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02/09/2019

"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique II

« Des hommes qui lisent » est l’histoire d’Édouard Philippe avec les livres, avec l’encouragement à lire et avec les personnes liées aux livres qu’il a aimés, au premier rang desquels trône son père « le premier des Philippe à avoir obtenu son bac ». Comme tous les gens célèbres qui s’expriment, Édouard Philippe vénère son père, lui doit tout et l’écrit à longueur de pages ; c’est lui qui ouvre la première anecdote, c’est lui que l’auteur salue outre-tombe à la dernière et c’est à lui qu’est dédié le livre.

Cette première anecdote, soit dit en passant, donne le ton du récit : modestie, humilité et leur contraire « à tous les étages ». « Je ne savais pas lire en entrant au CP, et je n’avais aucune année d’avance » (page 9)… Oh le pauvre enfant ! Est-il condamné à la médiocrité et au banal ? Non ! Son père, professeur de français, « le convoque à sa table de travail » et le met au défi de lire la première page de l’Enfer de Dante. Excusez du peu ! Parfois la complaisance envers lui-même, voire l’autosatisfaction, dépassent la norme : « Je développais des théories que j’avais cru comprendre dans des livres ou que j’inventais avec un aplomb qui m’a sans aucun doute servi lorsque je suis devenu avocat et qu’il a fallu plaider » (page 14).

« Des hommes qui lisent » est l’occasion pour Édouard Philippe, peut-être mal à l’aise à l’oral et d’ailleurs empêché par sa fonction de « fendre l’armure » comme aiment à le dire les journalistes, de parler de lui, de son apprentissage du plaisir de lire et de son engagement, à la Mairie du Havre, dans une politique d’encouragement à la lecture (activité qui, on le sait, est menacée par l’omniprésence et l’attrait irrépressible des écrans numériques). Cet aspect du récit est intéressant et fort bien tourné.

Chaque semaine, son père l’emmenait à la bibliothèque municipale ; il y aurait emprunté « plus d’une centaine de livres » mais ne se souvient que d’un seul (une histoire de Sparte), qui « a provoqué l’étincelle ».

Dans sa bibliothèque personnelle se sont accumulés « tous les livres qu’il a achetés ou qu’on lui a offerts depuis le début de ses études (...) Il n’en manque quasiment aucun car jamais je ne les prête ni ne les jette. Tous ces livres, toutes ces heures passées à accumuler des connaissances, à découvrir des histoires et des époques et des milieux, à oublier tout le reste, à vibrer ou à m’indigner, à passer le temps parfois, à jubiler aussi, m’ont construit (…) Le vrai miroir d’un lecteur est sa bibliothèque (…) Une bibliothèque est comme le lieu de mémoire de notre existence (…) Elle nous offre le réconfort permanent de merveilleux souvenirs que l’on pourrait reproduire » (page 17). On pense, brièvement, à "Ma bibliothèque" de Cécile Ladjali.

Les pages sur l’importance de la lecture et sur son action politique au Havre sont intéressantes et convaincantes. « Rien ne remplacera jamais la lecture dans l’accumulation et la diffusion de savoir humain » (page 21).

Le deuxième chapitre est consacré à l’origine de sa famille et… de son prénom ; pourquoi Édouard ? L’histoire remonte à son arrière-grand-père, Louis Philippe, docker et cégétiste au Havre avant la guerre. Elle est bien racontée et l’on pense, brièvement, aux Mémoires de Marguerite Yourcenar. Là encore, c’est l’occasion pour notre auteur de la jouer peuple : « Sa carte d’adhérent de l’année 1939 au syndicat des dockers figure en bonne place sur mon bureau à la mairie du Havre. Elle surprend parfois » (page 27). Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un arrière-grand-père communiste…

Pour la beauté de la démonstration et de la lignée, il suppose que « les livres n’étaient pas absents de sa vie », vu que l’instruction était importante aux yeux des syndicats. Le fils de Louis s’appelait Charles (son grand-père) ; il travaillait sur le port la semaine et ramassait des balles de golf le dimanche ; c’est là qu’il est repéré par un négociant richissime et collectionneur de tableaux, Édouard Senn ; quand Charles contracte la tuberculose pendant la guerre, Édouard paye son hospitalisation dans un sanatorium et lui fait envoyer des caisses de livres, qu’il lit. Deuxième lecteur – authentifié, lui – dans la lignée. Guéri, il revient travailler dans l’entreprise d’Édouard Senn et finit par en prendre la direction. Ses deux fils jumeaux, dont le papa professeur de français, deviendront des lecteurs assidus et exigeants. On comprend que le premier petit-fils ne pourrait se prénommer que Édouard.

Mais la filiation n’aurait pas suffi pour cela ; il a fallu le nom d’un personnage des « Faux monnayeurs » d’André Gide (page 36). Voici ce qu’il en dit et qui donne envie de le lire : « Quel roman et quelle construction avec ses intrigues multiples, superposées, enchevêtrées et ses trois personnages principaux tour à tour narrateurs. Roman en miroir, fait pour dérouter le lecteur, et dont la trame se confond parfois avec celle du roman qu’écrit l’oncle Édouard. Roman politique aussi, même s’il parle de tout sauf de politique, parce que sa construction évoque immanquablement pour moi les entrelacs de conspirations, de stratégies partisanes, de coups à trois bandes et de fausses trappes » (page 36).

Au total on vérifie que tous les hommes célèbres ont eu une histoire familiale ou personnelle compliquée, dramatique ou passionnante ou les trois à la fois. Leur père est formidable, leur mère admirable, leurs grands-parents inimitables… Une fois que l’on a fait la part de l’emphase ou de l’exhibitionnisme, on se prend à penser que c’est pour cela qu’ils sont célèbres, et l’on se sent rasséréné !

À suivre...

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