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20/02/2016

Accent circonflexe, accent régional, tout fout le camp (addendum)

Sur le sujet de la "rectification de l'orthographe" et de la nouvelle lubie de Mme Belkacem, je viens de lire un point de vue intéressant de Dominique Jamet dans le site "Boulevard Voltaire".

Contrairement à la critique très répandue de la "réglementation de la langue" confiée à l'Académie française par Richelieu au XVIIème siècle, qui s'opposerait à son évolution "naturelle et harmonieuse", D. Jamet rend hommage aux lexicographes comme Furetière, Larousse et Littré  qui "ont tenu le grand livre du vocabulaire, du bon usage, de ses enrichissements, de ses apports, de ses évolutions" et aux érudits et écrivains comme Malherbe, Voltaire, Anatole France, Giraudoux et Valéry, qui "ont gardé sa limpidité, sa transparence, son élégance" à notre langue.

Montesquieu.jpgLe résultat remarquable en est que nous lisons encore facilement Molière, Corneille, Racine, Montesquieu, Rousseau, Chateaubriand, Hugo, Zola, Romains, Alain et Camus, alors que les auteurs antérieurs à cette vigilance et à cette régulation, Chrétien de Troyes, Villon, Rabelais, Montaigne, nous sont devenus partiellement étrangers.

D. Jamet écrit : "C'est grâce à eux que le français a échappé au misérable destin qu'ont connu le latin ou le grec. Ceux qui ont eu la chance et le bonheur d'apprendre et de pratiquer ces langues mortes sont à même de mesurer la différence de qualité, de pureté, d'harmonie, de correction, entre Cicéron, César, Salluste, Virgile et Saint Augustin, Sidoine Apollinaire ou Fortunat (NDLR : pour le latin), entre Platon, Aristote, Thucydide, Démosthène et Lucien de Samosate ou Clément d'Alexandrie (NDLR : pour le grec)".

Il en déduit que cette "réforme" est nuisible et qu'il faut au contraire préserver le français : "La défense et l'illustration de notre langue, de sa qualité, de sa correction, de sa pérennité, sont ou devraient être l'affaire et le combat de tous".

Et il conclut : "Technocrates, bureaucrates, médiacrates, hommes politiques, journalistes, présentateurs de radio ou de télévision, enseignants même, ont en commun de maltraiter, de malmener, de massacrer le merveilleux outil que leur ont légué nos ancêtres. Gardiens du trésor, ils le dilapident. Une réforme s'impose. Ce n'est pas exactement celle que prône Mme Najat Vallaud-Belkacem".

Léopold Senghor lui aussi parlait de "trésor"...

Et ce blogue, depuis bientôt deux ans, ne dit pas autre chose. Mais la question est de savoir si cette "rectification" abîme la langue ; mis à part la suppression occasionnelle de l'accent circonflexe, je ne le crois pas ; elle n'empêchera aucunement nos arrière-petits-enfants de nous lire dans cinquante ans !

En revanche, il me semble clair que la diversion opérée par le Ministre est purement opportuniste et sans intérêt ; elle devrait avoir bien d'autres combats à mener (comme l'alphabétisation).

18/02/2016

Accent circonflexe, accent régional, tout fout le camp

Voici ce que révèlait Marie-Estelle Pech le 14 février 2016, dans le Figaro Premium :

De Toulouse à Strasbourg, les jeunes générations ont de plus en plus tendance à s'exprimer dans un français « standardisé » imposé par Paris et ses élites.

Si le nombre de Français pratiquant les langues régionales ne cesse de diminuer, les accents régionaux, restes de ces mêmes langues, tendent aussi à s'estomper. « Nous sommes dans une phase d'homogénéisation des prononciations, surtout chez les plus jeunes même si on peut assister à des sursauts d'affirmation identitaire, à Marseille, par exemple », explique Philippe Boula de Mareüil, linguiste et directeur de recherche au CNRS.

Dans la plupart des façons de parler le français, le « r » roulé s'est ainsi presque perdu. « On l'entend encore un peu en Bresse bourguignonne ou dans l'Ariège, uniquement chez les locuteurs les plus âgés », poursuit le linguiste.

Donc l’accent régional tend à disparaître…

La récente lubie du Ministère de l’Éducation nationale, qui veut peut-être détourner l’attention de son invraisemblable réforme du collège en ressuscitant la fameuse « rectification de l’orthographe » de Michel Rocard, vingt-six ans après, constituerait, elle, un mauvais coup porté à l’accent circonflexe.

Michel Rocard.jpgRevenons rapidement sur cette simplification, à laquelle j’avais consacré de nombreux billets dans ce blogue en septembre 2014. Elle a été portée, à la demande du Premier Ministre de l’époque, par une Commission ad’hoc, dont faisaient partie entre autres Maurice Druon secrétaire perpétuel (mais disparu depuis) de l’Académie et Bernard Pivot (aujourd’hui président de l’Académie Goncourt). Elle n’est donc pas l’œuvre de l’Académie française, comme certains voudraient le faire croire, maintenant que la polémique enfle. Au contraire, l’Académie, stupéfaite des concessions faites par son Secrétaire perpétuel, l’a acceptée du bout des lèvres, à la condition que son adoption en soit « facultative » ; autant dire qu’en ce pays où il est si difficile de faire respecter le Code de la Route (obligatoire), c’était saboter la réforme. Et c’est bien ce qui arriva, ce fut un flop.

Certains ricanaient que l’on veuille leur faire écrire « ognon » et « nénufar » et tous ignorèrent superbement les recommandations (remarque : le correcteur de Word accepte ces deux graphies ; il a donc vingt-six ans d’avance sur Mme Belkacem…).

Personnellement, je partageais déjà l’opinion récente de Bernard Pivot (qui cherche à se débarrasser de ce sparadrap), selon laquelle de nombreuses simplifications étaient acceptables, voire souhaitables, mais qu’il ne fallait pas toucher à l’accent circonflexe ni à tout ce qui heurtait notre attachement à la graphie de la plupart des mots.

Dans un sens (simplifier), l’argument était que de nombreuses « complications » de notre orthographe actuelle n’étaient que le fruit (artificiel) de la manie du XIXème siècle de remplacer la graphie phonétique par une graphie étymologique (liée à l’origine grecque des mots). Dans l’autre sens (conserver), l’argument le plus pragmatique était que pour simplifier, on introduisait de nombreuses exceptions et que donc, in fine, on re-compliquait !

Hélène Carère d'Encausse.jpgAu nom de l’Académie, Hélène Carrère d’Encausse, nouveau secrétaire perpétuel, tient un autre raisonnement ; sans entrer dans les détails, elle rejette d’un bloc cette initiative au motif qu’en vingt-six ans, la situation de l’enseignement (en l’occurrence l’enseignement du français) s’est notablement dégradée et qu’aujourd’hui, l’urgence n’est plus à simplifier – ce serait de la cosmétique comme disent les Anglo-Saxons – mais à revenir aux fondamentaux : enseigner aux enfants à lire, à parler et à écrire le français tel qu’il est.

Quant à moi, je reste sur ma position de septembre 2014 : la « rectification » (puisque c’était son nom officiel) était fondée, modérée, argumentée, limitée, et améliorait la cohérence globale de l’orthographe en supprimant des aberrations et en utilisant habilement des régularités existantes. Donc, au prix d’un renoncement à l’accent circonflexe dans « il apparaît », on pouvait l’accepter et jouer le jeu.

Au bout du compte, qu’est-ce donc que cette tentative qui vient du fond des âges ?

On peut imaginer une tentative de « coup politique » pour distraire l’attention des sujets de fond dans lesquels le gouvernement s’est empêtré, en agitant ce chiffon rouge qu’est toujours en France l’atteinte à la langue…

Mais c’est peut-être tout simplement un coup de pouce aux éditeurs en manque de chiffre d’affaires : pouvoir rééditer tous les manuels aux frais de la Princesse (puisque le Ministère paye les livres du Primaire), c’est toujours ça de pris (ou de prix ?).

L’ennui, c’est que l’État – c’est-à-dire nous – est impécunieux.

15/02/2016

La Francophonie, c'est pas ce que vous croyez (IV)

Sixième idée fausse : la Francophonie, c’est une histoire de langue française, une obsession de linguistes, de passéistes ou de pinailleurs.

Mais non !

La Francophonie s’est dotée d’un Cadre stratégique pour la période 2015-2022. S’il est vrai que sa première mission est la promotion de la langue française, ainsi que la diversité culturelle et linguistique,

  • sa deuxième mission est la promotion de la paix, de la démocratie et des droits humains ;
  • la troisième, la promotion de l’éducation, de la formation supérieure et de la recherche ;
  • et sa quatrième, l’innovation et la créativité au service de l’économie dans une perspective de développement durable.

Au total, la Francophonie se pose, sans le dire (et sans disposer malheureusement de tous les moyens de sa politique), en véritable contrepoids de la mondialisation sans foi ni loi, en alternative à la concurrence sauvage et faussée, en « troisième voie » droits-de-l’hommiste respectant la diversité et visant la durabilité.

Septième point totalement méconnu : les Français de France s’enorgueillissent, à juste titre, de leur langue magnifique, de leur littérature universelle et de leur Académie si cultivée. Mais se rendent-ils compte, eux qui se débattent avec leur difficulté à apprendre l’anglais correctement, que TOUS les autres francophones de la planète sont au moins bilingues ?

Luxembourg.jpg

 

On connaît bien le cas du Québec, qui défend le français bec et ongles mais qui sait s’exprimer en anglais par la force des choses… Mais on ne réalise pas qu’au Luxembourg, les habitants parlent trois langues, qu’ils apprennent l’une après l’autre à l’école, au collège et au lycée. Au Maghreb et au Moyen-Orient, les francophones parlent pareillement l’arabe (il y a quelques mois, France 2 a diffusé un beau reportage sur l’Algérie et son « front de mer » ; il fallait entendre la qualité du français parlé par ces jeunes, par ailleurs arabophones !).

 

En Afrique sub-saharienne (que l’on appelait autrefois « l’Afrique noire »), le français, même langue officielle (comme dans 29 pays de la planète), cohabite avec nombre de langues africaines ou locales ; par exemple, au Sénégal, un francophone peut parler non seulement le wolof mais aussi une langue ethnique comme le sérère ou le diola !Sénégal.jpg

En un mot, tous sont bilingues, sauf les Français et les Monégasques !

Il est clair que pour tous ces francophones, la « correction », voire la « qualité » ou la « pureté » de la langue française, ne sont pas une obsession ni même la priorité comme elles peuvent l’être pour les Français de France. D’une part parce que le « frottement » avec une autre langue – lexique et syntaxe – influe subrepticement sur le français qu’ils parlent. Et d’autre part parce que tout polyglotte relativise obligatoirement l’importance de se conformer à un « modèle de langue correcte », surtout si ce « modèle » est celui porté à bout de bras par l’Académie lointaine d’un pays démographiquement minoritaire.

Que cela ne nous décourage pas néanmoins de porter haut et fort les couleurs d’un français précis, élégant, subtil, riche de son passé et ouvert au meilleur de la modernité ! C’est, très modestement, l’ambition de ce blogue.

(à suivre)