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17/10/2019

L'art de nommer les sensations

Le 2 août 2019, Marianne consacrait un long article à Jacques Puisais, philosophe et œnologue, fondateur en 1975 de l’Institut français du goût.

Quel est donc le rapport entre M. Puisais et nos préoccupations linguistiques et littéraires ? Les mots !

« Il observe que les mots pour décrire les aliments viennent difficilement, même à ceux qui les ont produits (…) Quarante années durant, il se bat pour former des instituteurs à une pédagogie dont la première vertu est de développer le vocabulaire des enfants (…) Jacques Puisais se bat pour rendre leur sens aux mots, expliquant qu’il est nécessaire d’apprendre à goûter pour que la langue du pays se maintienne. Il cite ces universitaires néerlandais lui disant avec tristesse : nous avons perdu des centaines de mots ».

« Il ne saurait exister de véritable émancipation dans un rapport faux au monde et aux mots. Telle est la philosophie de Jacques Puisais : le mot juste pour le goût juste ».

14/10/2019

Le français fait de la résistance (III)

À l’heure où la validation des Commissaires pressentis semble bien difficile (la candidature de Mme Goulard, comme on pouvait s’en douter, vient d’être  retoquée par le Parlement européen), des fonctionnaires appellent au secours à cause de la domination de plus en plus écrasante de l’anglais, alors même que l’Union européenne compte trois langues de travail – le français, l’allemand et l’anglais –, est censée promouvoir le pluralisme linguistique, entend défendre « le mode de vie européen » et, last but not least, négocie actuellement le départ de la Grande Bretagne, seul pays dont l’anglais est la langue officielle !

Le règne de Mme Ursula von der Leyen, nouvelle Présidente de la Commission européenne, polyglotte émérite dit-on et qui se vante d’être trilingue, avait de toutes façons mal débuté puisqu’elle n’a parlé quasiment qu’anglais lors de sa première conférence de presse…

Marianne le 4 octobre, dans une brève de Jack Dion (que l’on aurait envie de prénommer Jacques…) et Les Échos, dans un long article de Gabriel Grésillons du 18 septembre 2019, se sont fait l’écho de cette revendication des fonctionnaires francophones d’avoir le droit de travailler en français. Ils ont donc écrit une lettre ouverte à la Présidente.

En effet, la situation s’est fortement dégradée en dix ans ; l’anglais est devenu systématique dans la moindre réunion, pour la moindre note de service : « Même lorsque l’ensemble de la hiérarchie est francophone, nous recevons comme instruction orale de ne pas produire de documents dans d’autres langues que l’anglais » dénoncent-ils. Ils réclament le droit de s’exprimer en français, de passer des appels d’offres ou de communiquer sur les réseaux sociaux dans la langue de Molière.

« L’anglais devient un plus petit dénominateur commun ; on lit les mêmes médias, on parle la même langue dans une forme appauvrie et on ne conceptualise plus le monde dans notre propre langue… ».

Seront-ils nombreux à signer cette lettre ?

10/10/2019

"Le schmock" (F.-O. Giesbert) : critique

Je dois le dire, je n’aime pas beaucoup M. Giesbert, le journaliste j’entends : échevelé, vindicatif, bobo, polémiquant souvent, agressif parfois. Et donc, quand on m’a offert son dernier livre « Le schmock » (Gallimard, 2019), je n’ai pas sauté de joie : un titre qui semble annoncer un ouvrage « alimentaire » et futile comme les gens en vue en font tant, et une image de couverture peu engageante (un petit personnage à genoux dans une pièce vide, avec la tête d’Hitler…). Voilà bien trois raisons qui auraient pu me faire ranger le livre dans la pile de ceux que l’on lira beaucoup plus tard et, à vrai dire, jamais.

Et pourtant je l’ai ouvert et j’ai trouvé l’avant-propos intéressant et l’argument convaincant : « Par quelle aberration, à cause de quelles complaisances, quelles lâchetés, le nazisme fut-il possible ? Qu’était-il arrivé à l’Allemagne qui, avec l’Autriche, avait enfanté Jean-Sébastien Bach, Hildegarde de Bingen et Rainer Maria Rilke ? Comment cela a-t-il pu advenir ? Il n’y a que les fous pour tenter de répondre à ce genre de questions, les fous ou les romans ». En l’occurrence, ce n’est pas exact, des dizaines de livres ayant été écrits sur cette période et sur les tristes sires que furent les dirigeants de l’Allemagne nazie (il suffit d’ailleurs de compulser l’abondante bibliographie que donne Giesbert à la fin de son livre, bibliographie qu’il a lue au moins en partie, à n’en pas douter).

Donc voilà, c’est un roman sur l’avènement du IIIème Reich (pourquoi troisième ? parce qu’il y a eu avant lui le Saint Empire romain germanique  – Heiliges Römisches Reich Deutscher Nation –, de 962 à 1806, et   l’empire de Guillaume Ier, roi de Prusse de 1871 à 1918), ses délires meurtriers et sa chute, qui mêle le destin de personnages de fiction à la grande Histoire et à ses horribles protagonistes.

Assez vite, on en comprend le titre : en yiddish, « schmock » signifie « salaud ». Et le salaud bien sûr, c’est Hitler.

Le livre est passionnant, bien construit et bien écrit : ses héros en sont deux amis, leurs deux épouses et leurs familles, que le nazisme va séparer. L’auteur fait se succéder des époques différentes en bousculant la chronologie et nous emmène vers le dénouement avec habileté, dont la moindre originalité n’est pas sa façon de reprendre la parole au milieu du récit pour alerter ou interpeler son lecteur. Fiction et événements réels s’entremêlent avec vraisemblance et aucune des horreurs du temps ne nous est épargnée. On en apprend encore sur la folie des protagonistes et sur leur caractère, détails que Franz-Olivier Giesbert a péchés dans ses innombrables lectures sur le sujet.

Je n’ai marqué que deux passages dans le livre : le premier, page 138, donne une recette d’Ingrid Gottsahl, dans laquelle elle met « des morceaux de vieilles pommes en l’air » (car c’est la première fois que je vois écrite cette expression qui désigne les pommes du pommier) et le second, page 268, où M. Giesbert emploie les mots « enclouée (dans sa poussette) » et « empégués (dans d’interminables discussions) » qui m’ont semblé bizarres, le premier figurant néanmoins dans mon Larousse des années 30 mais à propos du ferrage des chevaux.

Mais quand on referme le livre, on repense à sa raison d’être, à la motivation initiale de l’auteur, telle que formulée dans son avant-propos : comprend-on mieux l’avènement de ce régime fou ? Et la réponse est, bien sûr : non, pas plus qu’avant. Mais c’est une nouvelle pierre à l’entretien de la mémoire, ce n’est déjà pas rien.

Au total, voilà un livre qu’on ne lâche pas avant l’épilogue, qu’on peut recommander mais qu’on ne relira sans doute pas.