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20/12/2018

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique IV

Ce billet pourrait être sous-titré, non pas Édith et Marcel, mais Jeanne et Marcel ou Simone et Marcel, voire Jeanne, Simone et Marcel !

En effet, page 239, Michelle Maurois nous raconte la vaine passion de Marcel Proust pour Jeanne Pouquet, qui s’est transmise à sa fille Simone et transposée dans l’utilisation qu’il fit de ces deux jeunes femmes pour peindre plusieurs de ses personnages.

« Il n’avait encore jamais vu Simone quand il décida qu’elle serait à l’extrême fin de son livre la fille de Gilberte et de Robert de Saint Loup ».

ce qui permit à Simone d’écrire : « J’ai débuté jeune dans le rôle d’héroïne de roman. Mais Mlle de Saint-Loup n’est qu’une petite créature sans histoire que le Bâtisseur d’Arche, une fois l’œuvre achevée, a posée, comme un bibelot, tout au sommet de l’édifice ».

Proust fait la connaissance de Simone, chez ses parents, vers minuit, alors qu’elle n’a que quatorze ans. Elle lui plaît. « Il compara les joues de Simone à des pivoines et loua ses anglicismes tout en l’appelant Mademoiselle Simone » (oh ! ses anglicismes !). Et il fut fasciné par l’écriture de la jeune fille : « C’est encore plus aquarellé ou jardiné qu’écrit » ! Il écrit à sa mère qu’il apprécie son intérieur mais « j’aime mieux encore votre fille et les prodigieux raccourcis d’intelligence d’un regard ou d’une exclamation » (page 240).

Il demande à Simone une photographie d’elle, qu’il obtient sans difficulté et ne peut s’empêcher de repenser à Jeanne : « Quand j’étais amoureux de votre Maman, j’ai fait pour avoir sa photographie des choses prodigieuses. Mais cela n’a servi à rien ». Il est prêt à partir pour Cabourg si Simone y va : « Cette phrase donne à penser, dit Simone, que, si mes parents m’avaient, cet été-là, envoyée à Cabourg, j’aurais été, sinon une Jeune Fille en Fleurs du premier quadrille, vedette majeure, au moins une petite fille-fleur de la classe enfantine, bonne à jouer un rôle parmi les figurantes, à tenir sa partie dans les chœurs ».

Proust dit encore, plusieurs années après : « Si elle avait été grinchue, comme je serais tranquille ». Mais Simone est aimable avec lui ! Notre Trésor de la langue française indique « Grinchu, -ue, adjectif et substantif, synonyme vieilli de grincheux ».

« Je voudrais bien la revoir sourire ».

Moi aussi...

17/12/2018

Les mots français à la mode III

Celui-ci n’est pas un tic verbal mais un détournement de mot pour essayer de discréditer et de disqualifier des adversaires politiques : « populiste ». Pour Henri Pena-Ruiz, c’est « le gros mot à tout faire » (Marianne du 9 novembre 2018) : « La notion de populisme semble autoriser la confusion insultante entre les démagogues qui flattent le peuple pour mieux l’écraser et les militants qui servent authentiquement les intérêts des plus démunis ». Et encore : « Il est temps de fermer la parenthèse ordo-libérale. Place au peuple (…). Populisme ? Assumons sans complexes ».

Une semaine auparavant (Marianne du 2 novembre 2018), c’est Jacques Chamboux qui écrivait, sous le titre « La capitalisme ou l’évaporation sémantique » : « Pour exalter ses vertus comme pour en dissimuler les innombrables crimes, ses zélateurs lui préfèrent libéralisme ou marché, pour le désigner et en naturaliser l’existence. Cette évaporation sémantique permet toutes les ruses langagières. Ainsi, pour conjurer le péril du réchauffement climatique, on en appelle à une croissante verte ou à une dé- ou post-croissance, mais de remise en cause du système qui le génère, jamais ! ».

Le détournement du sens des mots est vieux comme la politique et son arme préférée, la propagande (rappelons-nous l’usage qu’en ont fait les régimes nazi et soviétique ; rappelons-nous la novlangue de George Orwell). En 1984, la bataille contre la réforme du système éducatif français a été en partie gagnée par l’utilisation exclusive du terme « école libre » (défendons l’école libre = défendons la liberté), au lieu de « école privée » (privatif… hum… pas bon, ça) ou de « école confessionnelle ». Aujourd’hui on appelle ça « la bataille de la communication ».

Au risque de m’éloigner du sujet de ce billet et de cette rubrique (« Les mots à la mode »), je veux citer encore Henri Pena-Ruiz qui, dans le Marianne du 12 octobre 2018, analysait le terme ambigu d’État-providence : « Annonçant sa politique sociale, M. Macron parle d’État-providence. Un vocabulaire inepte. Les droits sociaux n’ont rien à voir avec une manne providentielle, offerte par bienveillance paternaliste, plus ou moins condescendante. La notion de Welfare State (état en vue du bien-être) est d’ailleurs très différente. Elle définit une finalité, le souci d’une existence matérielle digne, accessible à tous. La providence définit plutôt une modalité, par transposition religieuse de la prévoyance humaine (Saint Augustin) (…). Ce n’est pas l’État qui donne. Ce sont les travailleurs qui s’organisent , comme ils le feront avec la Sécurité sociale grâce à Ambroise Croizat, ministre communiste à la Libération ».

On connaît depuis longtemps les circonvolutions du langage diplomatique (« un échange franc et direct », etc.). Denis Monod-Broca parle d’opération enfumage dans son courrier des lecteurs de Marianne (12 octobre 2018) : « Au sujet de la bioéthique et des nouvelles lois à venir, on lit dans les journaux que le gouvernement vise un débat apaisé. Traduction libre : l’opération enfumage est lancée ».

13/12/2018

"Les cendres brûlantes" (Michelle Maurois) : critique III

Revenons, si vous le voulez bien, aux mémoires de Michelle Maurois, fille de l’écrivain André Maurois – ou plutôt à son récit généalogique –, « Les cendres brûlantes » (1986).

Voici ce que je lis page 204 : « Robert (de Flers, co-auteur de Gaston Arman de Caillavet) alla consulter son beau-père, Victorien Sardou, à Marly ». Victorien Sardou – rien à voir avec le chanteur des années 80 – était un auteur dramatique célèbre à l’époque ; il habitait le château du Verduron dans les hauteurs de Marly le Roi (anciennement en Seine et Oise, aujourd’hui dans les Yvelines, une autre des villes royales, entre Saint Germain en Laye et Versailles), avec son portail majestueux et sa fameuse allée des sphinx, à côté de l’église Saint Vigor. Il fut maire de Marly.

« Une allée de dix sphinx (réalisés par Mariette) menant à un temple, constituait la pièce maîtresse du pavillon égyptien de l'Exposition Universelle de 1867 à Paris. Rachetés après l'exposition par le dramaturge Victorien Sardou, ils orneront l'entrée de sa propriété : le château de Verduron à Marly-le-Roi. Le temps ayant fait son œuvre, il ne reste plus aujourd'hui que deux sphinx originaux, mais la société propriétaire des lieux a fait reconstruire l'allée à l'identique.

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Vous devrez regarder au travers de la magnifique grille car nous sommes dans une propriété privée qui ne se visite pas.

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Observez dans la rangée de gauche, côté château, le premier et le dernier sphinx sont les "vrais" !Sphinx du Verduron 3.jpg

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Source : http://paris-bise-art.blogspot.com/2010/12/lallee-des-sphinx-du-chateau-de.html

Profitons-en pour voir ce que dit Wikipedia du mystérieux mot « sphinx » : « Le substantif masculin sphinx est un emprunt, par l'intermédiaire du latin sphinx, au grec ancien Σφίγξ / Sphígx, dont l'étymologie n'est pas assurée. Le mot grec est féminin, ce qui explique les transcriptions anciennes « Sphinge » ou « Sphynge ». Si l'usage français a retenu le masculin pour le mot commun, la désignation de nombreuses statues étrusques utilise la forme féminine. Les Grecs connaissaient également le Sphinx égyptien, mâle, nommé νδροσφιγξ / ándrosphigx.

Monstre féminin, à qui l'on attribuait la figure d'une femme, la poitrine, les pattes et la queue d'un lion, mais qui était pourvu d'ailes, comme un oiseau de proie », le sphinx est, selon Pierre Grimal, « surtout attaché à la légende d'Œdipe et au cycle thébain », d'où sa présence déjà dans la Théogonie d'Hésiode.

Plusieurs origines sont proposées. Pour Hésiode, Sphinx est issue de l'union incestueuse d'Échidna et de son fils Orthos, le chien bicéphale de Géryon ; elle est ainsi à la fois la demi-sœur et la nièce de Cerbère, de l'Hydre de Lerne, de la Chimère et du lion de Némée. On disait aussi que le monstre Typhon était son père. Plus curieuse est la tradition qui faisait du Sphinx une fille naturelle de Laïos le roi de Thèbes, ou encore du Béotien Ucalégon. Le Sphinx fut envoyé par Héra contre Thèbes pour punir la cité du crime de Laïos, qui avait aimé le fils de PélopsChrysippos d'un amour coupable ».