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24/09/2014

Histoire d'une marotte

C’est en lisant, pendant l’été 1988, le « Français dans tous les sens » d’Henriette Walter que j’ai eu l’idée de réviser ma note « Parlez-vous français ? ».

Remontons quelques décennies en arrière : en 1983, ayant la chance de travailler dans une Direction des Études et Recherches et avec un responsable de division très ouvert quant aux publications de ses chercheurs, j’avais commis un document d’une vingtaine de pages qui s’insurgeait contre l’envahissement de l’anglais dans la langue française. Il avait reçu un accueil très favorable de la part de beaucoup de mes collègues, que cela soit Bertrand Meyer, chef d’une division informatique et futur gourou de la modélisation par objets ou Jacques Max, célébrité du traitement du signal au CEA, qui m’en faisait envoyer à Grenoble des cartons pleins pour le distribuer à ses stagiaires, entre deux équations et trois brochettes. Au total, j’en ai écoulé quelques centaines !

Ma réputation était faite. À force, j’ai dû passer pour un monomaniaque mais je dois dire que j’ai bénéficié de beaucoup de bienveillance, les opposants à ma croisade se contentant de la mépriser et de n’en rien dire, ce qui n'est déjà pas mal !

J’avais trouvé tout seul ce titre « Parlez-vous français ? » sans savoir qu’il paraphrasait celui de René Étiemble « Parlez-vous franglais ? », paru exactement vingt ans plus tôt… Certains ne connaissent pas le nouvel Omo, eh bien, moi, je ne connaissais pas René Étiemble !

Ni d’ailleurs Henriette Walter, dont j’abordais, en amateur et avec la foi du charbonnier, certains des thèmes :

§  « Le lifting, c’est quoi ? » disent les anglophones

§  Walkman ou baladeur ?

§  Le passé simple

§  L’Académie et son dictionnaire

§  La publicité joue avec la langue…

Son « Français dans tous les sens » est l’œuvre fort documentée d’un professeur de linguistique ; son argumentation est évidemment bien plus solide et moins chauvine que dans mon pamphlet de Béotien. Elle prend rarement parti, sauf pour constater, avec pragmatisme, des évolutions qui semblent irréversibles. La connaissance détaillée de l’histoire du français et même de l’histoire des langues en général, rend prudent, voire un peu distancié, vis-à-vis du militantisme linguistique.

Pour autant, Madame Walter ne dissimule pas les enjeux, les difficultés, les forces en présence : traditionnelles (qui tendent à figer le langage), réformatrices (qui voudraient rapprocher la forme écrite de la forme orale) et surtout, le public et les jeunes en particulier (qui prennent les mots comme ils viennent, influencés qu’ils sont par les médias, la classe politique, la mode, les publicitaires…).

Le français scientifique, qui faisait l’objet de ma note de 1983, occupe quant à lui une place fort modeste dans le livre d’Henriette Walter : un ou deux pages ! Son évolution suit, semble-t-il, la même trajectoire que le français de tout un chacun mais avec une pente plus forte (vers l’abîme ?). La façon même dont les scientifiques réagissent à cette évolution est la même que celle de l’homme de la rue, paradoxale : d’un côté, la fascination pour les néologismes américains (à laquelle s’ajoute le laisser-aller, voire la paresse). De l’autre côté, une prise de conscience qu’il faut réagir contre le charabia et que la langue française représente un patrimoine à défendre (et à illustrer !).

 

Que faire ?

Certains ont retenu l’idée qu’il ne faudrait pas parler anglais, voire même qu’il conviendrait d’être américanophobe… Cette position est à côté de la plaque : l’anglais est une langue aussi respectable que la nôtre et qu’il peut être agréable de pratiquer… avec des anglophones. Lutter contre le franglais n’est en aucun cas être américanophobe !

D’autres voudraient bouter l’anglais hors des réunions internationales ayant lieu en France ; cette position est irréaliste, parce que la traduction simultanée coûte cher et est inconfortable. Il faut bien une lingua franca, et de nos jours, dans le domaine scientifique, c’est l’anglais (ce qui vaut mieux pour nous autres que le japonais, le russe ou le chinois). À la science française d’être aux premières places et le français recouvrera la place qu’il avait au XVIIIè siècle.

Non, de façon plus réaliste :

§  Parlons français avec les francophones ;

§  Accueillons sans pudibonderie les néologismes utiles, originaux, amusants, basé sur les règles de construction du français ; créons-en et popularisons-les ;

§  Mais refusons d’employer les mots d’apparence anglais, snobs, dont nous ne comprenons pas le sens, et d’autant moins qu’un équivalent existe en français ; surveillons notre langage, dans nos cours, nos discussions, sur le marché, dans le sport, etc. ;

§  Renseignons-nous sur les publications des commissions de terminologie, de l’Académie française, téléchargeons-les et diffusons-les ;

§  Soutenons les associations de défense de la langue française ;

§  Militons en dénonçant sans relâche auprès des administrations, des élus, des commerçants… l’utilisation abusive du franglais (ainsi que les fautes de français) ;

§  Apprenons l’anglais d’Oxford ou de San Francisco mais aussi l’allemand, le portugais, et d’autres langues, selon nos affinités.

Billet écrit en septembre 1988 et inédit

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