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18/04/2019

"L'étoile du sud" (Jules Verne) : critique II

On peut même lire « L’étoile du sud » à un troisième niveau : la façon de voir le monde des Français à la fin du XIXème siècle. Fascination envers la science et ses pouvoirs, ethnocentrisme, bonne conscience européenne, universalisme, géopolitique. Jules Verne évoque en effet le développement de la recherche des diamants et l’accaparement progressif des terres des Boers – ce qui veut dire « paysans », ici des immigrés huguenots – par les Anglais, avec les autochtones africains en arrière-plan (« Les Anglais étaient, à son sens, les plus abominables spoliateurs que la terre eût jamais portés (…) Rien d’étonnant si les États-Unis d’Amérique se sont déclarés indépendants, comme l’Inde et l’Australie ne tarderont pas à le faire ! Quel peuple voudrait tolérer une tyrannie pareille ! Ah ! monsieur Méré, si tout le monde savait toutes les injustices que ces Anglais, si fiers de leurs guinées et de leur puissance navale, ont semées sur le globe, il ne resterait pas assez d’outrages dans la langue humaine pour les leur jeter à la face ! » page 46 de l’édition de Crémille, 1990). « Je suis né à Amsterdam en 1806 (…) mais toute mon enfance s’est passée au Cap, où ma famille avait émigré depuis une cinquantaine d’années. Nous étions Hollandais et très fiers de l’être, lorsque la Grande-Bretagne s’empara de la colonie, à titre provisoire disait-elle ! Mais John Bull ne lâche pas ce qu’il a une fois pris, et en 1815 nous fûmes solennellement déclarés sujets du Royaume-Uni, par l’Europe assemblée en Congrès ! » (page 47, dans laquelle Jules Verne résume une partie de l’histoire de l’Afrique du Sud, qui se joue à trois : les Boers, les Anglais et les peuplades africaines).

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Les caractères y sont simplistes et en général inspirés des préjugés et stéréotypes de l’époque quant aux caractéristiques supposées des Français, des Anglais, des Écossais, des Chinois et des Africains. Par exemple, page 66, « Ce raisonnement, éminemment chinois, acheva la cure ». À propos de son aide noir, Matakit : « Aucune besogne ne le rebutait, aucune difficulté ne paraissait être au-dessus de son courage. C’était à se dire, parfois, qu’il n’y avait pas de sommet social qu’un Français, doué de facultés semblables, n’eût pu prétendre à atteindre. Et il fallait que ces dons précieux fussent venus se loger sous la peau noire et le crâne crépu d’un simple Cafre ! Pourtant Matakit avait un défaut – un défaut très grave – qui tenait évidemment à son éducation première et aux habitudes par trop lacédémoniennes qu’il avait prises dans son kraal. Faut-il le dire ? Matakit était quelque peu voleur, mais presque inconsciemment (…) Et Cyprien, tout en le regardant dormir, songeait à ces contrastes si bizarres qu’expliquait le passé de Matakit au milieu des sauvages de sa caste » (pages 70-71).

Par ailleurs, il faut de l’argent « pour acheter un claim de premier choix et une douzaine de Cafres capables de le travailler ». (Un claim est un titre de propriété minière, conférant le droit d'exploiter sur une superficie déterminée et aussi le terrain renfermant du minerai (or, diamant, uranium. Source : dictionnaire Larousse.fr).

Naturellement d’écologie et de protection de la diversité on n’entend pas parler (Romain Gary et ses « Racines du ciel » ne sont pas encore passés par là !) : « Il avait déjà tué trois lions, seize éléphants, sept tigres, plus un nombre incalculable de girafes, d’antilopes, sans compter le menu gibier » (sic !).

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Un dernier commentaire sur la langue de Jules Verne : ici et là apparaissent quelques mots rares ou devenus rares. « billevesées » (propos, idée vide de sens ; sottise, baliverne – surtout au pluriel –, d’après Larousse.fr), « des tonneaux de bière et de vin gerbés de distance et distance » (empiler des charges – gerbes de céréales, fûts, sacs, etc. – les unes sur les autres) et « la fête épulatoire » (mot inconnu de mes dictionnaires).

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