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21/01/2016

Priorité à l'instruction

Dans le Marianne du 27 novembre 2015, la philosophe Catherine Kintzler, auteur de « Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen », écrivait :

« La finalité de l’école n’est pas de former des individus adaptés à un état de la société ni de répondre à des demandes sociopolitiques qui la renvoient à son extérieur, mais de donner à chacun les moyens de son autonomie et de la culture de ses talents.

On abandonnera les critères comportementaux ou adaptatifs (« compétences » et « projets »).

… priorité sera donnée à l’instruction par des programmes nationaux disciplinaires.

On s’interrogera à cet effet sur ce qui est libérateur à long terme et sur la progressivité de l’acquisition.

On recrutera (les enseignants) sur concours nationaux appréciant le degré de maîtrise des savoirs qu’ils enseignent… ». 

Les lecteurs de ce blogue auront retrouvé là les mêmes demandes et recommandations que prodiguent Natacha Polony, Alain Finkielkraut, Alain Bentolila et d’autres, dans leur critique de la regrettable « réforme du collège » de Mme Belkacem.

Condorcet.jpgLes maîtres-mots sont « savoir » et « disciplines » qui doivent remplacer les « compétences » et « projets » des pédagogistes, « maîtrise de ces savoirs » par les enseignants qui doivent les enseigner (allusion directe à la baisse de niveau du recrutement, vingt ans après la baisse du niveau tout court), « autonomie » et « national » (programmes nationaux, concours nationaux) et enfin « instruction (nationale) » et non plus « éducation (nationale) ».

Il s’agit bien d’instruire des enfants qui ne savent pas, et non de les distraire, de les occuper ou de les éduquer.

18/01/2016

Marcel, Antoine et moi (à propos de "Du côté de chez Swann")

Il y a de nombreuses années, quand je travaillais dans la R&D (Recherche et Développement) industrielle, j'ai eu un excellent stagiaire de DEA (le Master 2 actuel), qui utilisait couramment une expression qui m'énervait au plus haut point. Pour parler d'un composant électronique de marque X ou Y (ne faisons pas de publicité rétrospective), il disait : "le composant de chez X" ou "le composant de chez Y". C'était cette juxtaposition de "de" et de "chez" qui me semblait incorrecte, tout cela pour dire que le composant en question provenait du fabricant X ou du fabricant Y… Dans mon esprit, le français comporte assez de bizarreries et d'exceptions aux règles qu'il ne fallait surtout pas en ajouter. J'ai gardé cette irritation pour moi à l'époque, me disant que ces foutus scientifiques ne faisaient décidément aucun effort pour parler correctement (et ne parlons pas d'expression écrite…). Par ailleurs, il est vrai que je n'avais pas sous la main d'expression correcte qui aurait pu faire l'affaire...

Les années ont passé...

J'ai découvert Antoine Compagnon, dont j'ai déjà parlé dans ce blogue. Professeur de littérature moderne au Collège de France, il est spécialiste de Proust et a publié "À la Recherche du temps perdu" dans la collection Folio. Il a aussi animé sur France Inter, il y a deux ans, une série de chroniques : "Un été avec Proust".

Et là, ça devient drôle !

Dans son cours au Collège de France en 2013, pour le centenaire de la publication de la Recherche, il souligne l'instabilité de ce texte que nous considérons comme un monument de la littérature française, dont chaque phrase serait "intouchable". Or Proust a modifié jusqu'au dernier moment son roman : la première partie, centrée sur le personnage de Swann, n'a été publiée qu'au bout de cinq épreuves (les fameux "placards" envoyés par l'imprimeur et que Proust raturait et corrigeait abondamment à chaque fois).

Trois éléments "instables" ont été particulièrement étudiés : le titre général de l'œuvre ("À la recherche du temps perdu"), le titre des parties principales et la fameuse première phrase ("Longtemps je me suis couché de bonne heure").

Swann.jpgEt A. Compagnon de consacrer une longue analyse au titre du premier volume publié : "Du côté de chez Swann". Il rapporte d'abord que cette expression a choqué les premiers relecteurs des épreuves, auxquels Proust demandait un avis, et a continué de choquer, dans la mesure où elle est plutôt rare et peut même sembler incorrecte. Proust lui-même a fini par douter et ne l'a défendue que mollement, prétextant seulement qu'il était trop fatigué pour trouver un autre titre !

Ainsi donc, la bizarrerie de cette expression a indisposé d'autres personnes que moi… J'ai repensé à mon agacement de l'époque...

A. Compagnon commence par noter l'asymétrie formelle entre deux titres de la Recherche : "Du côté de chez Swann" d'abord, puis "Le côté de Guermantes".

Ensuite il s'interroge sur le sens des différents articles et conjonctions présents dans le titre : "de chez", est-ce correct ? "du côté", que représente le "du" ? Il nous rappelle le titre de Maurice Barrès : "Du sang, de la volupté et de la mort", tout aussi ambigu.

"Du côté de" signifie "dans la direction de" ; et "chez" vient du latin "casa", la maison. Dans le langage parlé, on rencontre "du côté de chez nous", et c'est d'ailleurs dans des dialogues que quelques rares auteurs avant Proust (comme George Sand) l'ont employé. Jamais dans la langue écrite...

Il semble que le titre vienne d'un ami de Proust, Maurice Rostand, le fils d'Edmond, ou en tous cas, ait été encouragé par lui. Mais le mystère reste entier de savoir comment donc il est arrivé sous la plume de Marcel Proust.

Dernier élément : Antoine Compagnon, exposant devant ses auditeurs du Collège de France la problématique qu'il va traiter, s'exprime ainsi : "Ce titre "Du côté de chez Swann" est-il... "bien de chez nous" ?".

Amusant, non, comme quasi-lapsus ?

 

 

 

14/01/2016

Alain Mabanckou au Collège de France

Alain Mabanckou Collège de France.jpg

 

Alain Mabanckou, romancier francophone, essayiste et enseignant en Californie, né en République du Congo, prix Renaudot 2006, vient d'être nommé, à 49 ans, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de création artistique (les Arts incluant la littérature) pour l’année 2015-2016.

 

 

Cette chaire couvre un vaste domaine ; en voici les titulaires depuis 2005 :

Le nouveau cours, intitulé « De la littérature coloniale à la littérature négro-africaine », commencera fin mars 2016. En voici le programme :

http://www.college-de-france.fr/media/alain-mabanckou/UPL...

J’ai déjà parlé de M. Mabanckou dans ce blogue ; relire le billet du 20 mai 2015 : http://lebienecrire.hautetfort.com/archive/2015/05/21/bra...

A. Mabanckou, formé à Brazzaville et à Paris (DEA de droit des affaires !), n'en est pas moins sévère avec la France, avec ses élites littéraires et avec sa (supposée) condescendance envers les autres littératures francophones.

Il dit aussi "Si vous voulez comprendre Paul Claudel, il est intéressant de lire les poèmes de Léopold Sédar Senghor" et souligne l'apport de l'univers de la littérature africaine (qu'il appelle "littérature négro-africaine") dans le concert de la mondialisation.

N'est-ce pas une belle illustration de la francophonie : des convictions, des revendications, des rancunes sans doute mais tellement de points communs (dont la liberté d'expression) entre francophones d’origine très diverses ?

Qui bene amat bene castigat !