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05/05/2017

Petites nouvelles du Front (IX)

Entre temps (pour ne pas dire « en même temps »…), j’avais ouvert « Le Camp des Saints » de Jean Raspail (publié pour la première fois en 1973 chez Robert Laffont et réédité de nombreuses fois depuis).

J’avais découvert, il y a longtemps, Jean Raspail, dans le merveilleux « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie », dont j’ai rendu compte dans ce blogue. J’avais lu ensuite, sans la même fascination, « Hurrah Zara ! » et « Sept cavaliers quittèrent la ville », qui sont des livres originaux, toujours un peu dans le mythe des chevaliers teutoniques, toujours un peu dans l’épopée passéiste ou surréaliste mais très plaisants à lire.

« Le Camp des Saints », c’est autre chose. Ce n’est pas de la littérature, c’est même quelque peu « ordurier » et en tous cas, plus ou moins volontairement, dégradant et méprisant pour les héros malgré eux du roman (car c’est présenté comme tel). On ressent à la lecture comme un malaise. C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne lui consacre pas un billet de « critique littéraire » mais seulement un billet de la série « Petites nouvelles du Front ».

Le titre en lui même est extrait de la Bible, plus précisément de l’Apocalypse : « Le temps des mille ans s’achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des Saints et la Ville bien-aimée ». (Cette citation figure en frontispice du roman, aux côtés de deux autres, du Président algérien Boumediene et du Cardinal Lustiger, ajoutées depuis la première édition…).

St Raphaël 1.jpgC’est là que réside l’intérêt du livre, dans cette intuition fulgurante que Jean Raspail a eue, quarante ans avant « Soumission » : un million de déshérités et de crève-la-faim quittent les rives du Gange sur des paquebots en fin de vie et, au terme d’un périple erratique autour de l’Afrique, suivi distraitement par les médias et les politiques occidentaux, choisissent de débarquer sur la Côte d’Azur. Ils essaiment ensuite dans tout le pays, y prennent le pouvoir, ralliés assez facilement par nombre d’autochtones et éradiquent la dernière poche de résistance en Haute Provence. On croit deviner que le Camp des Saints, c’est la France, et la Ville bien-aimée, Paris.

L’autre intérêt du livre, c’est la façon dont Jean Raspail traite et développe la « configuration » qu’il a imaginée : il met en scène quelques personnages décrits à gros traits (essentiellement des bien-pensants et des lâches, représentatifs de l’immense majorité de la population, quelques « résistants » ou jusqu’au-boutistes, militaires ou journalistes d’opposition ultra-minoritaires) et décrit la lente conjonction de prises de position vagues, de langue de bois, d’inertie, de complaisance, d’élans généreux aussi, qui va conduire en pratique à ne rien décider et à ne rien faire. On devine ce que pense Jean Raspail de ce « ventre mou occidental ». Cela étant, aujourd’hui comme hier, il est bien difficile de voir ce qu’il faut faire en pareil cas…

Dans sa préface à la troisième édition (que je ne sais pas dater, peut-être celle de 1985 qui est celle que je possède), Jean Raspail livre quelques clés : « Que faire, puisque nul ne saurait renoncer à sa dignité d’homme au prix d’un acquiescement au racisme ? Que faire, puisque dans le même temps, tout homme – et toute nation – a le droit sacré de préserver ses différences et son identité au nom de son avenir et au nom de son passé ? ».

Il y développe une vision « darwinienne » de l’histoire des civilisations : « Les faibles s’effacent, puis disparaissent, les forts se multiplient et triomphent », qui élimine, dans son esprit, toute idée de racisme.

Pour lui, les temps ont changé (« Il est plus tard que tu ne crois… ») : « (…) Notre vieil Occident, tragiquement minoritaire sur cette terre, reflue derrière ses murailles démantelées en perdant déjà des batailles sur son propre territoire et commence à percevoir, étonné, le vacarme sourd de la formidable marée qui menace de le submerger ».

Il est lucide sur la non-qualité littéraire de son ouvrage : « Le Camp des Saints est un livre symbolique, une sorte de prophétie assez brutalement mise en scène avec les moyens du bord mais au rythme de l’inspiration car, si un livre me fut un jour inspiré, je le confesse, ce fut exactement celui-là ». Et il parle à son propos de « gros humour, bonne humeur de dérision, comique sous le tragique, certaine dose de bouffonnerie »… Ouf, on est rassuré ! Il dit aussi que ce n’est pas un livre triste, et là on a du mal à le croire.

« (…) L’action du Camp des Saints (…) ne relève pas de l’utopie. Si prophétie il y a, cette prophétie, nous en vivons aujourd’hui (en 1985 !) les prémisses. Simplement (…), elle est traitée comme une tragédie à l’ancienne, avec unité de temps, de lieu et d’action ».

Il situe la survenue du même phénomène, mais réel, dans « les premières décennies du troisième millénaire, à peine le temps d’une ou deux générations ». Pour Wikipedia, le IIIème millénaire du calendrier grégorien a commencé le 1er janvier 2001 et se terminera le 31 décembre 3000. Il correspond donc aux siècles XXI à XXX. Bien vu, M. Raspail.

Il considère que les mécanismes déjà à l’œuvre en 1985 étaient ceux décrits dans le roman : boat people, radicalisation de la communauté maghrébine de France et des autres groupes allogènes, forte action psychologique des ligues humanitaires, exacerbation de l’évangélisme chez les responsables religieux, faux angélisme des consciences, refus de voir la vérité en face… (Préface, page 11). « L’Occident n’a plus d’âme ». Chacun pourra trouver quelques parentés avec ce qui a fait, vingt ans plus tard, les territoires perdus de la République (voir mes billets à ce sujet en avril 2017).

Et de conclure : « (…) Une unique alternative se présente à nous : apprendre le courage résigné d’être pauvres ou retrouver l’inflexible courage d’être riches. Dans les deux cas, la charité dite chrétienne se révèlera impuissante. Ces temps-là seront cruels ».

St Raphaël 2.jpg

Et ma conclusion : un livre pesant sur un sujet pesant. Un roman qui ne fait pas rêver et ne change pas les idées. Difficile de le recommander, et on n’a pas envie de le garder. Et pourtant…

04/05/2017

Petites nouvelles du Front (VIII)

Et pendant ce temps (dans les années 2000), que faisait le Ministre ?

La réponse est dans « Les territoires perdus de la République », à la page 220 : Jack Lang adresse une lettre à l’ensemble des responsables de l’Éducation nationale, des chefs d’établissement et des professeurs.

Dans une situation internationale « marquée au Moyen-Orient par la recrudescence de tensions d’une gravité alarmante et par l’accélération d’affrontements meurtriers ».

Il refuse « vigoureusement tout amalgame » et réagit à « la recrudescence d’agressions antijuives » (eh oui ! d’un alinéa à l’autre, le même mot – recrudescence – est répété… Pas terrible comme dissertation !).

« De tels actes (…) n’ont pas droit de cité dans notre démocratie. Ils sont illégaux, comme est illégale toute forme de racisme » (on s’en doute).

« C’est le rôle et le devoir de l’école de la République que d’enseigner, sans relâche, les principes d’égalité et de fraternité qui sont le socle de notre coexistence nationale ».

« J’invite les professeurs à rappeler ces principes. Ils monteront combien la violation de ces règles a toujours ensanglanté l’Histoire et quelles tragédies elle a engendrées pour l’humanité ».

« J’encourage toutes les démarches visant à maintenir, au sein de l’école, le climat de sérénité et de compréhension réciproque qui est l’esprit même de la laïcité républicaine et permet à tous les élèves de devenir à la fois adultes et citoyens ».

Voilà, c’était le 2 avril 2002, et c’est tout.

Ils étaient invités et encouragés… J’imagine ce qu’ont pu faire de cette circulaire les professeurs du lycée dont j’ai parlé dans le billet du 4 mai 2017…

20 jours plus tard, c’était le 21 avril 2002.

Peut-être est-ce une explication ?

Petites nouvelles du Front (VII)

Retour encore aujourd’hui, aux « Les territoires de la République », avec le texte de Élise Jacquard « Un cas de dés-école» (pages 282 à 326). Pour le coup, cet article est long, très long et il constitue même la troisième partie de l’ouvrage.

En vérité, il est construit de telle façon, l’auteur utilise un tel ton, qu’il faut au lecteur une dizaine de pages pour se convaincre que c’est un témoignage et non pas une œuvre de fiction ! Et il faut aussi beaucoup de concentration pour bien comprendre sa position, pas du tout manichéiste et donc ne pas la trahir dans ces lignes.

La façon de « planter » le décor (c’est presque un jeu de mots…), pages 282 et 283, est magistrale et percutante : tout ce qui caractérisait ce lycée « technique » de la banlieue nord de Paris dans les années 70 (bons résultats, bonne ambiance, investissement total du corps professoral et administratif et, en « produit de sortie », des élèves que l’on s’arrache dans les entreprises) peut servir à décrire la situation trente ans plus tard : il suffit de prendre le contrepied de chaque terme !

Élise Jacquard reconnaît que « la vieille garde » de professeurs est enviée par les nouveaux professeurs qui n’ont jamais connu que la situation dégradée actuelle (qu’elle appelle "la désinstitutionnalisation postmoderne") : parce qu’ils sont arrivés à l’âge où l’on calcule ses points de retraite… Vivement la quille !

Dès les années 80, les difficultés sont apparues : « Les élèves ne maîtrisant pas la langue, et encore moins les abstractions conceptuelles, peinent à organiser leurs idées ».

L’amertume est visible : de l’échec de M. Savary en 1984 à l’embauche inconsidérée d’enseignants sans expérience ni réelle formation, en passant par le remplacement de certaines filières par d’autres vouées à l’échec, Élise Jacquard énumère les causes, selon elle, de la dégradation. « Les quinze ans de modernisation, c’est-à-dire d’extension de l’ultra-libéralisme, se sont accompagnés d’une véritable lutte de classes entre les anciens collègues républicains (qu’ils soient de droite ou de gauche) et les communicateurs pour qui tout ce qui leur résiste ne peut être le fait que de bourgeois cramponnés à leurs privilèges ».

Dans le troisième paragraphe de l’article, elle aborde le sujet principal du livre : « L’antisémitisme ordinaire est déjà là au commencement de la période de référence en 1975. Comme une évidence ».

« (…) Le racisme traditionnel apparaît en 1983 (…). (Il) permet de tenir à distance le thème de la baisse du niveau (…) » (page 290).

Mais elle met surtout en exergue des pratiques étonnantes de sélection et de mise à l’écart de certaines catégories d’élèves, au besoin par la force, et s’insurge contre l’ostracisme dont ils sont victimes (qu’elle attribue à « l’esprit revanchard du colonialisme désavoué par l’Histoire ou (…) sa version moderne différentialiste »). En somme elle renvoie dos à dos la lâcheté de l’Administration face aux troubles et la ségrégation pratiquée par certains enseignants.

C’est un peu pour la même raison – dénoncer le désintérêt, voire le mépris pour certaines populations (à savoir les filles issues de l’immigration) et le retard pris dans le processus d’intégration – qu’elle prend position pour la fermeté dans l’affaire du voile à l’école (lycée de Creil, 1989). « Le différentialisme est le nouveau visage d’un racisme qui se croit authentiquement progressiste ». « Au fur et à mesure que la population du lycée s’arabise et s’africanise, le différentialisme est encouragé ». « On pourrait résumer l’évolution des Nonantes (les années 90…) par la généralisation du recouvrement des têtes, tant métaphore de la contre-révolution des Lumières que réalité vestimentaire » (page 298).

Le paragraphe 5 décrit une sorte de situation apocalyptique au lycée, mise en correspondance avec l’arrivée de Claude Allègre au ministère… « Les locaux ont perdu leur fonction ». « L’espace du lycée est devenu un volume indifférencié, un hall de gare dans lequel déambulent des corps qui s’opposent en permanence au passage des professeurs. Aucun élève jamais ne cède le pas à un adulte. Chaque croisement est une épreuve de force ou une humiliation ». « Le cœur (de la désinstitutionalisation de masse) en est le rapport personnel et hiérarchique entre l’enseignant et l’enseigné, dorénavant interdit de diverses façons » (page 301). « L’irrationnel et l’arbitraire sont devenus la norme » (page 305).

La description faite dans ces vingt-six dernières pages est tout bonnement hallucinante (désorganisation, absentéisme, vol, racket, violences, agressions sexuelles, injures, bagarres, etc.), il faut le lire pour le croire !

Peut-être est-ce une explication ?