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12/09/2019

"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique V

Dans le chapitre 8 de son livre « Des hommes qui lisent », Édouard Philippe nous révèle sa passion pour Rome, la ville actuelle et l’histoire romaine, tout ensemble. Nos hommes politiques de premier plan adorent nous dire quelle est leur passion, leur jardin intime : M. Pompidou, c’était l’art contemporain, la modernité, les tours et les autoroutes ; M. Giscard d’Estaing, c’était Guy de Maupassant et l’accordéon ; M. Mitterrand, flâner dans les bibliothèques et Marguerite Duras ; M. Chirac, le sumo et les arts premiers (et la bière mexicaine) ; M. Raffarin, la Chine ; M. Sarkozy méprisait la littérature classique et M. Hollande n’avait, semble-t-il, pas de passion. Donc, pour M. Philippe, c’est Rome.

C’est l’occasion pour lui d’encenser un livre de Laure Adler et Stefan Bollmann, intitulé « Les femmes qui lisent sont dangereuses » et d’enfourcher discrètement le féminisme ambiant en s’accusant de « sexisme littéraire », délit qui ne risque pas de l’emmener devant un tribunal mais peut éventuellement lui acquérir un certain nombre de lecteurs et d’électeurs qui voient le monde coupé en deux, les hommes contre les femmes (et vice versa). Il va jusqu’à « encourager tous les lecteurs masculins à se poser la question » et à lancer l’alerte (« certains vont avoir des surprises »). On pense à « y-en a qui ont essayé ; y z-ont eu des problèmes » dans le sketch mythique de Chevalier et Laspalès… On pense surtout à cet historien venu battre sa coulpe sur l’antenne de France Inter, le 30 août 2019, devant Nicolas Demorand et Léa Salamé, en s’accusant d’être un mauvais homme qui ne laisse pas leur juste place aux femmes et adjurant ses congénères de faire leur examen de conscience et, sans doute, de faire pénitence. Décidément la femenmania bat son plein ; merci aux campus américains !

Il cite Taslima Nasreen : « Un livre est une arme redoutable qui peut faire changer les esprits ». Et là, on est d’accord. Son râteau étant de fait très large, il en profite pour citer aussi les rappeurs : « Le savoir est une arme » et en particulier Médine, rappeur havrais, dont il s’accuse de l’avoir trop longtemps méconnu…

Le chapitre se termine bien néanmoins : « Le livre est une arme et une bibliothèque, un arsenal » (page 125).

À suivre...

09/09/2019

"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique IV

Le chapitre 6 du livre « Des hommes qui lisent » d’Édouard Philippe se terminait sur sa conception de l’action publique nécessaire en faveur de la lecture : autour d’un festival littéraire aux thèmes variés renouvelés chaque année, et traités par des écrivains, des comédiens, des illustrateurs, des danseurs, des plasticiens… multiplier les angles d’accès, incluant évidemment le cinéma.

Le chapitre 7 commence par Saint Augustin pour ensuite mettre en scène ses enfants : sa fille de deux ans lisait dans son lit sans savoir lire et a découvert les livres numériques sur le téléphone de son père (qu’il appelle un iPhone, avec un I majuscule…), livres « remarquablement pensés et réalisés », paraît-il, tout cela avec facilité, évidemment ; son fils de dix ans s’est enthousiasmé pour le Faust de Goethe, en écoutant en même temps que son père dans la voiture (« Je profite de mes heures de conduite pour apprendre », page 110), les CD ou les retransmissions d’œuvres lues, en particulier par Guillaume Gallienne. Ni une ni deux, il rencontre ce monsieur dans un dîner, invité par un ami commun, monsieur qui ne peut être que drôle et incroyablement brillant… Et Édouard Philippe de conclure, à destination du bas peuple : « Profitez de toutes les occasions qui pourraient vous être données de dîner avec lui » ! C’est du même tonneau que le fameux « Qu’ils mangent de la brioche » de Marie-Antoinette. Il est vrai qu’en pareille occasion, Nicolas Sarkozy avait rencontré… Carla.

Trêve de persifflage ! On retient que tout peut être lecture même sans livre (papier) et que tout ce qui a rapport avec les œuvres écrites peut mener à la lecture. Peut-être, sauf que, en vertu de la loi de l’accélération permanente (ou de la facilité galopante ou de la commutation incessante), il y a fort à parier que, une fois l’histoire vue au cinéma ou entendue à la radio, nos apprentis lecteurs se tournent vers une autre histoire, tout aussi résumée ou déformée, sans jamais revenir aux textes originels.

Mais je suis d’accord que ça vaut le coup d’essayer, par tous les moyens, d’intéresser le plus vaste public possible à la lecture et d’effacer les obstacles potentiels que sont l’épaisseur d’un livre, un vocabulaire difficile, la nécessité de s’isoler pour lire, etc.

Autre enseignement du chapitre : Édouard Philippe aime lire, considère que lire est un acte fondamental pour apprendre et découvrir, s’est engagé pour améliorer la situation au Havre. C’est l’essentiel, même s’il n’était pas obligé, pour dire tout cela, de nous rappeler que les chiens ne font pas des chats…

À suivre...

05/09/2019

"Des hommes qui lisent" (Édouard Philippe) : critique III

« Plus j’avance dans ma vie, et dans mes lectures, plus je me désole, souvent avec consternation, parfois avec délectation, de ce que je n’ai pas encore lu, de ce qui me reste à lire et de ce que je ne lirai probablement jamais.

Ce livre est le roman d’une famille marquée par les livres, le récit d’une relation entre un père et son fils, un essai sur une politique municipale, mais, avant tout, il est une plaidoirie pour la lecture » (page 23).

Le livre-récit-confession d’Édouard Philippe est vraiment intéressant dans les passages où il décrit et justifie ses coups de cœur littéraires. C’est dans le chapitre 6, intitulé « Panache et monuments ». Et j’avoue que souvent, nous partageons les mêmes enthousiasmes et que parfois ce qu’il dit d’une œuvre me donne envie de m’y plonger.

Cela commence par « Cyrano de Bergerac », dont il a appris, enfant, la tirade du nez sur le conseil de sa mère, handicapé qu’il était à l’école par des oreilles jugées décollées, et qu’il a longtemps considéré comme une pièce mineure. Édouard Philippe est souvent désarmant de franchise et de naïveté calculées ; comme quand il avoue que c’est le film de Jean-Paul Rappeneau, en 1990, qui l’a fait changer d’avis sur le Cyrano d’Edmond Rostand : « Depuis, Cyrano est probablement le livre que je lis le plus souvent » (page 92). Cet été, un de mes amis s’est lancé, lui aussi, dans un panégyrique de cette « pièce en alexandrins, imitant les classiques mais écrite à la fin du XIXème siècle » ; peut-être venait-il lui-même de terminer « Des hommes qui lisent » ! Quoiqu’il en soit, ce passage du livre est vraiment bon et convaincant ; notre Premier Ministre en profite pour broder avec talent sur l’action politique, sur le conflit permanent entre les principes et l’efficacité, la pureté et le compromis, la fin et les moyens, et il s’enflamme pour le panache, la signature de Cyrano.

Je partage la position d’Édouard Philippe sur les rapports entre la littérature et le cinéma. « À quoi sert le cinéma, s’il vient après la littérature ? (Jean-Luc Godard) » « À faire œuvre de création originale sans doute mais aussi, après tout, à rendre compte de l’existence et du préalable qu’a été et que sera longtemps la littérature pour l’image » (page 98). Et de fait, certains, comme Gérard Depardieu lui-même, ont découvert Cyrano grâce au film ; d’autres comme Édouard Philippe l’ont re-découvert ; quant à moi, j’ai hérité d’une vieille édition de la pièce et tout cela m’a donné envie de la lire. Même chose pour « Tous les matins du monde » et tant d’autres œuvres ; la plupart du temps, le film est inférieur à l’original mais il y a des exceptions. Édouard Philippe a découvert « Les Misérables » et Hugo  grâce au film avec Robert Hossein et Lino Ventura ! Et il a été impressionné, comme moi, par la description de la bataille de Waterloo. Il a relu deux fois « Les Misérables » depuis lors, dans l’édition de poche en trois tomes qui ne l’a jamais quitté de déménagement et déménagement. Comme « Les Trois Mousquetaires » et « Vingt ans après », il s’est promis de le relire tous les dix ou quinze ans ! Je n’en suis pas là… Hugo et Dumas ont atteint deux sommets de la littérature et « se trouvent comme ainsi dire étouffés par leur succès populaire, qui les condamne dans le même mouvement à la gloire nationale et à l’indifférence intellectuelle » (page 101). C’est bien dit !

À suivre...