Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/02/2017

"Les Misérables T1" (Victor Hugo) : critique IV

La langue de Victor Hugo est parfois « tortueuse », parfois elliptique, souvent métaphorique : « D’ailleurs, de certaines natures étant données, nous admettons le développement possible de toutes les beautés de la vertu humaine dans une croyance différente de la nôtre » et « Aucune pourriture n’est possible au diamant » (page 76).

Souvent un mot qu’il utilise est rare ou n’est plus connu aujourd’hui ; j’ai déjà cité « ménechme » ; voici « bramine » (page 77), inconnu du Dictionnaire Hachette de 1991 mais que le Larousse de 1922 explique en détail, sous les graphies équivalentes « brahmine », « brahmane », « brahme », « brame », « bramin » : il s’agit des membres d’une secte sacerdotale héréditaire de l’Hindoustan, adorateurs de Brahma, membre d’une religion qui a pris en Inde la suite du védisme. Brahma formait une Trinité avec Çiva et Vichnou… 

Plus loin, page 79, à propos des qualités et du mode de vie de Monseigneur Bienvenu : « Il considérait ces magnifiques rencontres des atomes qui donnent des aspects à la matière, révèlent les forces en les constatant, créent les individualités dans l’unité, les proportions dans l’étendue, l’innombrable dans l’infini, et par la lumière produisent la beauté (…). N’est-ce pas là tout, en effet, et que désirer au delà ? Un petit jardin pour se promener, et l’immensité pour rêver. À ses pieds ce qu’on peut cultiver et cueillir ; sur sa tête ce qu’on peut étudier et méditer ; quelques fleurs sur la terre et toutes les étoiles dans le ciel ». 

Et enfin apparaît Jean Valjean, qui au bagne réfléchit sur ses torts « … c’était, dans tous les cas, une mauvaise porte pour sortir de la misère que celle par où l’on entre dans l’infamie » mais que Hugo excuse et plaint à cause des fautes que la société a commises envers lui (« une sorte d’attentat du plus fort sur le plus faible ». « Il conclut enfin que son châtiment n’était pas à la vérité, une injustice, mais à coup sûr c’était une iniquité » (page 123).

Géricault-le-radeau-de-la-méduse-1817-1818.jpg

Au tiers du Tome I, le bien et le mal (mais un mal relatif, qui a ses raisons, selon Hugo…) ont donc été mis en scène et le romancier-moraliste change soudain de sujet et se livre à l’une de ces digressions qui irritent tant certains de ses lecteurs. Le chapitre I du Livre troisième s’intitule L’ANNÉE 1817 et permet à la virtuosité de peintre social de Victor Hugo de se déployer. Que l’on en juge :

« 1817 est l’année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de fierté, qualifiait de la vingt-deuxième de son règne. C’est l’année où M. Bruguière de Sorsum était célèbre. Toutes les boutiques des perruquiers, espérant la poudre et le retour de l’oiseau royal, étaient badigeonnées d’azur et fleurdelysées. C’était le temps candide où le comte Lynch siégeait tous les dimanches comme marguillier au banc d’œuvre de Saint-Germain-des-Prés en habit de pair de France, avec son cordon rouge et son long nez, et cette majesté de profil particulière à un homme qui a fait une action d’éclat (…). L’armée française était vêtue de blanc, à l’autrichienne ; les régiments s’appelaient légions ; au lieu de chiffres ils portaient les noms des départements, Napoléon était à Sainte-Hélène, et, comme l’Angleterre lui refusait du drap vert, il faisait retourner ses vieux habits. En 1817, Pellegrini chantait, mademoiselle Bigottini dansait ; Potier régnait ; Odry n’existait pas encore, etc. ». 

Naturellement ces noms ne nous disent rien mais le décor est planté, et avec quelle maestria !

06/02/2017

Irritations linguistiques XLII : Jeux olympiques, Tournoi des six nations de rugby et Championnat de France de football

Les hasards du calendrier ont fait que, ces jours-ci, trois grandes compétitions sportives ont réussi à m’irriter ensemble, pour la même raison : une attirance irraisonnée, veule et autosatisfaite pour l’anglais.

Le résultat ? du franglais toujours et encore.

Premiers de la classe : le Comité de candidature de Paris aux JO de 2024, qui vient de choisir l’accroche de cette candidature. Après avoir rappelé que le mouvement olympique international, fondé par le Français Pierre de Coubertin, a deux langues officielles : le français et l’anglais, ce comité a officialisé la phrase qui est censée rallier la majorité des suffrages et attirer le moment venu les touristes du monde entier :

« Made for Sharing »

Comble de la honte, le co-président de Paris-2024, Tony Estanguet, indique que ce slogan en anglais a été choisi afin de « donner un caractère universel au projet français ». Ainsi donc ce que font ou proposent les Français n’aurait un caractère universel que si c’est exprimé en anglais ? Voltaire, Hugo, Anatole France, Paul Valéry et tant d’autres doivent se retourner dans leur tombe… 

Le journal La Croix qui rapporte cette brillante initiative dans son article du 3 février parle de la candidature de Paris « aux jeux Olympiques 2024 », avec une majuscule à « olympique », comme font les anglophones… On est cerné ! Il y a deux ans, un article des Échos sur le même sujet écrivait que l’expo universelle de 2025 à Paris était bien « JO compatible »… 

Les pauvres, ils ne savent pas ce qu’ils font… 

Pas la moindre nouveauté, pas le moindre gadget, pas la moindre mode aujourd’hui qui ne reçoive pompeusement un nom de baptême « à l’anglaise ». Ainsi, au moment où commence le Tournoi des six nations de rugby nous bassine-t-on avec le « crunch ». 

J’ai parlé de veulerie en introduction de ce billet, j’avais déjà parlé de soumission antérieurement. Oui, c’est bien ce qui caractérise la Commission européenne, qui s’est cru obligée de déclarer que, malgré le Brexit, l’anglais resterait bien l’une des langues officielles de l’Union… Comprenez : LA langue officielle de l’Union européenne (dans laquelle il n’y a plus que l’Irlande pour l’avoir comme langue maternelle).

Rocheteau.jpg

Je reviens au sport : rappelez-vous Dominique Rocheteau ; on l’appelait « l’ange vert » dans les années 70-80. Eh bien maintenant pour évoquer une rencontre régionale entre Saint Étienne et Lyon, les journalistes parlent de « green angels » (ou plutôt de « Green Angels » pour écrire comme les tabloïds) !

Besoin d’un peu de réconfort ? Écoutez donc ce que dit Fabrice Lucchini de la littérature et de notre langue dans son entretien avec le Figaro (vidéo visible dans le site lefigaro.fr) ! 

Ou alors, en écho à l’exigence d’universalisme globish de Thierry Estanguet (qui après tout n’est qu’un champion olympique d’aviron, pas un agrégé de lettres modernes…), lisez l’éditorial de Jacques Julliard dans le Marianne du 6 janvier 2017 : « (…) (Le peuple) ne veut pas non plus d’une école qui a cessé de faire de la littérature française un patrimoine sacré, constitutif de son identité, et de la langue française notre bien commun, notre trésor à tous, la base du contrat national, celui d’une France ouverte à tous ses enfants, de toute histoire, de toute couleur, de toute origine. (…) (Ce que) nous avons appris chez Michelet et chez Péguy, chez Victor Hugo et chez Jaurès : que la France est le nom que nous voulons continuer de donner à notre universalisme ». 

Et ce qui est drôle – et même épatant – c’est que la phrase ci-dessus sur l’école est justement celle, à peu de choses près, qu’écrivait Péguy en 1910 et que lit Lucchini dans l’entretien que je citais plus haut. D’une part les grands esprits se rencontrent mais d’autre part le mal est profond (et ancien). 

PS. Suite à l’annonce du slogan des JO en anglais, les internautes se sont déchaînés, du moins sur le site de RTL que j’ai consulté.

Extraits : 

« L'article 24 stipule que les langues officielles du Comité International Olympique sont le français et l'anglais (énoncées dans cet ordre). Qui plus est, en cas de divergence entre le texte français et le texte anglais de la Charte olympique et de tout autre document du CIO, le texte français fera foi. Une personnalité du monde francophone est chargée d'observer la place du français ». 

« Scandale ! Slogan anglais, discours anglais, décompte anglais... Les organisateurs ont-ils si honte d'être français. Un bon signe pour ceux qui veulent changer le français en anglais comme langue officielle des JO !

Pauvre France déjà envahie par cette langue: My TF1, burn-out, open space, etc. » 

« Nos élites sont toujours prêtes à s'aplatir devant la langue anglaise qui, il est vrai, domine le monde. Mais c'est dans l'authenticité et le respect de soi-même que l'on doit s'affirmer. Donc un slogan en français, facile à comprendre, ne nous aurait pas défavorisés ! Hélas, trop de gens n'attachent pas d'importance à ça ! Dommage ». 

Des Français comme ça, moi, je les aime !

04/02/2017

Devinette XVIIg : auteurs français de la première moitié du XXème siècle

Autographe de Proust.jpgJeu de miroir fascinant, quand il décrit dans « Sur la lecture » le plaisir pourtant indicible de passer un après-midi ensoleillé, au jardin, avec un livre, dans un livre, oublieux du monde autour, Marcel Proust décrit justement l’enchantement qu’a été pour nous, à dix-sept ans, la plongée dans les méandres de sa Recherche du temps perdu !

Ma Baronne de Munich, découvrant ce que je lisais et qu’apparemment elle avait lu aussi, m’avait dit avec une moue de mépris : « So altmodisch ! ». Mais non, quel contresens !

On est marqué à vie par les tourments de l’enfance – ceux du Narrateur – par le parfum des aubépines, par les nuits sans air dans une chambre hostile, par les retours de promenade en Normandie, quand on aperçoit un clocher au loin, par le relativisme des deux côtés de Combray, par les incroyables bifurcations et courts-circuits de la vie. 

« C’est au côté de Méséglise que je dois de respirer,

à travers le bruit de la pluie qui tombe,

l’odeur d’invisibles et persistants lilas ». 

On s’est perdu dans la Cathédrale de mots, dans la Symphonie de couleurs et de paysages et on émerge quand le Temps est retrouvé, quand les accords se résolvent, quand les brouillards, les peines, les déceptions se dissipent et s’effacent, et que le Narrateur trouve enfin sa voie dans la création, à l’issue d’un dénouement grandiose.

la Normandie de Proust.jpg

Oui, « À la Recherche du temps perdu » est le chef d’œuvre du XXème siècle et Marcel Proust, qui en a accouché dans la douleur et la réclusion, en est bien l’écrivain incomparable et inimitable. 

Et quel autre dans cette première moitié du siècle ? Mon « Tableau chronologique » destiné aux lycéens mentionne Gide (j’ai déjà parlé de « La porte étroite », j’ai lu il y a longtemps « La symphonie pastorale » et j’ai en attente le « Journal » dont Pierre Magnan disait monts et merveilles) et Claudel bien sûr (j’ai été émerveillé par le « Partage de midi » avec Marina Hands à la Comédie française, et après tout, c’est un lointain parent, son père était né au Thillot dans nos Vosges), Apollinaire, Giraudoux, Desnos, Éluard, Breton… que je n’ai pas lus. 

Je garde pour le prochain billet Mauriac, Céline et Camus qui étaient pourtant nés tôt dans le siècle (ou tard dans le précédent), car j’ai des choses à dire à leur propos.