05/11/2021
"Les choses de la vie" (Paul Guimard) : critique
Paul Guimard est un journaliste, navigateur, né en Bretagne, plein d’humour et de gentil cynisme. J’écris cela parce que j’ai eu la chance de lire son livre le plus connu « Les choses de la vie » (Prix des libraires, 1968) dans l’édition « Le club de la femme » qui offre, en guise de préface, un intéressant et réjouissant entretien avec l’auteur, que l’on apprend ainsi à connaître un peu.
À vrai dire, pour moi comme pour beaucoup, « Les choses de la vie », c’était le film de Claude Sautet, avec les merveilleux Michel Piccoli, Romy Schneider et Léa Massari (1970), avec aussi la formidable musique de Philippe Sarde, orchestrée par Jean-Michel Deffaye. Le scénario du film est dû à Paul Guimard lui-même, Jean-Loup Dabadie et Claude Sautet ; pas étonnant dans ces conditions que le film « décalque » le roman, à commencer par la longue scène de l’accident, que les cinéphiles voient comme une leçon de cinéma (c’est remarquablement filmé, il est vrai) mais qui est avant tout une vidéo parfaite pour la Prévention routière et les stages de récupération de points... C’était avant la ceinture de sécurité obligatoire et les coussins gonflables. Bref, on se rappelle surtout cette longue scène de quatre minutes au cours de laquelle l’accident inévitable se produit.
Revenons au livre maintenant, dont le propos est de décrire les sensations et surtout les pensées de Pierre Bérart, après son transport à l’hôpital. Il souffre peu apparemment mais cogite beaucoup, comme en surplomb au-dessus de son corps, peu conscient de la gravité de son état. Il revoit sa vie et imagine ce qu’elle pourrait être en redevenant « normale ». Paul Guimard a raconté qu’il a vécu pareille expérience à la suite d’un accident sur un bateau. Certains ont parlé d’un livre d’une grande portée philosophique, ont parlé du livre d’un moraliste… N’exagérons rien ! Il est possible que cela ait été le cas à la fin des années 60 ; on n’avait pas encore ces témoignages de personnes revenues du coma, avec ce fameux « film de la vie qui repasse », entre la vie et la mort. Donc original à son époque, sans doute ; le livre « ne raconte rien », sauf que le film ne passe qu’une seule fois, qu’il ne faut pas laisser s’échapper les bons moments ni faire des choses que l’on regrettera ; donc, philosophique, peut-être…
Passionnant en même temps ? Non, sûrement pas ! On pense à « Chronique d’une mort annoncée » de Gabriel Garcia-Marquez, pour le déroulé au ralenti d’un événement à la fin inexorable.
Paradoxalement, je rechigne à recommander le roman de Paul Guimard mais j’aurais tendance à dire qu’il faut le relire…
07:00 Publié dans Écrivains, Guimard P., Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
03/11/2021
"Couleur du temps" (Françoise Chandernagor) : critique
Voici « Couleur du temps », un petit livre merveilleux, plein de poésie et de mélancolie, publié en 2004 chez Gallimard, par Françoise Chandernagor, orfèvre en la matière, puisque cette dame, outre qu’elle est célèbre pour une fameuse réplique lors du Grand Oral d’admission à l’ENA, nous avait donné un récit qui fit date : « L’allée du Roi ». J’avais aussi beaucoup aimé « La première épouse » pour sa fine analyse psychologique qui fait penser à Proust, et son évocation des Combrailles que je longe quand je vais chez Blaise Pascal.
Ici il s’agit à première vue (!) de l’histoire d’un tableau, un portrait plus précisément ; mais autour de l’exécution et surtout de la transformation de ce portrait de famille, c’est la démarche d’un homme – et en l’occurrence son exigence et sa passion dévastatrice pour la justesse des couleurs sur la toile – et même l’histoire de sa famille, qui apparaissent.
Ce roman fait penser à « Terrasse à Rome » de Pascal Quignard (Gallimard, 2000) et surtout à « Le parfum » de Patrick Süskind (1985), que Babelio nous résume ainsi : « Au XVIIIème siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus horribles de son époque. Il s'appelait Jean-Baptiste Grenouille ». Tiens, coïncidence ?, notre peintre se prénomme Baptiste ! Donc le « genre » était connu : mi-biographie, mi-conte philosophique, mi-roman historique (cela fait trois moitiés…). C’est aussi le dévoilement de la vie des anonymes doués, dans l’ombre des génies : Baptiste dans l’ombre de Chardin et Greuze, c’est un peu Salieri dans l’ombre de Mozart (France Musique pose la question : « Antonio Salieri était-il vraiment un compositeur médiocre, inférieur au grand Mozart ? Aurait-il empoisonné ce dernier par jalousie ? »).
Peut-on aller plus loin dans la critique ? Il est impossible de rendre dans un billet la beauté et la profondeur de ce conte ; il faut se laisser emporter ; je peux seulement le recommander aux amateurs d’Histoire, d’histoires, de biographies même inventées et d’art (sans être aucunement des spécialistes de la Peinture). Et leur promettre aussi qu’ils auront envie de le relire !
14:45 Publié dans Arts, Chandernagor F., Écrivains, Littérature, Livre, Roman | Lien permanent | Commentaires (0)
08/10/2021
"Le ruisseau des singes" (Jean-Claude Brialy)
Voici un gros livre aussi sympathique, aussi primesautier et aussi chaleureux que l’était son auteur : « Le ruisseau des singes » est l’autobiographie que l’acteur Jean-Claude Brialy a publiée chez Robert Laffont en 2000. Il est dédicacé à Michel et à Bruno… et Jeanne Moreau, en tant que « marraine », a écrit en entête un petit texte charmant et plein de poésie.
Au long des 419 pages défile tout ce que le monde du spectacle comptait comme amis ou connaissances de Jean-Claude Brialy ; c’est le Bottin mondain. Autant dire que c’est amusant car il connaît tout le monde (Jean Marais, Jean Gabin, Jean Cocteau, Arletty, Marie Bell, Marlène Dietrich, Romy Schneider, François Dorléac, Alain Delon, Édith Piaf, Joséphine Baker, Maria Callas, Jacques Brel et tant d’autres, sur lesquels il multiplie les anecdotes) ; il nous raconte aussi par le menu le tournage des innombrables films (185) auxquels il a participé, depuis qu’il était devenu « l’acteur fétiche de la Nouvelle Vague ».
Il y a beaucoup de superficiel dans les anecdotes racontées, sans doute est-ce le reflet de la sensiblerie des artistes et des rapports souvent hypocrites qu’ils entretiennent. Voici par exemple, page 210, comment il raconte la soirée lors de laquelle il a épargné des heures de solitude à Marlène Dietrich « tout de blanc vêtue, tailleur blanc, chapeau blanc, sublime de beauté » : « Je la traînai dans la loge de Marie Bell, qui était en train de se préparer ; regarde, Marie, je t’amène une surprise. Marie se retourna et vit Marlène. Son visage s’illumina. Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Marie demanda du champagne à son habilleuse ». Quand il revint dans la loge après son spectacle, « elles contemplaient leurs jambes admirables et riaient comme deux gamines ». Beaucoup de superficiel, beaucoup de pathos, beaucoup de beaux sentiments (« tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » comme disait le cynique en chef Jean Yanne). Aux obsèques de Marie Bell, « Coluche fit porter une énorme gerbe de roses blanches. Elle et lui s’adoraient » (page 210). On vous le dit sur tous les tons, ils s’aiment tous. Ils sont tous doués, formidables, généreux, inoubliables. C’est sûr, il les a aimés mais, vraiment, trop c’est trop, le témoignage manque de sincérité, ou alors c’est de la naïveté.
Mais bon an mal an transparaît à chaque anecdote la sensibilité, la gentillesse, l’empressement, la serviabilité, l’empathie de Jean-Claude Brialy.
Il avait passé son enfance près d’Angers, alors que ses grands-parents maternels habitaient à Issoire et une tante à Brioude… mais était né à Aumale, en Algérie, le 30 mars 1933. Le titre de son livre vient de là, un lieu-dit près de Blida. En 2008, la chanteuse Françoise Hardy intitulera son autobiographie « Le désespoir des singes » mais la référence sera autre (le fameux arbre à l’écorce si particulière).
En revanche, peu de choses sur sa vie privée adulte, sauf cinq lignes tout à la fin (page 414). Sur toutes les photos de femmes, plus belles les unes que les autres (Romy, Claudia, Françoise, Natalie… et Catherine !), la légende mentionne « mes fiancées »…
Le livre, sans prétentions littéraires, est attachant parce que l’homme l’était. Sans descendance, quasiment fâché avec sa famille, il a légué sa maison de Seine et Marne à une fondation, après sa mort le 30 mai 2007.
11:02 Publié dans Arts, Brialy Jean-Claude, Écrivains, Littérature, Livre, Récit | Lien permanent | Commentaires (0)


