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12/09/2016

Irritations linguistiques XXXII : rafraîchissements

La confusion aurait enchanté Jean Dutourd ou plutôt l’aurait accablé… Je viens de lire dans un article de lexpress.fr daté du 27 août 2016, la phrase suivante : « On y trouve aussi des informations qui peuvent atteindre a l’intégrité et à la sécurité de plusieurs individus ». Bien sûr il manque un accent (grave) sur le « a » car c’est ici une préposition. Mais surtout il y a erreur sur le verbe ! Au lieu de « atteindre », il aurait fallu écrire « attenter », à savoir : « qui peuvent attenter à l’intégrité… », dans le sens de « porter atteinte ». 

À part ça ma pêche quotidienne aux fautes de français, au ridicule des snobs et aux innovations grotesques des publicitaires m’a ramené un gros poisson du site business.lesechos.fr. Dans l’article « Hermès : une campagne de néologismes rafraîchissants », Nathalie Gonzalez, directrice du marketing et de la communication chez Nespresso (réclame gratuite) se pâme devant ce qu’elle considère comme la meilleure campagne 2015-2016…

Commençons par l’accroche de l’article : « Le best-of du marketing : Hermès renouvelle le genre du brand content à travers une campagne basée sur les jeux de mots. Un joli clin d’œil à l’art français du jeu de mots ». Diantre ! Serions-nous revenus à l’époque de « Ridicule » ?

Inutile de prêcher ici pour « mercatique » qui avait été proposé pour remplacer marketing, il n’a jamais éveillé l’intérêt de ces drogués du franglais que sont les gens… de la mercatique. Inutile de rappeler que best-of est parfaitement traduit en français par « palmarès » ou par « florilège » (qui est encore plus joli). Inutile de se souvenir de nos professeurs de français du collège qui proscrivaient l’usage de « basé sur », au profit de « fondé sur ». Disons simplement que la pêche est bonne qui a ramené brand content dans ses filets ! La Rédaction du site l’a tout de même écrit en italiques… Ouf !

Hermèssistible.jpg

Et continuons la lecture. Que nous dit l’excellente Nathalie (dont le prénom aurait été écrit Natalie par Jean Dutourd) ?

« J’ai été charmée par la campagne digitale d’Hermès, Hermèssible (…). Hermès a su ainsi revisiter l’art du dictionnaire en inventant des néologismes rafraîchissants, comme Wifidèle pour la recherche obsessionnelle de la connexion permanente, que j’affectionne particulièrement. Ces vidéos où apparaissent les objets Hermès sont une manière subtile de faire naître des émotions, de faire du brand content, sur l’ensemble des supports digitaux, tout en respectant l’esprit de la marque » (les italiques sont de moi dans cette citation).

J’ai gardé le meilleur pour la fin : la vidéo en question, lisible dans l’article, est entièrement… en anglais ! Art français du jeu de mots, avez-vous dit ? Honte à ces baratineurs !

Ce matin-là, le 1er septembre 2016, « je m’baladais sur l’avenue, le cœur ouvert à l’inconnu » et devant le Carrefour du coin, je vois cette pancarte : « Vous accèdez dans notre espace livraison ». Consternation ! Non seulement ces gens conjuguent « accéder » comme « céder » mais ils ignorent l’emploi correct des prépositions : on peut entrer dans un espace mais on accède à un espace (et non pas dans un espace). Comment s’étonner de ce laisser-aller de la part d’un distributeur qui considère qu’appeler ses magasins petits ou grands avec des vocables anglais représente une révolution stratégique ?

Le lendemain matin, j’aperçois une pub Alcatel sur un abribus pour un téléphone mobile, vendu avec « un casque de réalité virtuelle » en sus (sic !) et titré : « BOOM ME UP » avec un astérisque conformément à la législation française contre le franglais. Et, à votre avis, qu’est-ce qui figurait en petits caractères et en bas de page ? « booste-moi ». Consternant (et inquiétant). Cours astérisque, cours... !

Lu le même jour dans leparisien.fr à propos d’un enfant perdu à la sortie de l’école : « Comment un enfant de deux ans et demi peut-il ainsi déjouer sa maîtresse, son assistante, le gardien et le plan Vigipirate ? ». Je savais que l’on pouvait éventuellement déjouer la vigilance de quelqu’un mais de là à « déjouer autant de monde », non ! Encore une nouveauté…

10/09/2016

Devinette XIV : coule !

Dans le second volet de ma critique du livre de Jean Dutourd « À la recherche du français perdu », j’ai cité sa proposition de franciser les vocables étrangers…

Quelle est donc la graphie originelle des mots suivants qu’il a francisés lui-même : louque, coule, chope, crache, couic, foude ?

09/09/2016

"À la recherche du français perdu" (Jean Dutourd) : critique II

Mais au total j’adore Jean Dutourd quand il pourfend notre servilité vis-à-vis de l’anglais et du style de vie américain, en digne héritier de René Étiemble. Voici par exemple des extraits de sa chronique « La colonie » (page 81) : « La musique de certains films ou téléfilms français consiste en une ritournelle chantée en américain (…). Je me demande depuis longtemps à quoi cela correspond dans l’esprit des fabricants de ces sortes de production ». Moi aussi.

« On voit fréquemment dans la rue des individus vêtus de blousons sur lesquels est brodé, comme un motif ornemental, le drapeau des États-Unis. Quelle raison pousse des citoyens français, qui se feraient tuer plutôt que d’arborer nos trois couleurs, à se parer ainsi d’un pavillon étranger ? ». Les lecteurs de ce blogue se rappellent peut-être mon billet à propos de la prof de gym dont les fesses étaient affublées d’un voyant « Just do it ». Même combat !

Et Jean Dutourd de conclure « Qu’on ne vienne plus raconter que le peuple français est colonialiste. Il l’a été jadis mais c’est bien fini. De nos jours, il n’aspire plus qu’à être colonisé ; et il le prouve aussi bien par son langage que par son accoutrement ».

Et encore, à propos de best of (page 91) : « Pourquoi diable écrire best of, alors qu’il y a une dizaine de mots français qui signifient la même chose : morceaux choisis, sélection, les meilleurs passages ou les bons moments, florilège, anthologie, etc. ? Par mode, bien sûr. Parce que rien n’est chic, lancé, dans le vent, comme de remplacer le français par le sabir atlantique (…). Préférer le sabir au français est la forme actuelle de la trahison. La guerre, aujourd’hui, n’est plus sur les champs de bataille, elle est dans la défense de l’âme nationale. Or l’expression de celle-ci est essentiellement le langage. Baragouiner l’américain ou ce qu’on prend pour tel, c’est quasiment capituler en rase campagne, déserter, passer à l’ennemi. C’est aspirer à la condition de colonisé ». 

J’ai retrouvé dans son livre nombre de mes intuitions et de mes irritations linguistiques. Par exemple celle-ci, à propos du verbe « anticiper » (page 87) : « Un anglicisme insidieux est en train de se glisser dans la langue : anticiper, dans le sens de prévoir (…). À présent on lit ou on entend partout que le Premier ministre a anticipé la crise, pour dire qu’il l’a prévue. Charabia complet ». Cet autre : « En français, mon futur n’a qu’un sens : mon fiancé, ou mon promis (…). Puis les séries télévisées américaines sont venues, ainsi que leurs traducteurs, et mon futur est en train de prendre peu à peu le sens de mon avenir » (page 126). « Avenir » évoque des choses précises (pour un individu), alors que le futur est vague et global (pour la société ou pour l’humanité). Or « avenir » se dit, en anglais, future… Quelqu’un que je reprenais sur ce mot s’est étonné : « on dit bien le passé, pourquoi ne dirait-on pas le futur ? ». Vu comme cela, évidemment… 

Et aussi une même façon de considérer les dictionnaires (des éponges) et leurs comités éditoriaux (des lexicographes soucieux avant tout de coller à l’actualité et de faire moderne). 

Et aussi la même irritation linguistique devant les enseignes en franglais : « Hier j’ai lu sur un autocar bleu ces mots sibyllins : Paris Vision Plus. Je suppose que cela signifie tout bêtement : Pour mieux voir Paris. Le marchand de promenades a dû penser dans son insondable sagesse commerciale que le charabia était plus alléchant pour le touriste que le français courant » (page 142). Mes lecteurs se rappellent sans doute le « Picardie Loisirs » de l’un de mes premiers billets. Et aujourd’hui plus une seule publicité à la télévision qui ne contienne sa ration de mots anglais, quand elles ne sont pas entièrement en anglais. 

Et aussi cette idée amusante (pages 212 et 215) de proposer à ses lecteurs de traduire « en français » des textes qu’il a imaginés en « charabia ». On y trouve un florilège de tous les travers actuels (le franglais, « amener » au lieu d’apporter, le langage de prestige, etc.), ceux qu’il dénonce dans son livre. J’avais fait un peu la même chose dans l’un de mes premiers billets (j’avoue que je ne sais plus très bien quand…) mais à l’envers : je proposais de traduire en charabia (parfois appelé « français d’aujourd’hui ») un extrait de « Colline » de Jean Giono.

Et aussi cette autre idée amusante (que je n’ai pas eue) : « M. le ministre de la Culture, à mon avis, devrait créer une Commission de francisation des vocables étrangers. Ceux-ci seraient ainsi naturalisés et l’on verrait par écrit : louque, coule, chope, crache, couic, foude, etc. Du coup, ces jolis mots perdraient toute leur magie exotique » (page 184).

Et aussi la même ironie face à cette rage de féminiser le langage. Il en tire une chronique amusante (page 210) à propos des mots « laideron », « tendron » (une très jeune fille, par rapport à un homme plus âgé qu’elle), « dragon » (« Une honnête femme, qui repousse avec horreur l’idée d’adultère, et jusqu’au flirt, a été de tout temps un dragon de vertu ». Le Larousse de 1922 dit : « personne rigide et intraitable : dragon de vertu ». Moi, je connaissais seulement « parangon de vertu ») et « trottin » (« de jeunes apprenties modistes dont la mission était de faire des courses en ville, et qui faisaient rêver les vieux marcheurs »), grammaticalement masculins mais qu’il propose de féminiser dans la mesure où ils s’appliquent (s’appliquaient) aux femmes : laideronne, tendronne, dragonne et trottine…

Voilà… j’aurai parlé longuement de ce livre de Jean Dutourd, d’autant que je lui avais déjà consacré deux billets : celui du 12 octobre 2014 « On peut pas être à la fois Jean Dutourd et Jean Moulin » et celui du 16 octobre 2014 « À la recherche du français perdu ». Pour conclure, il vaut surtout par son coup de gueule, son appel à la résistance et au bon sens, et par son érudition, plus que par ses recommandations, qui sont sans doute trop conservatrices et trop à contre-courant.