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08/09/2014

C'est pas une métaphore, c'est une périphrase !

« J’ai bon caractère mais j’ai le glaive vengeur et le bras séculier. L’aigle va fondre sur la vieille buse…

-       C’est chouette ça, comme métaphore.

-       C’est pas une métaphore, c’est une périphrase.

-       Oh, fais pas chier !

-       Ça, c’est une métaphore. »

(Michel Audiard, dialogues du film « Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages »).

 

Métaphore, nom féminin, du latin metaphora, du grec metaphora, de metapherein (transporter) : emploi d'un terme concret pour exprimer une notion abstraite par substitution analogique, sans qu'il y ait d'élément introduisant formellement une comparaison (dictionnaire Larousse). Exemples : une ruse de Sioux, une source de chagrin, un monument de bêtise, l'homme de l'ombre, une peau de chagrin, une fontaine de jouvence, un puits de science, un torrent d'applaudissements, un tonnerre de rires, un nectar des dieux, une avalanche de reproches, un nez en trompette, un soleil de plomb, un froid de canard, un vent à décorner des bœufs, la matière grise, ça m'a coûté la peau des fesses, il m'a fendu, brisé ou arraché le cœur, le repos du guerrier, il a pris des vessies pour des lanternes, voir la paille dans l'œil du voisin et pas la poutre qui est dans le sien (trouvés dans un forum sur internet, les fautes d’orthographe en moins).

Donc, je veux vous entretenir aujourd’hui des métaphores, à travers l’évocation du pavé de Marc Fumaroli, intitulé « Le livre des métaphores » (collection Bouquins chez Robert Laffont, 2012). C'est un cadeau de MFM.

 

L’immixtion de l’Académicien français dans ce domaine est plutôt curieuse, dans la mesure où, dès sa préface, il indique qu’une Bible existe déjà sur le sujet, le « Dictionnaire des expressions et locutions » d’Alain Rey et Sophie Chantreau (Le Robert, 2003) et cite comme une initiative antérieure de référence le livre de Claude Duneton « La puce à l’oreille »… Même son idée-phare, à savoir présenter les métaphores par thème et non plus par ordre alphabétique, a déjà été utilisée par C. Duneton. Dès lors, M. Fumaroli ne revendique plus qu’une seule innovation : un « dictionnaire » plus complet que les précédents ; et, en effet, au poids, il triomphe (1152 pages).

 

Le sous-titre qu’il a choisi est tout aussi étrange : « Essai sur la mémoire de la langue française ». En quoi est-ce un « essai » au sens littéraire du terme ? Et en quoi la mémoire du français se réduit-elle aux métaphores ? Mystère…

 

La motivation de l’auteur est clairement « mémorielle » : il veut sauver de l’oubli des expressions imagées qui sont notre héritage collectif. On sera d’accord avec lui que ces expressions, qui évoquent l’abstrait avec des mots concrets (« manger du lion »…), font le sel de notre langue, évitent l’emphase et le nébuleux, sont immédiatement accessibles à tous et permettent de réagir contre l’appauvrissement lié au globish. En un mot, fleurissons notre langage quotidien en maintenant en vie les métaphores de notre patrimoine lexical.

 

En ce qui concerne la forme, l’écriture elle-même, on ne peut pas dire que l’Académicien soit irréprochable… il est souvent abscons et donne l’impression de vouloir, mais avec maladresse, « faire de la littérature ». Voyez par exemple cette phrase de sa Préface : « Or c’est cette réalité vécue d’aujourd’hui, d’hier ou d’autrefois, ce sont ces félicités du dire, choisies et sauvées par la mémoire collective et confiées à la langue, qui prêtent leur saveur concrète et imagée au sens second que ces expressions transportent et dont elles vivifient notre langage quotidien ». Légers pléonasmes, mots peu communs, phrase de plus de 15 mots… manifestement, M. l’Académicien ne respecte pas les recommandations de ce blogue !

Je le préfère dans des phrases plus ramassées, telle celle-ci : « … opération de l’esprit qui n’a rien de vulgaire ; elle n’abaisse pas, elle transfigure ; elle ne rabâche pas, elle crée du sens inédit ». (Il parle ici du processus de création des métaphores).

 

M. Fumaroli considère que la préservation et la remise à l’honneur des métaphores est un acte indispensable de réaction contre une société trop technocratique, trop virtuelle, trop abstraite ; c’est le retour du corps, des sens, de la nature, de la faune et de la flore, à travers la langue. Et quand il convoque La Fontaine, comme créateur de métaphore, et Proust, comme caution, on s’incline.

 

Laissons-lui le dernier mot : « Les expressions « toutes faites »… n’en recèlent pas moins, à l’état naissant, le secret des plus fulgurants, évidents et stupéfiants énoncés de la poésie, le passage du propre au figuré. Elles sont de merveilleux fossiles, incrustés dans une langue moderne, d’un état ancien et choral de l’invention poétique et sapientale ». On peut faire plus sobre et plus simple mais avouez que c’est bien dit !

 

Certaines entrées de ce dictionnaire laissent sur sa faim car l’origine de l’expression en est absente. Exemple : à l’article « s’envoyer en l’air », on apprend ce que cela veut dire (…) mais rien de plus. Et ce ne sont pas les deux citations (de C. Millet et de P. Sollers) qui apportent grand’chose.

 

Cela étant, quand on ne possède pas déjà l’un des ouvrages précédemment cités, ce bouquin est bienvenu pour farfouiller dans le passé et l’origine de ces expressions bizarres que nous employons sans cesse : « prendre ses cliques et ses claques », « couper la chique à quelqu’un », « sous le sabot d’un cheval », etc.

Quelle mine !

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