02/01/2017
Irritations linguistiques XXXVII : je joue, donc tu gagnes
L’autre jour, j’entends une dame à la radio qui nous dit « bla bla bla… ils ont eu ça en direct », et aussitôt, craignant qu’on ne la comprenne pas, elle corrige « en live »…
Il y avait déjà eu les rollers, le skate board, le kite surf, j’en passe et des encore pire. Voilà-t-y pas qu’on nous invente aujourd’hui le fat bike, pour rouler dans la neige ! Tous ces marchands (de matériel, de loisirs, d’abonnements divers et variés) n’arrêtent pas de mettre sous nos yeux d’enfants perpétuels, de pseudo-innovations, de fausses nouveautés et d’inutiles modes (une année, les jambes des pantalons sont larges ; l’année d’après, elles sont étroites…). Si ce n’était que cela ; après tout, c’est leur métier et leur moyen de subsistance ; les consommateurs que nous sommes n’ont qu’à être moins badauds et moins nigauds. Mais ils se croient obligés, aidés par ces perroquets de la publicité et du journalisme (ceux que Michel Serres appellent « les collabos », d’après mon commentateur du 30 décembre 2016), de les affubler de noms anglais (ou plutôt américains). Il est vrai que ces derniers en inventent tous les jours des gadgets… Seul espoir pour nous autres – mais il est peu enthousiasmant – croire au théorème de René Étiemble, à savoir que les noms franglais disparaîtront avec les objets qu’ils désignent, le plus vite possible.
J’en étais là dans les irritations linguistiques quand je me suis penché sur l’article d’Étienne Thierry-Aymé dans le Marianne du 2 décembre 2016, intitulé « La folie retrogaming », dont l’incipit était le suivant : « Sous le sapin, les consoles vintage risquent de piquer la vedette aux derniers gadgets high-tech. Après les tee-shirts vintage, les portables préhistoriques, les ordinateurs old school, les jeans déchirés et les vinyles pleins de poussière, la mode du retrogaming bat son plein ». Ça commençait bien.
Passons sur les hors d’œuvre (le design des jeux vidéo, des consoles plug and play revisitées…) et regardons les encarts : « LA PLUS SHOW-OFF », « LA PLUS SEVENTIES », « en différentes tailles (classic, compact, mini) » (en quoi cette graphie anglaise de « classique » fait-elle avancer le smilblic ?), « une version pocket » (en quoi cette graphie anglaise de « poche » fait-elle avancer le smilblic ?), « flash-back sur les années 80-90 », « pas de jeu vidéo sans joystick », « un stick d’arcade »,
Pour être honnête, je dois signaler que ce journaliste utilise l’expression « tout-en-un » parfaitement bienvenue, alors qu’on aurait pu craindre un franglicisme que, naturellement, je n’écrirai pas.
Reste, pour parler un peu du fond, que plus de la moitié des Français déclaraient en 2015 (non pas leurs revenus) mais qu’ils étaient adeptes réguliers de jeux vidéo (à comparer avec les 20 % du début des années 2000). Qu’ont-ils donc, tous ces Français, à jouer comme des enfants ?
Fin 2016, le chiffre d’affaires du secteur aurait atteint 3,4 milliards d’euros, rien qu’en France.
07:30 Publié dans Actualité et langue française, Franglais et incorrections diverses, Loisirs | Lien permanent | Commentaires (0)
24/11/2016
Des yankees à Guillaume II
À la Gare de l’Est, à Paris, quand on vient prendre le train à grande vitesse, on est chez les yankees ; devant les quais ne trônent que deux (grandes) boutiques : Starbuck’s coffee et RELAY ! J’ai personnellement du mal à comprendre pourquoi il ne se trouve aucun cafetier dans Paris, bougnat ou non, affilié à une chaîne ou non, pour tenir l’espace le plus emblématique qui soit de notre vieux pays buveur de café, de thé, de vin blanc et de ballons de rouge : l’estaminet, le troquet, le bistrot.
Et aussi pourquoi dans notre pays passionné de littérature, amoureux des livres et révérant les écrivains, aucun libraire, aucune « Maison de la Presse » ne peut tenir boutique dans une grande gare parisienne… Et pourquoi, donc, il faut s’en remettre à des enseignes américaines ou au moins à des boutiques au nom américain pour assurer ce genre de services…
Quand on arrive à Metz, ces aberrations sont oubliées depuis longtemps ; on entre dans l’Austrasie, dans la Lotharingie, dans la Lorraine des Trois évêchés, et là flottent les vestiges, sinon le souvenir, du Saint Empire romain germanique et in fine de Guillaume II.
La gare de Metz (prononcer « mess ») doit son architecture néo-moyenâgeuse à l’Empereur d’Allemagne, du temps où le Nord de la Lorraine et l’Alsace avait été annexées. Mais la cathédrale gothique est là depuis longtemps, magnifique et préservée.
On passe par Luxembourg et on met le cap vers le Nord-Est, aux frontières du Grand Duché ; c’est le château de Vianden ; en novembre il est dans la « brouillasse » mais, restauré depuis que l’État l’a récupéré en 1977, il a bon pied bon œil. La visite permet de voir quelques belles salles aux proportions impressionnantes.
La vue depuis les étages supérieures de cette ancienne propriété de Guillaume (attention, lui n’est que le Ier et en plus il est « d’Orange-Nassau », famille des Pays-Bas), château-palais perché (« Vianden » vient du gaulois « vien » qui veut dire « rocheux »), plonge sur la rivière Our et sur le village.
Et justement, après la visite, je descends au village. Voici, à la sortie du pont sur l’Our, la maison de Victor Hugo ; le cher grand homme est venu ici à quatre reprises, dont une fois après son expulsion de Belgique ; il y a écrit le recueil de poèmes « L’année terrible » ; c’est lui qui, visitant le château lors de sa première restauration, en avait critiqué l’esthétique, ce qui avait conduit à des modifications. La synchronicité m’a rattrapé encore mais qui sait que je suis en train de relire « Les Misérables » ?
07:30 Publié dans Histoire et langue française, Loisirs, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0)
31/10/2016
"Le français en cage" (Jacques Laurent) : critique V
J’imagine d’ici la tête de mes fidèles lecteurs… lundi matin, à l’heure habituelle, rien dans la messagerie… du moins rien en provenance du blogue « Le bien écrire » ! Consternassionne (Conceptionne) ! Le manque s’installe, c’est dur… Que s’est-il donc passé ?
Rien de bien grave… seulement que votre blogueur avait laissé le billet du 31 octobre 2016 dans son ordinateur, sans le publier dans hautETfort !
Toute honte bue, voici donc le billet qui s’est tant fait attendre.
Nous en sommes maintenant rendus au chapitre VII du petit livre de Jacques Laurent.
Célébrant « le pouvoir épigénétique du langage », notre Académicien s’en prend aux puristes qui, selon lui, condamnent tout passage du littéral au figuré, surtout quand il est récent, qu’il vient de se produire, qu’il n’est pas consacré par un usage ancestral.
Et pourtant, on connaît : couleur criarde, voix blanche, propos tranchant, déclaration enflammée, etc.
Exemple plus récent de passage du littéral au figuré que cite Jacques Laurent : le mot « créneau », qui appartient au langage de l’architecture et qui est maintenant utilisé pour « désigner un intervalle délimité dans un emploi du temps » (et il aurait pu signaler qu’il désigne aussi l’espace libre entre deux voitures garées, d’où l’expression « faire un créneau »). Et de prétendre que des « fanatiques » condamnent ceux qui utilisent le mot dans les deux acceptions… (NDLR : Jamais entendu parler de cette condamnation ! Et soit dit en passant, heureuse époque où les fanatiques se contentaient d’être des puristes de la langue !).
Jacques Laurent justifie de façon convaincante la durabilité méritée de telles innovations par le fait qu’elles sont « d’une parfaite vertu symbolique » et qu’elles « répondent à un besoin ». Quand ce n’est pas le cas, alors on peut prédire que la nouvelle acception sera de courte durée, le temps d’une mode en fait ; ce qui lui permet de condamner, à son tour, « les mots saisonniers inventés par des collégiens, des snobs ou des spécialistes du domaine médiatique ». Il en donne comme exemple « c’est un must » et « ce n’est pas ma tasse de thé », qui devaient selon lui « s’en aller tout comme ils sont venus ». Raté, mauvaise pioche, trente ans après, coquin de sort, ils marchaient encore. Je ne vois pas très bien, par ailleurs, en quoi « c’est un must » ressortit à la catégorie des passages du littéral au figuré…
Peut-être simplement est-il là pour « faire un carton » sur « câblé (qui) supplante branché qui avait effacé in »… Et le verdict tombe : « La vie du langage n’est pas concernée par ces mots qui ne sauraient trouver place que dans une histoire anecdotique de la mode ». À ce stade, le lecteur se dit que ce qui plaît à Jacques Laurent est digne de figurer dans le vocabulaire français et que dans le cas contraire, c’est bon pour les oubliettes de l’histoire. Ainsi vole-t-il au secours de « ponctuel », qui désigne « une action réduite à un objectif isolé » et qui a été condamné à tort. Ah bon ? Et c’est pour mieux dézinguer « les politiciens, les journalistes, les bavards » qui abusent « de niveau dans des circonstances où du point de vue de, dans le domaine de, sur le plan de, suffisaient pour distinguer des nuances ».
Le chapitre se termine par une dissertation subtile : non au genre hybride de « hymne » (masculin quand il est profane, féminin quand il est sacré) ; oui au genre hybride de « couple » (masculin quand il désigne deux êtres liés par une même affection, féminin quand deux choses ou deux êtres sont réunis accidentellement).
Méditez donc cette belle phrase, lecteurs : « Un couple d’amants dédaigne pour se regarder une couple de perdrix aux choux » !