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06/06/2015

Adieu, Bernard… On t'aimait et on l'aime, ta France (II)

Le dernier livre de Bernard Maris est, encore plus que les précédents, brouillon, foisonnant, percutant, sautillant mais plein d'anecdotes, de références historiques et littéraires, et de générosité, de curiosité, de tolérance, sans pour autant manquer de conviction ni de coups de gueule.

On sent qu'il a été écrit d'un trait, sans la possibilité de relire, de corriger, de simplifier - et pour cause -. D'où un style un peu débridé, parfois elliptique, et un récit à cent à l'heure.

Y abondent des allusions à l'actualité de 2014-2015, qui évidemment auront du mal à résister au temps qui passe. Par exemple :

Aurélie Filippetti.jpg

 

 

 

"… Aurélie Filippetti, ministre de la culture, osa répondre en citant le poète : Aimez, vous qui vivez ! On a froid sous les ifs… J'irai par la forêt, j'irai par la montagne - Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Fille d"immigrés italiens, agrégée de lettres (NDLR : encore une…), écrivain, elle est aussi un produit de la méritocratie républicaine...

Interrogée sur Patrick Modiano, la ministre de la culture Fleur Pellerin, qui succéda à Aurélie Filippetti, dit qu'elle ne l'avait pas lu et qu'elle ne lisait pas de livres. Elle n'avait pas le temps, trop occupée - à la culture sans doute…".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bernard Maris, à la recherche d'une sorte de définition de la France, en tous cas de celle qu'il aimait, s'esbaudit que deux millions de Français aient suivi le cortège funéraire de Victor Hugo et que, des dizaines d'années plus tard, ils soient encore des centaines de milliers (pas les mêmes…) à suivre le cercueil de Sartre, qui pourtant ne les avait pas ménagés.

Écrire, une passion française ?

"Mourir pour une virgule, écrit quelque part Cioran, qui n'avait qu'une peur, voir la langue française disparaître, la peur de Beckett, la peur d'Andreï Makine...

Tout bon Français s'est enivré à la littérature. Tocqueville dit que la noblesse française préféra se tourner vers les lettres que vers le commerce, contrairement à sa voisine anglaise… D'où, en France, l'explosion des salons et la vanité des bourgeois, eux aussi tentés par la littérature…".

05/06/2015

Adieu, Bernard… On t'aimait et on l'aime, ta France (I)

Bernard Maris, économiste cultivé, iconoclaste et vulgarisateur (aucun pléonasme dans tout cela…), préparait depuis décembre 2014 un essai sur la France.

Le 2 janvier 2015, il en a envoyé les 140 premières pages à son éditeur, "dont il était content" (des pages en question…). Ce dernier écrit "Elles nous ont plu. Passionnés".

Le 7 janvier, il était assassiné dans les locaux de Charlie Hebdo...

Si on aimait la France.jpg

 

 

 

Le livre "Et si on aimait la France" est paru aux éditions Grasset, en avril, comme il l'avait prévu. Je me suis jeté dessus. Ce sont les dernières paroles d'un humaniste plein d'humour, dont on avait encore besoin.

 

 

 

 

Il y parle de la langue française, bien sûr, parce que France et langue française sont intimement liées.

Et surprise - mais est-ce vraiment surprenant ? - il enfourche le cheval de bataille des défenseurs de l'école républicaine : "Quel historien s'interrogera un jour sur le carnage que fut l'enseignement en France des années 70 à nos jours ? J'en étais resté à mon modèle d'instituteur, et à la lettre de Camus au sien, Louis Germain, à qui il avait aussitôt pensé juste après sa mère en recevant son Nobel : Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé.

Je me doutais bien qu'ici ou là les choses d'allaient pas très bien, qu'on arrivait plus à faire parler correctement ni à faire lire les enfants, encore moins à les intégrer, pour jargonner comme un sociologue ou un homme politique, que la France était mal classée en termes d'acquisition de sa propre langue - ne parlons pas des autres - ou des maths, elle qui a toujours produit les plus grands mathématiciens...

… Économiste, je suis aux premières loges pour constater les ravages de la conceptualisation, cette maladie qui interdit de s'exprimer autrement que dans un style administratif, qui oblige les Français interrogés à la télé à parler façon télé (rien de tel qu'un gendarme interrogé sur un événement pour comprendre), dans un sabir à jamais coupé du trésor de la langue ; cette langue qui permet (encore) de vitupérer l'époque au comptoir, entre Français bavards et râleurs".

À propos du gendarme, je me rappelle que, dans mon entreprise, j'avais interpellé la Direction de la Communication qui venait de créer un bulletin vidéo mensuel, dans lequel les salariés (souvent des techniciens) étaient interrogés sur leur métier ou sur l'actualité technique ; ils s'exprimaient en effet de façon à la fois ampoulée et incorrecte, ces types de trente à quarante ans, exactement "comme à la télé". Naturellement, j'attends toujours la réponse des communicants...

Allez, vous reprendrez bien un peu de France ! Miss France.jpg

03/06/2015

Natacha ne lâche pas l'affaire

Dans le Marianne du 15 mai 2015, Natacha Polony écrit au Président qui renie Jules Ferry. La belle n'a pas froid aux yeux, qu'elle a sombres et perçants.

"… Ce qui est en train de se mettre en place est la phase terminale et métastasée de l'entreprise de démolition de l'école républicaine, outil d'émancipation d'un peuple de citoyens, au profit d'une fabrique de consommateurs-producteurs adaptables aux aléas du marché du travail en économie mondialisée".

Bigre. Elle passe rapidement sur la question des langues anciennes, sur les classes bilangues et sur les programmes d'histoire, pour se concentrer sur la philosophie de la réforme "prolongement de toutes celles qui ont précédé depuis trente ans" et "copié-collé de la réforme du lycée de la présidence Sarkozy". Elle en accuse, bien entendu, les "experts" de la rue de Grenelle, ceux que l'on appelle les pédagogistes, et la "vulgate imprégnée d'idéologie managériale et de culte de l'évaluation".

On apprend que les fameuses "compétences", qui sont censées remplacer les connaissances et les savoirs, ont fait leur entrée dans l'école à l'occasion de la loi Fillon de 2005. Et c'est ici qu'arrive l'argument intéressant et que, personnellement, je n'avais encore lu nulle part.

"Évaluation des compétences, valorisation des acquis, tout ce vocabulaire issu du management s'est imposé à tous les échelons du système sous la pression des instances internationales, OCDE et Union européenne, qui considèrent l'éducation comme un critère de performance dans le cadre d'une économie mondialisée. En 1995, le livre blanc de la Table ronde des entreprises européennes, un des lobbys gravitant à Bruxelles, estimait d'ailleurs que l'éducation doit être considérée comme un service rendu aux entreprises.

 

Les travailleurs sur une poutrelle dans le vide.jpg

 

Tout ce qu'il faut pour fabriquer des ignorants satisfaits, à l'aise à l'oral, mais ne maîtrisant ni la langue française ni le monde qui les entoure.

Un savoir qui vaut par lui-même et non comme un prétexte au déploiement de compétences diverses s'exprimant à travers des projets interdisciplinaires, seuls capables de faire supporter l'ennui qu'inspirent les chefs d'œuvre de la littérature ou la connaissance du règne d'Henri IV".

Dans le même dossier, Alain Bentolila, linguiste qui est déjà intervenu dans le débat et a souvent été cité, conclut son article un peu laborieux sur les dangers du numérique à l'école, nouvelle lubie du Président en quête de réforme, par ces mots : "Croyez-vous vraiment dans le pouvoir du numérique de changer le destin des élèves fragiles ? Ou bien est-ce là le dernier gadget de responsables à court d'idées qui, après la suppression du redoublement, l'abandon des notes et l'improvisation théâtrale, nous servent le numérique pour calmer les inquiétudes des enseignants et des parents ?".