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19/09/2016

"Le français en cage" (Jacques Laurent) : critique I

Cet été, en traversant le marché de Deauville, et en fouillant dans l’étal d’un bouquiniste, j’ai découvert un livre de Jacques Laurent, dont le titre m’a attiré immédiatement : « Le français en cage » (Grasset et Fasquelle, 1988). La quatrième de couverture parlait d’un coup de gueule, en réaction aux « interdits » prétendument insupportables que certains profèreraient quant au « bien parler », je n’ose dire « au bien écrire ». 

Encore une fois le hasard (littéraire) faisait bien les choses ! Quoi de plus à propos en effet que cette découverte, au moment où je terminais l’analyse du brûlot de Jean Dutourd, « À la recherche du français perdu » ? (voir les billets précédents, en août 2016). 

Dans ce livre d’humeur de Jacques Laurent nous avons affaire à du « lourd » comme disent certains ; Jacques Laurent qui était aussi Académicien était tout aussi déterminé à obtenir une liberté de langage que notre Jean à pourfendre les écarts au français établi.

Le livre commence par une question de Vaugelas : « S’il faut dire il y en eut cent tués ou il y en eut cent de tués (NDLR : en effet, c’est une question que je me suis toujours posée). Nous avons de bons auteurs qui disent l’un et l’autre (…). Aujourd’hui le sentiment le plus commun de nos écrivains est qu’il faut toujours mettre le de, car en parlant jamais on ne l’omet (NDLR : pour moi, ce n’est pas une raison…), et par conséquent c’est l’usage qu’on est obligé de suivre (…). C’est la beauté des langues que ces façons de parler, qui semblent être sans raison pourvu que l’usage les autorise. La bizarrerie n’est bonne nulle part que là ». Inutile de vous dire, chers lecteurs, que dès l’exorde, j’étais braqué… 

Dans le premier chapitre, prétexte à évoquer des souvenirs d’élève au lycée Condorcet, notre Académicien frappe fort, à propos de l’expression « il consent que », que son professeur biffe d’un trait rouge et remplace par « il consent à ce que ». L’ennui, c’est que le même lui fit apprendre par cœur une tirade de Molière où figure ce vers « Je consens qu’une femme ait des clartés de tout ». La construction était devenue incorrecte d’après le professeur mais perdurait dans le langage courant. Idem pour la construction « balancée » : soit… soit ou bien ou… ou, alors que les Classiques écrivaient par exemple : Soit qu’il parle ou qu’il écrive

Dès la page 14, Jacques Laurent affiche la couleur, une couleur qui apparemment n’a guère troublé Jean Dutourd dix ans après : « Elles me donnèrent seulement à méditer un peu sur la tyrannie que beaucoup d’amateurs de français pratiquent à l’aveugle comme s’ils obéissaient à un devoir sacré, celui d’interdire ». 

Comme moi avec « Dire, ne pas dire » de l’Académie ou avec le « Manuel pratique de l’art d’écrire » de M. Courault (Hachette, 1956), Jacques Laurent lit en 1957 la « Dissertation littéraire générale » de MM. Chassang et Senninger et y trouve les « interdits » suivants : « On ne dit pas : (…) il s’en rappelle, se baser sur, malgré que… Mais on dit : (…) il se le rappelle, se fonder sur, bien que, quoique suivi du subjonctif » (NDLR : je retrouve ici les dadas de mes professeurs de français du collège et du lycée). Mais il en tire une conclusion opposée à la mienne : « Choisir arbitrairement sept fautes quand on veut régenter une langue aussi périlleuse que la nôtre, c’est d’abord sommaire. Il m’intéressait aussi de noter que sur les sept (fautes), cinq n’en étaient pas, et je ne l’avais démontré que trop aisément (…) ». Las ! En fait de démonstration, Jacques Laurent aligne des arguments spécieux. Par exemple, pour défendre « malgré que », il note « qu’il était du meilleur français à condition d’être employé avec le subjonctif du verbe avoir et dans une circonstance précise : malgré qu’il en ait ». Et alors ? Il ne répond pas à la question ! De même, pour défendre « s’en rappeler », il écrit qu’il est « inattaquable dans cette phrase : De cette demeure, il ne se souvenait que confusément mais il finit par s’en rappeler quelques détails, le bleu des volets, l’inclinaison du toit et le son du heurtoir ». C’est de la malhonnêteté intellectuelle que de vouloir infirmer une loi générale par le seul fait qu’une exception existe ! 

Et il pense conclure en disant que l’emploi de ces mots « est délicat et parfois contestable mais leur mise hors la loi est d’une brutalité incompatible avec le sens du subtil qui entre pour une si grande part dans l’heureuse pratique d’une langue ». Puis il passe à autre chose, en l’occurrence ses réponses à des remarques de lecteurs, pour justifier son envie d’écrire un livre sur le sujet. 

À suivre…

17/09/2016

Devinette XV : l'avenue

Dans mon billet du 12 septembre 2016, je citais cette phrase : « je m’baladais sur l’avenue, le cœur ouvert à l’inconnu »…

De quelle chanson est-elle extraite ? (un point).

Quelle en est la phrase suivante ? (deux points).

Trois points à gagner au total.

07:30 Publié dans Blog, Chanson | Lien permanent | Commentaires (2)

15/09/2016

Ma langue des Hautes-Vosges : ébauche de lexique counehet-français

Je ne suis pas bilingue, contrairement à pas mal de gens qui vivent en France ; ni français-allemand, ni français-anglais, ni rien d’autre… Longtemps j’ai d’ailleurs pensé que les polyglottes étaient « moyens en tout » et que, pour posséder à fond une langue, il fallait n’en connaître qu’une, chaque langue étant à elle toute seule, immensément riche (songeons à Proust, à Hugo…). C’est probablement faux ; il y a aujourd’hui consensus pour dire que le plurilinguisme est une richesse (c’est l’un des credo de la francophonie) ; d’ailleurs Giono ne traduisait-il pas de l’italien et Dutourd de l’anglais ? 

Mais quand j’étais enfant, j’utilisais comme mes parents des bribes d’une langue bizarre, ce n’est même pas un dialecte, à peine un patois, celui des Hautes Vosges. Et encore, même pas celui du bourg d’à-côté ! Car j’ai depuis consulté une sorte de manuel de la langue de La Bresse et n’y ai rien retrouvé de ce que je connaissais. J’ai lu par ailleurs suffisamment sur l’histoire de la Lorraine pour comprendre que notre « langue » était romane et pas du tout germanique (bien que traditionnellement nous étudiions tous l’allemand comme langue étrangère, avec moins de succès bien sûr que nos voisins alsaciens et même que nos cousins messins) ; l’ancienne Lotharingie avait en effet été partagée, au terme de longs épisodes guerriers ou non, en deux parties, la partie méridionale donnant la Lorraine actuelle.

Hautes Vosges (2).jpg

De temps à autre me reviennent naturellement des mots de tous les jours qui n’ont pas pour moi d’équivalent en français, un peu comme chez les Ch’tis mais ce "bilinguisme" est de moindre ampleur. 

En voici quelques-uns, écrits en « phonétique intuitive »[1] : 

vosgien

français

arquer

Avoir du mal à marcher, marcher en traînant la patte

« I peut pu arquer après son match de foot »

(à) blanquétock

Rasé, tondu, à ras

(par exemple, un arbre élagué au ras du tronc)

boitcher

Somnoler, dormir d’un œil, surtout de façon intempestive (alors que l’on est censé faire autre chose, ne serait-ce qu’écouter son interlocuteur)

bouriauder

Bousculer

bosey

Excréments (crottin de cheval…)

châbler

Tacler

« descendre » un joueur au football en jouant tout sauf le ballon ; jouer de façon très « virile », voire volontairement agressive

chapoter

(pour un enfant) Jouer avec de l’eau, barboter

chiquette

Petit morceau

« chiquette de pain ou de papier »

coiyotte

Assis sur les talons

(« à coiyotte » : position typique dans les lieux d’aisance à la turque…)

empôté

Maladroit, malhabile, gauche

fameux

Dans l’expression « c’est fameux », synonyme de « très bon », « excellent »…

foinger

Se dit d’un feu qui brûle fort et crépite (comme par exemple des feuilles sèches)

galichtré

Fiancé

gossé

« je suis gossé » = je suis rassasié, gavé (satt en allemand)

guédette

Chèvre

mâchurer

Salir, « cochonner »

marmosé

Sali, embarbouillé

moina(ts)

Moineaux

noi-ha

Noir

pinéguette

Jeune fille délurée mais pas forcément aguicheuse (Lolita)

pelchoter

fignoler, maniaquer

racate

Se dit que quelqu’un qui est radin, avare, près de ses sous

rudement

Très

« Elle est rudement belle »

s’effrâler

S’effondrer, pencher dangereusement, être de guinguois

schpôrier

Jardiner, bricoler dans le jardin

taugna

Se dit que quelqu’un qui est bébête, benêt, emprunté…

tout-et-yomme

Plat formé de divers aliments mélangés et malaxés (ex. avec des fraises et de la crème) (un peu le « fourre-z-y-tout » le la série télévisée « Fais pas ci, fais pas ça »)

trisser

Gicler

Comme de l’eau qui gicle, en un mince filet, d’un robinet ou d’un tuyau 

Pour moi, ils n’ont pas d’équivalent en français ; c’est un monde, le monde de mon enfance. 

[1] Je suis bien incapable de les écrire autrement…