée d’une école démocratique où tout doit faire l’objet de débat, discussion, négociation, a été validée par une lecture néfaste de la loi d’orientation de 1989 : l’élève devenu l’enfant au cœur du système a été considéré comme l’égal de l’adulte enseignant ou encadrant » (page 206). « Oser avancer que l’acte d’apprendre exige une démarche de volonté chez l’élève, est odieuse pour certains enseignants ou chefs d’établissement qui fondent prioritairement leur rapport aux élèves et à leur métier sur un registre affectif induisant la politique de l’excuse » (page 207). « Au lieu d’encourager la seconde génération – principalement issue de l’immigration nord-africaine des années 1950 – (…), la société bien-pensante (gauche caviar et droite camembert) les a appelés à cultiver a contrario leur différence, en glorifiant des dimensions caricaturales de leur culture d’origine ou de cité » (page 208). Association d’idées gratuite : voir l’insistance avec laquelle François Busnel renvoie Tahar Ben Jelloun vers ses origines et sa langue maternelle dans « La grande librairie » (cf. mon billet du 24 avril 2017).

« (…) Notre école est devenue un lieu où cohabitent des communautés ethniques et religieuses, un lieu où on ne rassemble plus des élèves français mais des enfants nés en France s’identifiant prioritairement selon leur confession ou l’origine étrangère de leurs géniteurs (…). Ce champ laissé ouvert a été investi à la fin des années 1980 par les ennemis de la laïcité et de son universalisme, cette désertion a permis notamment l’explosion raciste et antisémite à laquelle nous assistons impuissants depuis plusieurs années » (page 209).

« L’antiracisme transformé en idéologie politiquement correct s’est comme retourné contre son objet : au lieu d’intégrer à un espace commun (la nation républicaine à la française), elle a accentué les différences en enfermant chacun dans un rôle stéréotypé (le beur, le black…). Dernière échappatoire en date : la discrimination positive. On sait que l’affirmative action n’a pas fonctionné aux États-Unis, pourquoi ne pas essayer ce ratage en France, nous suggèrent certains ? » (page 210).

Et Barbara Lefebvre de conclure : « Soit on décide d’y réaffirmer les principes et les valeurs fondatrices d’une République qui (…). Soit on décide de céder à la facilité consistant à déléguer une part conséquente de la souveraineté nationale à des groupes politico-religieux divers (…) ». Dès 2002, elle envisage la pire de ces deux options et écrit « alors nous n’aurons décidément rien appris de Munich… » (page 211).

Et donc, qu’avons-nous fait depuis 15 ans ?

Comme dirait l’autre : peut-être est-ce une explication ?

18/04/2017

Petites nouvelles du Front (I)

Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé de mes lectures dans ce blogue… et pour cause : d’une part les irritations linguistiques m’en empêchaient (voir les trois derniers billets) et d’autre part mes lectures, fort intéressantes et instructives, ne ressortissaient pas à proprement parler du domaine de la littérature.

J’ai ainsi lu le gros pavé d’Éric Zemmour, « Le suicide français » (Albin Michel, 2014), ouvrage fort commenté et à l’origine de nombreuses polémiques il y a quelques mois. Je ne peux pas nier qu’il est intéressant ; on le lit avidement, d’une part parce qu’il est organisé par petits chapitres chronologiques censés décrire des « ruptures » (dans le sens du renoncement et de la faillite d’un modèle) et d’autre part parce qu’il est écrit dans un style journalistique de qualité, avec des titres pleins et intrigants. On dévore donc cette succession de coups de gueule et de coups de sang envers des événements, des personnages, des chansons ou des films, qui ont fait l’histoire contemporaine de notre pays depuis le 9 novembre 1970, jour de l’enterrement du Général de Gaulle, jusqu’au 13 décembre 2007, jour de la signature du traité institutionnel « modificatif » de Lisbonne. Et franchement, on en apprend des choses car c’est extrêmement documenté, plein de détails issus des coulisses ou bien que l’on avait oubliés.

Le ton est volontairement alarmiste, voire désespéré : « La France se couche. La France se meurt » ; « Nos élites (…) somment la France de s’adapter aux nouvelles valeurs. Elles crachent sur sa tombe et piétinent son cadavre fumant » ; « Toutes observent (…) la France qu’on abat ».

L’auteur est un redoutable débateur et l’on reste souvent démuni ou ébranlé par la solidité de ses argumentations. Impossible de résumer 527 pages grand format, on peut seulement en recommander la lecture, ne serait-ce que pour s’exercer à contrer ses thèses quand on ne les partage pas (et aussi pour mesurer l’écart entre ce qu’on lit et ce qu’en ont dit ses collègues-journalistes à l’époque).

Mais je ne résiste pas à l’envie d’en citer deux passages qui résonnent avec les idées défendues (ou pourfendues) dans ce blogue.

D’abord le chapitre « 24 janvier 1981 : Dallas ou le changement d’âme » : « Mais la télévision frappait beaucoup plus fort que le littérature et même que Hollywood (…). Dallas se révéla une redoutable arme de colonisation des esprits, que les Américains appelèrent soft power (…). En France, les parents appelèrent leurs enfants Sue Ellen, Pamela ou même JR. La jeunesse se précipita vers les Mc-Donald’s qui ouvrirent au même moment (…). Des marchands habiles acclimatèrent dans nos contrées jusque-là rétives la fête des fantômes d’Halloween ; lors de leurs procès, les voyous appelèrent leurs juges Votre Honneur. La société française, imprégnée d’une triple culture catholique, révolutionnaire et communiste, s’agenouillait devant les cow-boys texans. Les esprits étaient mûrs pour un grand chambardement (…). Les GI’s, les chewing-gums et le coca-cola, le rock and roll et Hollywood avaient été la première étape essentielle d’une américanisation des esprits qu’avait fort bien annoncée un Paul Morand dans son roman des années 1930 Champions du monde ». 

Ensuite, et dans un tout autre ordre d’idées, il faut lire le chapitre « 21 mars 1983 : le passage de la lumière à l’ombre », dans lequel Éric Zemmour explique comment « l’élite de la gauche française » conduisit « comme un chien d’aveugle Mitterrand et la gauche sur des chemins escarpés où ceux-ci ne voulaient pas aller et d’où ils ne reviendraient pas ». Pour la première fois, « l’État français se présenta devant les marchés internationaux pour financer sa dette, alors qu’il avait l’habitude de se tourner vers l’épargne nationale qui avait la réputation justifiée d’être abondante ».

Ce « tournant de la rigueur », cette adoption du libéralisme économique et de la mondialisation financière, nous en subissons encore les conséquences et son avènement à l’époque sert d’argument aujourd’hui pour déstabiliser tout projet de « relance keynésienne ». Quant à la fameuse dette et à la non moins fameuse « tyrannie des marchés », elles occupent toujours une large part des discours tant des politiques que des économistes. Et l’on reste songeur devant ce passage du livre : « C’est l’Europe qui avait précédé le monde et non le monde qui avait subverti l’Europe. Ce fut un quarteron de hauts fonctionnaires français qui imposa cette vision à l’Europe et au monde, contrairement à notre tradition protectionniste (et à nos intérêts nationaux ?) ». Accablant…

Comme on le voit, ce n’est pas le Vél. d’hiv. ni le statut des Juifs sous l’Occupation qui constituent le cœur de cet épais volume.