07/08/2015
Sacré Charlemagne (II) : vive la dictée !
Retour sur le dossier "Sauvons l'école" du journal Marianne (26 juin 2015).
Voici quelques morceaux choisis de l'article - accablant pour l'école d'aujourd'hui - d'Éric Conan.
D'abord savez-vous que sont organisées dans certains quartiers - populaires en l'occurrence - des "dictées des cités" ? Et que les habitants en redemandent ?
"Créée pour la première fois (NDLR : pléonasme, non ?) il y a deux ans à Argenteuil par Abdellah Boudour, responsable de l'association Force des mixités, cette initiative connaît un succès fulgurant. Ils furent des milliers en France à plancher sur des textes d'Éluard, de Hugo ou de Saint Exupéry.
Aucun de ces concours de dictée associatifs n'a eu la visite de la ministre de l'Éducation. Elle aurait pu utilement constater que leurs participants, du jeune collégien au retraité, ne souffraient ni d'ennui ni d'humiliation. Ils étaient pourtant notés et, pis !, classés pour décrocher des récompenses".
"Chassée de l'école, la dictée renaît dans la rue. Comme la discipline et la compétition, interdites de séjour en classe, sont plébiscitées dans les clubs de sport, où il faut mettre la pression. Et l'exigence et la rigueur sont sacralisées dans ces émissions de cuisine où les aspirants cuissots se mettent au garde-à-vous"...
… "Les positions pédagogistes (NDLR : de la gauche française) sur l'école - en faire le dernier lieu de la proclamation égalitaire - ne sont pas étrangères à son deuil non avoué de l'égalitarisme économique et social. Elles apparaissent en effet dans le prolongement de l'abdication du volontarisme politique socialiste avec le tournant néolibéral de 1983".
… "Ce fut l'effet Bourdieu, qui restera un exemple fascinant de la puissance et des ravages de l'idéologie dans une société non totalitaire : comment, à partir d'un bon constat du caractère insuffisamment égalitaire de l'école, la transformer en aggravant les inégalités… Mais, au lieu de proposer d'améliorer cette accession populaire insuffisante à l'élite du savoir, il suggéra d'en finir avec ce savoir élitiste jugé discriminant… Il concluait en effet que l'importance excessive accordée à la trilogie lire, écrire, compter peut, à bon droit, être considérée comme l'un des facteurs de l'échec scolaire".
Sont venus ensuite Lionel Jospin et Claude Allègre et leur loi d'orientation de 1989 prônant "L'élève au centre de l'école", à la place des savoirs et de l'acquisition des connaissances.
Résultat : "En moyenne, un élève de troisième d'aujourd'hui aura reçu dans son parcours scolaire 900 heures de français en moins que ses parents".
30/07/2015
Francophonie encore (I)
Dans le Figaro du 19 mars 2015, un article remarquable de Mathieu Bock-Côté, sociologue, chargé de cours à l'Université du Québec et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.
Il est (fort mal) intitulé "Les élites françaises aiment-elles encore la langue de Molière" car le propos n'est pas là.
Comme toujours dans les bons textes, ramassés, percutants, sobres et bien écrits, il faudrait tout citer. Je vais me contenter de ceci :
"Une langue meurt lorsqu'elle ne parvient plus à traduire une nouvelle époque dans ses propres mots et lorsqu'elle emprunte systématiquement à une autre langue les termes pour nommer les réalités nouvelles".
C'est quasiment une définition académique !
"Il y a dans l'anglomanie qui a gagné la France depuis quelques années un zèle autodépréciateur inquiétant, comme si elle croyait que le vocabulaire de la mondialisation était nécessairement anglophone, qu'on évoque l'économie financière ou de nouvelles technologies".
On ne dit pas autre chose dans ce blogue depuis plus d'un an maintenant.
"La France est peut-être seule capable d'inscrire la cause de la diversité des peuples au cœur de la vie internationale... Surtout, la langue française, dans le monde occidental, par son prestige de civilisation et par la puissance politique qui pourrait encore être la sienne, en est venue à incarner le point de ralliement contre la domination de l'anglosphère".
Peut-on rêver plus bel hommage et plus forte exigence posée à notre résistance ?
Dernière idée très forte dans cet article, le lien indestructible entre langue et littérature :
"Mais on ne saurait défendre une langue sans célébrer son génie. Et c'est ici que l'éloge de la langue française se confond avec celui de la littérature française.
Qui s'y plonge s'éduque.
Encore doit-on y voir non pas seulement une série de fables amusantes pour distraire l'esprit mis bien une part vitale de patrimoine de l'humanité. Encore doit-on aussi la parler dans sa richesse et la sortir de la gaine étouffante de la langue des communicants.
On n'en sort pas : une langue qui s'arrache à sa littérature se suicide".
Je m'en voudrais d'ajouter quoique ce soit...
07/06/2015
Adieu, Bernard… On t'aimait et on l'aime, ta France (III)
Impossible de résumer le dernier livre de Bernard Maris "Et si on aimait la France", tellement il contient de considérations sur l'histoire, la politique, la démographie, la culture… avec des références nombreuses à Vidal de la Blache, Pierre Chaunu, Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, et d'autres.
On y balance entre France éternelle et France mondialisée, entre France des paysans et France des villes, entre France centre du monde et France repliée sur elle-même, entre France de l'amour courtois et France qui attend 1969 pour la loi Neuwirth, entre France très peuplée et reine d'Europe au XVIIIè siècle et France dépeuplée cinquante ans plus tard...
Il insiste sur l'importance primordiale de la démographie et sur l'avance de la France quant au respect dû aux femmes, aux enfants et à la promotion de "l'amour éternel" (le mariage d'amour, qui remplace le mariage "politique" d'antan).
Avec, en fil d'Ariane, les souvenirs "d'En-France" de Bernard Maris, fils et petit-fils de gens du peuple, élevé dans le Sud-Ouest.
"Dans le soir parfumé, dans les derniers feux de la IVème république, en été, on sortait les chaises dans la rue, on discutait et on riait.
Les gros chevaux à ferrer renâclaient à côté sous le hangar. Le parfum des tilleuls est l'un des plus enivrants que je connaisse, avec celui, particulièrement sucré, des buddléïas, les arbres à papillons.
Mais la plus belle, la plus puissante des odeurs était celle du foin ou du blé coupé. "La moisson de nos champs lassera les faucilles…". L'odeur de la fenaison signifiait "promesse"… de rencontre, d'aventure, de sourire féminin. En été, on allait de fête de village en fête de village, et ça dansait, dansait, buvait et se querellait parfois...
Travailler à la ferme me semblait le plus beau destin. La Saint-Jean, les moissons, les ouvriers agricoles italiens beaux comme des dieux et ruisselants de poussière de blé et de sueur, les grands festins, les blagues en patois et la piquette qui coulait, avec l'eau-de-vie. J'adorais l'eau-de-vie dans le café. J'avais dix ans. Je suivais les grands dans les fêtes, tremblais dans les bagarres.
La nuit, le ciel vibrait d'étoiles, et toujours ce parfum affolant du blé coupé suivait les braillards qui rentraient".
C'était Bernard Maris.