12/04/2015
Mademoiselle Albertine est partie
"Mademoiselle Albertine est partie !".
Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! Il y a un instant, en train de m'analyser, j'avais cru que cette séparation sans s'être revus était justement ce que je désirais, et, comparant la médiocrité des plaisirs que me donnait Albertine à la richesse des désirs qu'elle me privait de réaliser (et auxquels la certitude de sa présence chez moi, pression de mon atmosphère morale, avait permis d'occuper le premier plan de mon âme, mais qui à la première nouvelle qu'Albertine était partie ne pouvaient même plus entrer en concurrence avec elle car ils s'étaient aussitôt évanouis), je m'étais trouvé subtil, j'avais conclu que je ne voulais plus la voir, que je ne l'aimais plus.
Mais ces mots "Mademoiselle Albertine est partie" venaient de produire dans mon cœur une souffrance telle que je sentais que je ne pourrais pas y résister plus longtemps ; il fallait la faire cesser immédiatement.
Cet extrait de La Recherche est moins connu que sa première phrase, mondialement célèbre, "Longtemps je me suis couché de bonne heure" ou que l'expérience de la madeleine ou que les tourments du coucher, et, si elle donne une idée de l'écriture de Marcel Proust - ses fameuses phrases imbriquées et interminables - , ce n'est pas la phrase la plus longue de l'œuvre.
Mais il en représente un tournant ; quand Albertine s'en va sans prévenir, c'est la souffrance irrépressible qui se déchaîne. Et le dénouement approche.
Oui, Albertine est partie, sans explication, et le soleil s'est levé pourtant...
Comprenne qui pourra.
08:50 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
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