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07/05/2017

"Bienvenue dans le pire des mondes ; le triomphe du soft totalitarisme" (Natacha Polony) : critique III

Dans « Bienvenue dans le pire des mondes », Natacha Polony dresse un tableau précis et sans concession de la société française du début du XXIème siècle , qui a vu le néolibéralisme théorisé par Milton Friedmann et l’École de Chicago devenir l’alpha et l’oméga des politiques économiques (en particulier dans l’Union européenne), les multinationales du numérique prendre le pouvoir sur les États, les pays en voie de développement « émerger » et devenir les usines du monde entier et le terrorisme islamiste réveiller des sociétés occidentales à la spiritualité quelque peu endormie. Et franchement les analyses contenues dans ce livre me semblent bien plus fondamentales et précises que celles auxquelles nous avons eu droit lors de la campagne présidentielle française qui s’achève… J’ai même l’impression qu’AUCUN des thèmes cruciaux qui y sont traités n’a été vraiment abordé lors des dizaines d’heures de débat que nous avons suivies.

Son deuxième chapitre, après l’École, est consacré à l’économie justement.

Il s’ouvre par le Comité Bilderberg réuni en juin 1991 par David Rockefeller à Baden-Baden (Allemagne). Je connais (de loin) David Rockefeller mais pas son Comité. Et vous ? Cet excellent représentant du capitalisme a déclaré plus tard (en 1999) à Newsweek : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l’identité adéquate pour le faire » (page 56). On ne saurait être plus clair. Les marchés, le capital sortaient d’une période (la crise de 1929, l’après-guerre, les Trente Glorieuses, la guerre froide…) au cours de laquelle ils avaient dû marcher à l’ombre des États. Comble de l’insupportable, les politiques économiques s’inspiraient des idées de l’horrible Keynes et du fordisme. L’heure de la revanche semblait avoir sonné. C’est l’excellent Richard Nixon qui va s’en charger en revenant sur la convertibilité du dollar en or. « Les changes flottants, c’est le début de la finance triomphante, une brèche dans le pouvoir régalien des États (…). Il faut en revenir aux règles du libre-échange absolu, à commencer par celle de l’efficience des marchés » (pages 58-59). Je m’arrête là car sinon je vais recopier ou paraphraser le chapitre entier, qui est instructif et glaçant, et se termine par la crainte que, à cause des attentats en série, même la prophétie de Michel Houellebecq dans « La carte et le territoire » (la France ne va plus pouvoir compter que sur le tourisme) ne pourra pas se réaliser.

Hélas, à ce stade, on n’a encore rien vu ! Le troisième chapitre s’intitule « La démocratie, nouvel habit de la tyrannie »…

Écrit au début de la campagne électorale qui s’achève aujourd’hui, le paragraphe sur l’impuissance volontaire des gouvernements successifs, sur leur ralliement aveugle au « catéchisme néolibéral », sur le rejet en bloc du « système » qui fonde la montée du Front national (sans considération de la fiabilité et de la crédibilité de ses propositions) est impressionnant de perspicacité. Oui, ça s’est passé comme annoncé ici, depuis les « primaires » jusqu’au débat de l’entre-deux-tours !

Apparaissent ici quelques premières propositions de réforme de la loi électorale : proportionnelle, prise en compte du vote blanc, référendum d’initiative populaire, temps de parole des candidats à l’élection présidentielle…

« Trente ans de propédeutique à la tolérance et au respect des différences n’ont pas du tout accouché d’une société apaisée. Tout au contraire, le meilleur des mondes globalisé, ultra tolérant et multiculturel a débouché sur un cauchemar éveillé ». C’est le début du chapitre « De l’art de dissoudre les peuples ». « Comme le néolibéralisme, l’idéologie multiculturelle est née outre-Atlantique » (pages 151 et 152). Synonymes : le communautarisme, le politiquement correct (NDLR : la construction de ce groupe nominal, à partir d’un adjectif précédé d’un adverbe, est par ailleurs bizarre en français…). Natacha Polony voit dans le « soft totalitarisme » (NDLR : cette syntaxe est également aberrante…) la conjonction du « politiquement correct » venu de l’extrême gauche américaine et du « néolibéralisme » cher à la droite. Elle explique bien la convergence de ces deux approches « libérales », l’une quant au sociétal et aux mœurs et l’autre quant à l’économie. C’est l’alliance du « laissez faire, laissez passer » et du « interdit d’interdire ». S’il le souhaite, chacun identifiera dans nos candidats actuels celui qui porte aujourd’hui en France cette convergence. Au détour de ces lignes, on aperçoit l’ombre des pontes de la french theory (Foucault, Deleuze, Althusser, Lévi-Strauss, Bourdieu, Lacan) dans les années 70. 

« Les revendications de ces différentes minorités occupent le centre de l’espace politico-médiatique et semblent structurer le débat public dans la vieille Europe. Au cœur de ce processus, on trouve une volonté, plus ou moins consciente, d’imiter la puissance américaine (…). Amplifiant ce mouvement spontané, les États-Unis consacrent, par ailleurs, d’importants budgets à de stratégies d’influence (exportations de divertissements, financement d’ONG, formation de dirigeants, etc.). Sur un Vieux Continent, qui par ailleurs organise la disparition de l’État-nation et dont les immigrants sont principalement musulmans, cette imitation du communautarisme va se révéler redoutable » (page 161).

Suit un paragraphe éclairant sur la construction européenne : « Des pères fondateurs, en passant par la prééminence d’une cour de justice et d’une banque européenne indépendante, l’existence d’un parlement censé représenter les États et un autre les peuples, jusqu’aux étoiles du drapeau, presque tout y est de la mécanique institutionnelle et juridique américaine » (page 162). Il n’y manque que le Président et le sentiment profond d’appartenir à une même nation. « Aversion pour la nation et crainte de la démocratie directe forment les deux piliers sur lesquels repose l’Europe » (page 164). Il faut lire ces pages sur la broyeuse de dépenses publiques et la surveillante sourcilleuse de l’application de son arsenal juridique qu’est devenue l’Union européenne !

« Délier le sentiment de la raison, favoriser une lettre sans esprit, des droits sans mœurs, une démocratie sans peuple, un État sans nation, cette part du soft totalitarisme est fille de la construction européenne qui, par ailleurs, incarne parfaitement la convergence du gauchisme culturel et du libéralisme » (page 168). 

« En réponse au vieillissement de sa population, l’Union européenne défend une politique de repeuplement du Vieux Continent. Dans le même temps, en défendant le droit des minorités, les traités européens garantissent aux nouveaux venus le droit de rester eux-mêmes en s’installant chez les autres » (page 168).

À suivre...

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