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03/05/2015

La langue pour se plaindre et obtenir justice, et la langue des dictateurs

"... et le comptoir d'embarquement résonne de violentes altercations entre passagers indignés et employés. Toutes les disputes suivent le même schéma : après quelques cris en dialecte, le client frustré recourt au français pour faire valoir ses droits bafoués - comme si le registre sémantique de cette langue garantissait un meilleur accès à la justice et à l'équité que le parler tunisien, vecteur ici des blocages, bakchichs et autres passe-droits. Et c'est en français également que les employés tancent in fine les passagers, leur reprochant leurs cris et leur comportement indigne d'un pays civilisé".

"Ce pays avait déifié la langue arabe au point d'interdire toute autre écriture dans l'espace public, sur les panneaux de signalisation routière comme sur les devantures des magasins. Au sommet de son délire, Kadhafi avait même exigé que les passeports des étrangers soient intégralement traduits en arabe pour y apposer un visa d'entrée libyen.

Aujourd'hui, les premières inscriptions que je vois (sans savoir les déchiffrer) sont rédigées en tifinagh, l'alphabet réinventé par les militants berbères au moment d'en fonder le nationalisme, dans les années 1960. Évoquant la graphie phénicienne, il a été recomposé à partir des écritures touarègues anciennes préservées par le climat sec du désert et l'éloignement des prédations arabes, à l'abri des sables.

Très peu d'Imazighen - les hommes libres, comme se nomment dans leur langue les berbères - sont capables d'en lire les glyphes. Mais leur affichage a valeur de revendication culturelle, surtout dans la Libye au sortir de l'arabisme exclusif du despote déchu".

(Extrait de "Passion arabe" de Gilles Kepel, Gallimard, 2013, chapitre Libye).

 

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