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08/10/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique X

Quand Jeanne et sa mère arrivent en train au Mont-Dore, elles rencontrent Colette, une tante de Gaston (l’épouse du frère de Léontine Arman, née Lippmann) qui est la fille aînée d’Alexandre Dumas fils et que l’on surnomme pour cela « Dumas petite-fille » (page 250). Jeanne qui supporte très mal sa séparation d’avec Gaston s’est trouvée mal pendant le voyage et a « des douleurs nerveuses intérieures ». Elle mène par le bout du nez son cousin Philippe de Vilmorin, qui est amoureux d’elle, Gaston lui-même lui conseille de « coqueter avec lui » pour détourner les soupçons sur leur liaison. D’après sa mère, elle fait tourner la tête à toute la station thermale, « Je fais jabot avec cette adorée ».

La langue de ce temps, retranscrite par Michelle Maurois, n’est-elle pas curieuse ?

La fille et la mère écrivent à Gaston, surtout la mère, et lui avouent leurs sentiments.

Et Gaston répond « Il me semble que nous avons eu déjà de la joie pour plusieurs vie et que nous avons pris une si grande part de celle qu’il peut y avoir sur la terre qu’il n’en doit point rester presque » (page 253).

Les cousins Vilmorin gagnent beaucoup d’argent « grâce à la gelée » (ce patronyme est encore célèbre de nos jours !), Marie Pouquet ne les épargne pas. Elle écrit « Mme de Vilmorin envoie un reçu détaillé de leur fortune pour que je lui déniche en Périgord un merle blanc : le merle blanc, c’est une vieille souche pour becqueter les graines » (jeu de mot !) (page 268).

Et, page 286, la biographe nous propose une analyse passionnante des destins et caractères croisés de ses personnages : « Je sais bien que plus de trente ans séparent la Jeanne que j’ai connue de la Colombine fin de siècle mais, en 1891, tout est déjà dans l’œuf : les qualités comme les défauts se sont épanouis et sont avec l’âge devenus plus tangibles. Les circonstances, les accidents, les amours et les ans modifieront les données de la personnalité de Jeanne mais chez elle subsisteront des traits permanents que Marie, avec beaucoup d’acuité, a décelé chez sa fille et on les retrouvera chez Simone. Gaston, de même que son gendre posthume André Maurois ne pouvaient pas se plaindre (et d’ailleurs, ils ne l’ont fait ni l’un ni l’autre) de n’avoir pas été prévenus : ils connaissaient les éléments des caractères de leurs futures épouses. Mais abusés, l’un par le charme et la beauté, l’autre par le prestige et le dévouement, de leurs fiancées, ou encore victimes de leur propre bonne foi, ils n’ont pas compris ou ils ont décidé d’ignorer les difficultés qui les attendaient » (page 286).

Bref, Jeanne a un caractère difficile et une personnalité déroutante, Marie le sait pertinemment, elle alerte son fiancé mais Gaston, sous le charme, ne songe qu’à s’accuser et à s’excuser… le mariage n’a pas encore été célébré que la passion du début n’est déjà plus intacte.

04/10/2018

Irritations linguistiques (nouvelle série) : franglais à tous les coins de rue

Le font-ils exprès ? Sont-ils inconscients ?

Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas insurgé contre la logorrhée franglaise (longtemps aussi, il est vrai, que je n’avais pas lu un hebdomadaire, concentré que j’étais sur les romans de mon été).

Mais alors là, la fureur, le dépit et l’abattement me reprennent de plus belle ; c’est l’article de Manuelle Calmat dans le Marianne du 24 août 2018 qui a déclenché pareille urticaire. Sagement (ou prudemment ?) intitulé « Le sport de rue envahit la ville », il veut nous convaincre que cette activité nouvelle – évidemment importée des États-Unis, sinon ce ne serait pas drôle – est « plus qu’un simple sport, une discipline qui apaise, structure et rassemble ». Je ne sais pas dans quelle ville habite cette journaliste (Paris évidemment) mais dans la mienne, à part les parcours Vita et les coureurs à pied, jamais entendu parler de ça. Mes amis du Loir-et-Cher doivent bien rigoler s’ils ont lu l’article, notre gymnaste prétend pourtant que Clermont-Ferrand est aussi entrée dans la danse... 

Le problème, c’est que le deuxième mot après ce titre BCBG est street workout… Après un début aussi prometteur, pourquoi s’arrêter : « no pain no gain », « un shotde motivation », « la grande tribu des workers et workeuses », « ce spotparisien », « calisthénics », « à l’instar du skate », « la pratique underground », « empowerment », « le crossfit », « marketiséà outrance », « la teammythique des bar tenders », « coachsportive et street workeuse », « fitnessen salle », « sa teamtrès masculine », « le story telling », « les bad boys », « leur petit deal », « la mythique Punishment team », « reps and set », « free style », et street workoutqui doit bien revenir vingt fois dans l’article… 

Sur le fond, l’euphorie affichée par la rédactrice fait sourire… Voici ce qu’elle écrit : les adeptes retrouvent « le goût de l’effort perdu », « l’humain ouvert sur le monde est au cœur du sport de rue »,  « il repose sur l’autogestion des installations (NDLR. Voir le sort réservé aux Vlib et aux Autolib’…) et l’entraide spontanée », « il bénéficie d’une belle image de liberté et de pratique underground », « c’est à la fois un ancrage dans la réalité et il prend appui sur une communauté virtuelle », « cette pratique repose sur la reprise de soi par soi-même, par la récupération de ses capacité d’agir ; cela correspond bien à l’état d’esprit de nos sociétés désenchantées » (NDLR. Ah bon ?), « l’idée de se réapproprier la ville renforce la notion de débrouille, ainsi que la volonté de résister à la consommation de masse », « il reste authentique ; hors temps, hors engouements » ( !), cette activité permet aux femmes de prendre conscience qu’elles pouvaient occuper une autre place et de repérer une puissance d’agir, entretient une forme de mythologie autour de la résistance afro-américaine, « la solution vient de soi, un nouveau départ est possible, on peut effacer tout pour tout recommencer, retrouver un cadre de vie, une régularité, une discipline, une page blanche sur laquelle écrire à nouveau, etc. Bref ça combat la neurasthénie, l’oisiveté, la drogue, les préjugés, … Et tout cela pour pas cher ! Ouah !

Ah, j’oubliais : il y a déjà une Fédération nationale, qui revendique 20000 pratiquants et un chercheur suisse lui aurait consacré une thèse…

01/10/2018

"L'encre dans le sang" (Michelle Maurois) : critique IX

Michelle Maurois évoque page 218 la pièce « Ce que ça dit » que Gaston a écrite à toute vitesse et dans laquelle joue Jeanne, à dix-sept ans. Cette année-là, c’était l’année 90…

Sait-on encore ce que sont des gommeux (« jeunes hommes à la mode »), des pschutteux (« nom qui remplacera bientôt gommeux »), des rastaquouères, des pannés (« jeunes gens qui ont attrapé une culotte à leur cercle, c’est-à-dire qui ont remporté une veste » et qui s’assemblent avenue Foch – « rendez-vous de la crème, du gratin, du persil » – pour assister au retour des courses) ?

« On attend surtout le huit-ressorts de la duchesse de Maillé qui arrache des cris d’admiration aux curieux ».

« Naturellement, les travaux qui bouleversent Paris sont à l’ordre du jour. Un personnage est pipelet des ruines de la Cour des comptes. Une scène (NDLR : de la pièce) évoque les dangers pour les passants de tomber dans la ville pleine de trous, de canaux forés pour l’installation du téléphone. On va jusqu’à parler des précipices des boulevards ».

Notons la curieuse phrase : « un personnage est pipelet des ruines de la Cour des comptes ». Comment la comprendre ? Soit pipelet est un substantif et alors ce personnage est l’ancien concierge de la Cour des comptes, à l’époque en démolition ? Soit pipelet est employé comme adjectif et on se dit que le personnage en question est « excessivement bavard » à propos de la Cour des comptes que l’on démolit… Mystère !

Le salon de Mme Aubernon est célèbre : « À la belle saison, c’était au Cœur-Volant, près de Louveciennes, que se poursuivaient les entretiens. Là aussi, les habitués se plaignaient de devoir dans l’après-midi prendre le train en tenue de soirée mais ils ne songeaient pas à se rebeller.

Mme Aubernon avait un esprit charmant. Certaines de ses formules sont restées célèbres (…). Après la mort de sa mère, elle disait : oui, je la regrette souvent, mais très peu à la fois » (page 230). Proust mettra cette formule dans la bouche du père de Swann.

Mais le salon qui éclipsait tous les autres était celui de Mme Arman « Léontine enchantait le salon par sa finesse, sa vaste culture, sa malice ».