21/12/2015
Au revoir, Princesse...
"J'attends un signe. Rien ne vient. Et c'est l'enfer sur terre. Je sors de chez moi. Le fond de l'air en est modifié. Au premier pas dans la rue, j'embrasse l'espace des yeux. Je cherche, je scrute. Débute alors la plus triste des parties de cache-cache. Je regarde vers la place de Breteuil, je fouille l'horizon dans l'axe du métro aérien. Derrière le lycée Buffon, dix façades hétéroclites se chevauchent, montent à l'assaut d'un brouillard carbonique. Rien.
C'est pourtant par là qu'elle arrivait lorsqu'elle venait me voir en trottinant dans ses boots en daim. Ou elle m'attendait sur le banc en face de l'immeuble, les jambes croisées, un châle de cachemire sur les épaules. Le banc est vide, trop vide, le vide n'existe pas, il n'est qu'un signe.
Je traverse la pelouse de l'esplanade de Breteuil. Le ciel est bas, spongieux. Le vertige me prend, je presse le pas, afin de retrouver un peu de droiture. Arrivé à la station Duroc, l'angoisse passe dans mes cheveux. Tout est grisaille, attente, asservissement au néant.
…
J'en suis revenu au point de départ, celui d'une autre vie, maintenant. Le Paris d'avant Ava, celui qui me préparait le terrain et dépliait ses rues pour que je la rencontre un jour a changé. Mais la rue de Rennes descend toujours en pente douce jusqu'à Saint Germain des Prés. Tourner à droite, vers l'église Saint Sulpice. Longer les grilles du jardin du Luxembourg, rue de Vaugirard. passer devant le Petit Suisse (Le Rostand, c'est un peu plus haut). Entrer à la Sorbonne.
...
Cette vie, c'est le passé. Nous passerons tous, bientôt. Bientôt, c'est-à-dire, à l'échelle de l'éternité, dans moins d'une seconde, tout de suite, hier déjà, et tous les jours d'avant. La vie, c'est du temps aboli.
Restent les facilités que nous nous sommes accordées pendant toutes ces années, Ava et moi. De nous être quittés, nous nous sommes toujours retrouvés. J'aimerais n'avoir aucun doute sur la question : nous remarcherons ensemble dans les rues du temps".
Jean-Marc Parisis
Les aimants
(Éditions Stock, 2009)
Eh oui, avec la Princesse, c'est fini...
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Écrivains, Livre, Parisis Jean-Marc | Lien permanent | Commentaires (0)